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Le pouvoir ne donne pas l'impulsion, il la reçoit. Je ne sais quoi d'indéfinissable emporte et le peuple et ses chefs. Il y a dans les esprits une certaine indocilité, dans les cœurs un certain mépris haineux et défiant pour l'autorité, qui fait qu'on cède et qu'on n'obéit pas. Censurer est le besoin de tous; c'est un soulagement pour l'orgueil, et aussi une vengeance. Nulle faute n'est pardonnée à ceux qui gouvernent, parce que nul n'étant, par les lois, obligé de gouverner, quiconque se charge du gouvernement se rend garant du succès même.

La médiocrité réussit mieux dans les démocraties que le vrai talent, surtout lorsqu'il s'allie à un noble caractère. La flatterie, la servilité, la bassesse, une fausse habileté souple et patiente, conduisent plus sûrement aux emplois que le génie et la vertu, chez les peuples qu'on appelle libres. Le génie d'ailleurs et même le talent, s'il avoit quelque chose d'élevé, rencontreroit trop de difficultés, trouveroit trop d'obstacles à ses entreprises dans un État démocratique. Pour atteindre un but important, pour opérer de grandes choses, le temps est indispensable, ainsi que la suite dans les conseils. Cette persévérance est le propre des gouvernemens aristocratiques; jamais ils ne sommeillent, jamais ils ne se lassent, jamais ils n'abandonnent un dessein conçu : tout, au contraire, se fait au hasard, par entraînement ou par caprice, dans les démocraties; aussi n'eurent-elles jamais d'autre éclat que celui des armes, ni d'autre prospérité que la conquête.

Le christianisme avoit créé la véritable monarchie, inconnue des anciens; la démocratie, chez un grand peuple, détruiroit infailliblement le christianisme parce qu'une autorité suprême et invariable dans l'ordre religieux est incompatible avec une autorité qui varie sans cesse dans l'ordre politique. Le christianisme conserve tout, en fixant tout; la démocratie détruit tout, en déplaçant tout. Ce sont deux principes qui se combattent sans relâche dans l'État : un principe d'unité et de stabilité, un principe de division et de changement perpétuel; et comme nulle société ne sauroit sortir de ses voies tant que le principe qui la régissoit et qui a présidé à sa formation subsiste avec toute sa force, nulle monarchie chrétienne ne peut dégénérer en démocratie sans que le principe religieux n'ait subi auparavant une profonde altération. Toujours et nécessairement la révolution, commencée dans l'Église, passe ensuite dans l'État, qui à son tour l'achève dans l'Église. C'est ainsi qu'on a vu naître et s'établir en Europe, avec des gouvernemens ou despotisques ou républicains, les religions nationales ou civiles, qui ne sont qu'un athéisme déguisé.

L'égalité absolue ou la destruction de toute hiérarchie sociale, ne laissant subsister d'autres distinctions que celles de la fortune, produit une cupidité extrême, une soif insatiable de l'or; car, quoi qu'on fasse, les hommes veulent s'élever, c'est-à-dire se classer ; et comme la richesse participe elle-même à la mobilité du gouvernement et de la société entière, elle devient

corruptrice au plus haut degré. Les désirs sans bornes et sans règle se précipitent vers tout ce qui promet cet or, seule noblesse désormais, seul honneur, seule considération; et dans ce mouvement rapide, le temps manquant à tous pour apprendre à posséder, tous se jettent dans les jouissances avec une sorte de fureur. Nulle prévoyance pour les siens, nulle pensée d'avenir; le présent est tout pour l'homme concentré dans l'abjection des sentimens personnels, et les lois et les mœurs tendent de concert à l'anéantissement de la famille.

Dans le désordre universel, chacun cherche avec anxiété la place due à son mérite, à ses services, à ses besoins ou à ses convoitises. De là des prétentions innombrables, des murmures, des plaintes, des haines passionnées, un fonds général d'aigreur et de mécontentement qui croît sans cesse. Pour le calmer, pour offrir, au moins en espérance, une pâture aux désirs qui dévorent le peuple, un but fixe et présent aux passions qui l'agitent, on le jette, selon les circonstances, dans la guerre ou dans le jeu; on l'attire à la bourse, ou on le pousse dans les camps; on multiplie les spectacles, les loteries, les maisons de jeu; on le corrompt de toutes les manières pour se mettre à l'abri de sa corruption.

Le système du crédit renfermé en de certaines bornes, dirigé avec prudence, servi par les événemens, peut, quoique jamais sans inconvéniens, aider quelquefois une nation à vaincre un obstacle, ou à sortir d'un péril extraordinaire : mais ni la sagesse qui se prescrit des limites, ni la force qui s'arrête, ni

la constance qui persévère dans l'exécution d'un plan mûri par la réflexion, rien, en un mot, de ce qui est absolument nécessaire au succès d'un pareil système ne sauroit exister dans aucune démocratie. La mobilité des hommes et des choses empêchera toujours que le crédit y soit, pour ainsi dire, gouverné avec plus de suite et de règle que tout le reste. Exagéré bientôt au-delà de toute mesure pour satisfaire la cupidité même qu'il excite, devenu un immense agiotage, il remplace momentanément la conquête, et finit par la ruine générale, qui rend la guerre réelle plus inévitable encore et l'on peut hardiment prédire que l'époque n'est pas éloignée où l'Europe reverra les armées françaises, animées du même esprit qui fit leur force sous notre première démocratie, reparoître au milieu des nations étonnées; et si elles demandent d'où vient cette agression nouvelle, on leur dira qu'il y a des temps où les peuples sont contraints de chercher dans les camps une image de la société, et une image du bonheur dans la gloire.

Ce ne sont pas là les seules conséquences qu'entraîne avec soi le gouvernement démocratique, lorsque la religion n'y exerce pas une autorité puissante et première, ce qui ne s'est jamais vu qu'en des États très bornés, comme les petits cantons suisses; et alors la démocratie se change de fait en une théocratie véritable. Hors ces cas extrêmement rares, et lorsqu'elle demeure ce qu'elle est par sa propre essence, la démocratie détruit la notion de toute espèce de droit, soit divin, soit humain ; et c'est pour cela que

lorsqu'elle ne vient pas à la suite de l'athéisme, elle l'enfante tôt ou tard. La souveraineté absolue du peuple, telle même qu'elle est devenue de doctrine publique en Angleterre, où cependant elle est modifiée dans ses applications par la nature aristocratique du gouvernement; la souveraineté du peuple, disons-nous, renferme le principe de l'athéisme puisque, en vertu de cette souveraineté, le peuple, ou le parlement qui le représente, a le droit de changer et de modifier, quand il lui plaît et comme il lui plaît, la religion du pays. Ce droit, que Blackstone attribue sans hésiter au parlement anglois, suppose, on que toutes les religions sont indifférentes, c'est-àdire, qu'il n'y a point de Dieu; ou, s'il y a un Dieu, que le parlement peut dispenser de ses commandemens, abolir sa loi, ordonner ce qu'il défend, défendre ce qu'il ordonne, ce qui évidemment est renverser toute notion du droit divin. Mais dès-lors comment pourroit-il exister quelque autre droit, et sur quoi reposeroit-il? La raison, la loi, la justice n'est plus que ce que veut le peuple, ou le pouvoir qui représente le peuple: et c'est ce qu'ont très bien vu le protestant Jurieu et Jean-Jacques Rousseau qui admettent l'un et l'autre formellement cette conséquence.

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Il suit de là manifestement que la démocratie, qu'on nous représente comme le terme extrême de la liberté, n'est que le dernier excès du despotisme: car, quelque absolu qu'on le suppose, le despotisme d'un seul a pourtant des limites; le despotisme de tous n'en

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