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raient perdues pour les autres. La science n'est possible qu'à la faveur du témoignage, qui conserve fidèlement la mémoire des travaux et des conquêtes de chaque génération, de manière à permettre à la génération suivante de prendre pour point de départ le degré où étaient parvenues les recherches de ses devanciers, et de poser successivement de nouvelles assises à l'édifice scientifique. Le témoignage étend indéfiniment notre fugitive existence, en nous mettant sous les yeux tout ce qui nous a précédés et tout ce qui est en-dehors de notre observation directe; il nous enrichit aussi des vérités dont les différents peuples ont été à diverses époques en possession; en outre, il nous apporte le tribut de leur expérience, quelquefois très-chèrement achetée, et il nous protége contre les dangers qu'ils ont rencontrés; c'est la source la plus abondante de nos connaissances et le plus efficace de nos moyens d'information.

Nous en usons habituellement avec pleine sécurité. Pourquoi? C'est que nous sentons que nous disons naturellement la vérité; il n'est besoin pour cela ni d'effort, ni de réflexion; au contraire, le mensonge nous répugne, nous coûte; quand on y a recours, on subit une sorte de violence morale, provenant d'un intérêt quelconque. Notre tendance instinctive à rendre hommage à la vérité explique notre confiance à la parole des autres, et cette confiance est évidemment fondée, puisqu'elle se perpétue de génération en génération disposition admirable, car le témoignage est le dépôt de toutes les vérités religieuses et sociales, le fondement de la famille, de la propriété, de la législation, des magistratures; c'est lui qui nous apportera la plupart des vérités à la recherche desquelles est consacré cet ouvrage.

Malheureusement l'expérience a révélé la nécessité de se tenir en garde contre certains récits, ce qui exige

qu'ils soient tous soumis à une vérification. Personne n'ignore que, pour donner à la croyance fondée sur le témoignage une base solide, deux conditions sont indispensables et en même temps suffisent l'impossibilité d'erreur et d'imposture. Il est satisfait à la première lorsqu'il s'agit d'un fait matériel, public, important, accompli au grand jour, facilement saisissable, n'exigeant des spectateurs ni instruction, ni habileté, ni application; d'un fait à la portée d'une intelligence vulgaire, que la position particulière des témoins leur permettait de bien voir tel qu'il se passait, sans que rien les prédisposât à l'illusion ou à l'indifférence. La seconde se trouve remplie quand le récit n'a été déterminé par aucun intérêt, à plus forte raison quand il eût été de l'intérêt du narrateur de garder le silence; quand on a des garanties de sa probité, de sa gravité, de ses lumières; quand plusieurs personnes étrangères les unes aux autres, dignes de la confiance dont on vient de parler et n'ayant pu se concerter, s'accordent, d'après leurs connaissances personnelles, sur les circonstances principales d'un événement; quand elles l'ont raconté au moment où il venait de s'accomplir, dans le lieu qui en avait été le théâtre, en présence de la génération qui avait dû le voir, sans qu'il se soit élevé alors aucune réclamation; quand leur récit a traversé les âges avec un crédit général; enfin, quand l'événement trouve naturellement sa place dans le temps, le lieu et les diverses circonstances rapportées. Alors le témoignage a toute la valeur d'une observation personnelle.

Outre la conscience et la perception externe, qui constituent notre expérience propre, et le témoignage, qui nous fait profiter de celle des autres, nous avons, pour atteindre une nouvelle catégorie de vérités inaccessibles à ces modes de connaissance, le raisonnement, qui les affirme comme des conséquences nécessaires de principes sûrs. Ces prin

cipes sont naturellement, sinon formulés dans l'esprit, au moins à sa disposition, en vertu de notre constitution, pour éclairer nos idées ; comme la lumière, sans être dans une glace, y fait apparaître l'image d'un objet extérieur. S'ils lui manquaient, il serait réduit à l'état de puissance inerte; car c'est là qu'il puise les notions d'être, de réalité, de substance, de qualité, d'infini, d'éternité et de temps, d'immensité et de lieu, de bien et de mal, d'ordre et de désordre, de cause et d'effet, et aussi les axiomes, vérités à la fois incontestables et indémontrables, d'où partent toutes les sciences, et sur la certitude desquelles elles ont besoin de se fonder.

Oui, il existe des vérités premières, absolues, éternelles, universelles, nécessaires, évidemment divines, qui s'épanouissent dans notre intelligence et en illuminent tous les actes; nous ne pouvons pas plus nous les expliquer que nous y soustraire. L'expérience nous apprend ce qui s'accomplit dans la sphère étroite de nos observations; mais elle ne nous enseigne que ce qui arrive. Des principes supérieurs, que nous n'avons pu y puiser, vu qu'ils servent à la contrôler et la dépassent, nous manifestent ce qui ne saurait ne pas arriver: toute notion les implique; le genre humain en use sur-le-champ, sans hésiter, avec la conscience instinctive qu'elles sont universellement admises. Elles le sont en effet, et il faut qu'elles le soient autrement toute opération de l'esprit serait impossible.

Les vérités premières offrent au raisonnement le point d'appui nécessaire pour le légitimer; alors il devient un guide fidèle, capable d'éclairer et de conduire. Nous nous en servirons utilement de cette façon.

La certitude frappante et irrésistible qu'il met dans les sciences mathématiques, de même que l'observation la donne aux sciences physiques, fait quelquefois illusion et

persuade à tort que la marche qui a élevé les unes et les autres à la hauteur où elles sont parvenues leur donne une sorte de supériorité sur les sciences morales, auxquelles les mêmes procédés seraient étrangers. C'est une erreur. Les sciences morales commencent aussi par recueillir, à l'aide d'une patiente et scrupuleuse observation, des faits, dont elles tirent ensuite, par le raisonnement, des conséquences; si leur objet spécial ne comporte pas des démonstrations aussi palpables que les sciences mathématiques et les sciences physiques, l'importance et l'autorité n'en sont pas pour cela diminuées.

Ce qui rend plus sensibles les déductions des mathématiques, c'est qu'elles n'embrassent que de pures conceptions. Il n'y a pas dans la nature de ligne sans largeur, de point sans étendue, de cercle parfaitement rond, etc.; mais la géométrie n'emploie que des idées de ce genre, toujours renfermées dans des définitions rigoureuses, non sujettes aux perturbations de la pratique; alors les conséquences sortent sans exception ni obscurité des principes. « Ce qu'on appelle vérités mathémathiques, dit Buffon, se réduit à des identités d'idées et n'a aucune réalité; nous supposons, nous raisonnons sur nos suppositions, nous en tirons des conséquences, nous concluons la conclusion ou dernière conséquence est une proposition vraie relativement à notre supposition; mais cette vérité n'est pas plus réelle que la supposition ellemême (1). »

L'engouement scientifique a conduit des hommes éclairés à matérialiser la nature et à ne reconnaître de réalité que dans les objets tombant directement sous l'observation physique et le calcul. On a curieusement scruté les propriétés des corps, afin d'y trouver des éléments de

(1) Buffon, 1er Disc.

bien-être et de jouissances sensuelles; les nobles spéculations qui élèvent l'intelligence au-dessus des phénomènes matériels ont paru de vaines utopies; le but de la vie s'est déplacé pour se concentrer dans la satisfaction immédiate des instincts brutaux. M. Aug. Comte, livré toute sa vie à d'arides calculs, en qualité de répétiteur d'analyse à l'Ecole Polytechnique, fonction au-dessus de laquelle il ne parvint point à s'élever, avait naturellement de la tendance à ramener tout à des formules mathématiques. Peut-être ces habitudes et une triste infirmité qu'il essuya expliquent-elles sa philosophie positive, où il professe formellement le matérialisme. Cette philosophie élimine le monde moral, et elle réduit à six sciences les études auxquelles elle convie le genre humain, même les femmes, savoir: en première ligne et comme base fondamentale, les mathématiques; puis l'astronomie, la physique, la chimie, la biologie ou science de la vie, et la sociologie ou science sociale. « Les esprits géométriques, dit Châteaubriand, sont souvent faux dans le train ordinaire de la vie... Ils veulent trouver partout des vérités absolues, tandis qu'en morale et en politique les vérités sont relatives... Celui qui voudrait porter la rigidité géométrique dans les rapports sociaux, deviendrait le plus stupide ou le plus méchant des hommes (1). »

Si les vérités essentielles eussent été enveloppées dans des raisonnements, elles auraient échappé à l'humanité en général or Dieu est le père, le consolateur, l'espérance, le but suprême du plus humble artisan aussi bien que du plus éminent philosophe; il aime également toutes ses créatures; la vérité, qui n'est autre que Lui, est le patrimoine commun des intelligences et non le lot exceptionnel de quelques privilégiés; il était donc naturel et digne

(1) Gén. du Chr., IIIe partie, liv. II, ch. 1.

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