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tribuait suffisait, en ce moment, pour motiver sa proscription.

que les formes de la justice devaient être observées; le peuple lui répondait qu'il n'était pas besoin Quant à son gendre, Berthier, il était depuis d'un nouveau tribunal pour condanner un homme longtemps odieux au peuple, et on l'accusait, ré-jugé depuis trente ans ; et des cris de mort ne cescemment, d'avoir fait de grands accaparements saient de se faire entendre. de blé, afin d'en faire hausser le prix. On prétendait même que, dans plusieurs endroits de sa généralité, il avait fait couper les blés avant leur maturité, pour détruire l'espoir de toute récolte et hâter la famine. Cette dernière imputation était absurde, mais, par cela même, plus accessible à l'aveugle crédulité du peuple.

La Fayette, instruit de ce qui se passait à l'Hôtel-de-Ville, y accourut, et y arriva au moment où la fureur du peuple était à son comble. Il parle à la foule qui l'écoute en silence: «Citoyens, dit-il, je ne puis blâmer votre colère et votre indignation contre cet homme. Je ne l'ai jamais estimé; je l'ai toujours regardé comme un grand scélérat. Vous voulez qu'il soit puni, nous le vou

il faut que nous les connaissions. Je vais le faire conduire à l'Abbaye; là nous instruirons son procès, et il sera condamné à la mort infâme qu'il n'a que trop méritée. » La fureur de la multitude s'apaise, tout le monde applaudit, et Foulon eût été sauvé, si, dans sa joie, il n'eût commis la faute d'applaudir, lui aussi.

N'ignorant pas qu'il était désigné à la vengeance populaire, Foulon, après avoir été attaché au mi-lons aussi, et il le sera; mais il a des complices, nistère éphémère du duc de Broglie en qualité de directeur du département de la guerre, disparut de Versailles, et se fit passer pour mort. Réfugié à Viry, dans la terre de son ami, M. de Sartines, il espérait qu'on l'oublierait, et qu'il pourrait quitter la France. Mais les paysans d'une de ses propres terres surent bientôt où il était, et, à l'instigation du syndic du village, ils allèrent le dénoncer aux Parisiens, et leur demander mainforte pour l'arrêter.

Il le fut en effet, le 22 juillet, par une troupe de forcenés sortis de Paris. Heureux d'avoir fait cette grande capture, ces hommes irrités, qu'aucun frein ne contenait, firent éprouver à l'ex-directeur de la guerre toutes sortes de mauvais traitements : ils lui mirent une couronne d'orties sur la tête, et lui attachèrent derrière le dos un bouquet de chardons et une botte de foin, pour faire allusion au propos qu'on lui attribuait. C'est dans cet état que ce vieillard fut traîné jusqu'à Paris: la garde nationale ne parvint qu'avec peine à suspendre la fureur des hommes qui demandaient à grands cris cette nouvelle victime.

Conduit à l'Hôtel-de-Ville, les électeurs, pour mettre sa vie à l'abri de la fureur du peuple, prirent un arrêté qui ordonnait la détention, à l'Abbaye-Saint-Germain, de toutes les personnes soupçonnées du crime de lèse-nation, et qui auraient été accusées et arrêtées sur la clameur publique. Cette prison devait avoir sur la porte l'inscription suivante: Prisonniers mis sous la main de la nation. L'arrêté fut lu et affiché; mais on ne crut pas prudent de transférer Foulon à l'Abbaye tant que le jour durerait, à cause de la fermentation du peuple qui remplissait la place et les quais. Ainsi cette décision, inspirée pour sauver les jours de ce vieillard, ne fit que rendre sa perte plus certaine.

Le peuple furieux s'impatientait de ne plus voir sortir celui qu'il avait juré d'immoler à sa vengeance: il demanda à grands cris que Berthier lui fút livré. Vainement le maire ne cessait de dire

Cette imprudence change aussitôt la disposition des esprits: Ils sont d'accord, s'écrie-t-on de toutes parts; ils veulent le sauver ! » Foulon veut parler à son tour; il prononce quelques mots suppliants, qui ne font qu'accroître l'irritation. La foule se précipite sur le prisonnier et le traine en un instant sous la fatale lanterne, où tout se trouva prêt pour son supplice.

La fatalité voulut encore qu'une nouvelle victime fût amenée devant l'Hôtel-de-Ville par ceuxlà même qui avaient tout fait pour la garantir de tout mauvais traitement, et qu'elle arrivât au moment où la vengeance populaire s'exerçait sur les restes mutilés de Foulon. Cette seconde victime était Berthier de Sauvigny.

Arrêté à Compiègne, sur le bruit que la capitale le faisait chercher, le gendre de Foulon aurait été rendu à la liberté sur un arrêté de la ville de Paris, qui déclarait que cet ex-intendant, n'étant ni accusé ni détenu par la justice, ne pouvait être retenu prisonnier. Mais les députés de Compiègne ayant annoncé que le peuple de cette ville était extrêmement animé contre Berthier, et que, pour lui sauver la vie, il fallait le conduire dans les prisons de Paris; les électeurs de la capitale arrêtèrent qu'une garde de deux cent quarante hommes à cheval irait le chercher; et, afin que sa personne fût en sûreté, deux électeurs se mirent à la tête de cette escorte. Ce fut en vain que l'assemblée de l'Hôtel-de-Ville prit toutes les précautions que les circonstances nécessitaient afin de sauver Berthier de la fureur du peuple; elles ne servirent qu'à accélérer la perte de ce gendre de Foulon, qui périt à son arrivée à Paris, sans que ni la puissance morale des électeurs, ni la force

armée pût le soustraire à la colère du peuple. Effrayée de ces scènes d'horreur, autant que du système auquel on les attribuait, qui tendait, assurait-on, à faire commettre par le peuple des atrocités telles qu'on se dégoûtât de la révolution, l'assemblée nationale, sur la proposition de Gouy d'Arcy, s'occupa sur-le-champ des moyens à prendre pour faire cesser ces meurtres déplorables. Mais Mirabeau, qui envisageait ces catastrophes sous un autre point de vue, qualifia la motion de Gouy de petit moyen qui ne pouvait que compromettre inutilement la dignité de l'assemblée. « Les gouvernements, s'écria cet orateur, ne font que moissonner les fruits de leurs propres iniquités. On méprise le peuple, et l'on veut qu'il soit toujours doux, toujours impassible!... Il faut des victimes aux nations, et l'on doit s'endurcir sur les malheurs particuliers; ce n'est qu'à ce prix qu'on peut être citoyen. »

La discussion s'anima; Lally - Tolendal tenta d'émouvoir ceux qui pensaient comme Mirabeau, ou qui n'osaient repousser les maximes de cet orateur, dans la crainte de faire perdre à l'assemblée la popularité qui faisait toute sa force; mais Lally, s'apercevant que cette crainte prévalait, déclara qu'il déchargeait sa conscience des malheurs qui résulteraient du refus de l'assemblée, et qu'il se lavait les mains du sang qui pourrait couler.

Entraîné par la chaleur de la discussion, le jeune orateur Barnave laissa échapper ces paroles que les aristocrates n'ont jamais pu lui pardonner : Le sang qui a coulé était-il donc si pur? Robespierre, à peine connu alors, fit l'apologie du peuple, et compara ses rares vengeances avec les crimes nombreux du despotisme. « Pauvre peuple! peuple vertueux, dit-il, voudrait-on te punir de t'être vengé un seul jour, après avoir souffert si longtemps ! » La discussion, après s'être prolongée jusqu'à une heure du matin, ne produisit d'autre résultat que l'adoption d'un projet de proclamation pour recommander la concorde, et pour annoncer que tous les coupables du crime de lèse-nation ne devaient être accusés, jugés et punis que d'après les formes légales.

Certes, l'assemblée nationale déplorait bien sincèrement ces désordres, car elle y voyait un obstacle à l'affermissement de l'ordre de choses auquel elle travaillait; mais ayant besoin de toute sa popularité pour résister à ses ennemis, aussi nombreux qu'actifs, elle crut devcir ménager des coupables, qu'il eût été d'ailleurs bien difficile d'atteindre sans provoquer quelque insurrection contre l'assemblée elle-même la force armée n'était point encore bien organisée, et les armes se trouvaient entre les mains de ceux qui avaient provoqué ces meurtres, ou qui les avaient con

sidérés comme une juste vengeance du peuple.

Le général La Fayette, désolé de n'avoir pu sauver les deux victimes arrachées à ses mains, et voyant que le peuple n'avait pas voulu écouter ses avis, ni lui accorder en ce moment la confiance qu'il lui avait promise, résolut de quitter un poste où il voyait qu'il ne pourrait plus être utile: il envoya sa démission motivée au maire de Paris, accompagnée d'une lettre à tous les districts. Cette démission fut regardée comme un grand malheur pour la chose publique le patriotisme, le zèle, l'énergie, la présence d'esprit dont il avait eu l'occasion de donner plus d'une preuve, le faisaient regarder comme le seul chef qui pût inspirer de la confiance à ses subordonnés, à tous les habitants et à l'assemblée nationale.

La cour ne l'aimait pas; la reine avait contre lui la plus grande répugnance, et le roi, sans partager tout à fait les préventions de la reine, ne pouvait s'empêcher de voir dans ce jeune disciple de Washington un ennemi de la royauté. La cour ne fut donc pas fâchée d'apprendre qu'il s'était démis de son commandement. Mais la commune et les districts en éprouvèrent la plus grande peine. Les districts s'assemblèrent immédiatement et délibérèrent que la démission du commandant général de la garde nationale ne pouvait pas être acceptée en conséquence, ils le supplièrent de reprendre ses fonctions, lui promettant la plus grande subordination des citoyens armés, et toute la confiance des habitants.

L'assemblée des électeurs prit aussitôt un arrêté pour proclamer de nouveau ce général commandant général de la garde nationale de Paris; lui promettant, tant au nom des électeurs, qu'en celui des districts et des habitants, une subordination et une obéissance complètes.

La déclaration des districts et l'arrêté du comité permanent, joints aux pressantes sollicitations de toutes les personnes qui étaient à l'Ilôtel-de-Ville, et qui avaient empêché ce général d'en sortir, ne lui permirent plus d'insister: sa démission fut done retirée le même jour; tout le monde embrassa M. de La Fayette, et la salle retentit des cris répétés de vive la nation! vive La Fayette!

Mais l'exemple était fait, et il en devait résulter une leçon utile. La cour seule fut déçue dans les espérances que la démission du commandant général lui avait fait concevoir; car elle aurait voulu que cet important commandement dépendit du choix du roi.

Bailly et La Fayette, également animés du désir de pouvoir faire quelque bien et d'assurer l'ordre et la tranquillité dans la capitale, ne pouvaient se dissimuler qu'elle renfermait dans son sein beaucoup d'agitateurs, et un grand nombre de satel

lites dont les ennemis de la révolution se servaient habilement. L'audace de ces agitateurs, les vengeances qu'ils avaient déjà exercées, les menaces qu'ils proféraient contre les autorités, et principalement contre celles qui avaient voulu leur arracher quelque victime, firent sentir à ces deux hommes de bien le besoin de prendre des mesures plus efficaces que celles arrêtées par l'assemblée nationale. En conséquence, ils travaillèrent à purger Paris des malfaiteurs qui l'infestaient depuis le pillage de la maison Réveillon, et ordonnèrent aux nombreuses patrouilles qui parcouraient la ville de désarmer tous les hommes non inscrits dans la garde nationale des districts. Mais ces hommes sans aveu, et presque tous sans domicile, cherchèrent à se soustraire aux ordres de l'autorité; et, plutôt que de se laisser désarmer, ils sortirent en foule de Paris, munis des fusils dont ils s'étaient emparés, et se répandirent dans les campagnes où ils portèrent la terreur.

De ce moment le nom de brigand fut dans toutes les bouches, et alarma toutes les populations. Un homme, dont le vaste génie calculait peu les moyens qui pouvaient faire réussir ses projets, Mirabeau, que les brigands effrayaient moins que le retour de la tyrannie, conçut, assurent plusieurs historiens, un stratagème inouï, pour forcer tous les Français à s'armer, et à former, dans chaque commune, des corps militaires, afin de se mettre en mesure de résister aux ennemis de la révolution.

Le moyen employé à cet effet fut des plus singuliers. On fit partir simultanément des courriers qui avaient ordre de traverser la France dans tous les sens, et d'annoncer partout que les brigands arrivaient pour tout mettre à feu et à sang. Le succès de ce stratagème surpassa même les espérances de ses inventeurs. Ces bruits effrayants se répandirent au même instant dans les villes et dans les campagnes, pénétrèrent jusque dans le plus petit hameau, et causèrent, dans toute la France, une frayeur qu'il serait difficile de décrire.

On croyait voir les brigands partout ici, on les avait vus mettre le feu aux granges; la, on les avait trouvés coupant les moissons avant leur maturité; de tous côtés on entendait dire: Ils sont à une lieue, à une demi-lieue; ils vont arriver, ils arrivent on les a vus au delà de la montagne : on les a reconnus dans le bois voisin; on les a aperçus de l'autre côté de la rivière : il faut se réunir, s'armer, se défendre.

Les petites municipalités demandaient des secours aux villes celle de Soissons écrivit au président de l'assemblée nationale: « Peut-être êtes vous déjà instruit de l'événement affreux qui nous met au comble du désespoir. Un courrier, arrivé LÉONARD GALLOIS.

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de Crespy à une heure et demie, nous annonce qu'une troupe de brigands a coupé les blés cette nuit dans la plaine de Beltiéry. Actuellement, six heures du soir, il arrive des courriers de VillersCotterets, Pierre-Fonds et Attichy, où cette troupe se porte dans ce moment-ci; elle fauche les grains en plein midi. On dit ces brigands au nombre de quatre mille, etc. »

Les habitants d'une autre ville, apercevant sur la grande route de Paris un gros nuage de pous sière, ne doutent pas qu'il ne soit soulevé par la marche des brigands. Les cris ordinaires se font entendre; le tocsin sonne, tout est en confusion. On s'arme, on s'apprête au combat; mais bientôt le nuage de poussière s'éclaircit, et laisse voir à cette population effrayée, au lieu d'une bande de brigands, un troupeau de moutons.

Paris même ne fut pas à l'abri de ces fausses alertes. Un jour on alla dire au maire Bailly qu'il y avait une armée de brigands du côté de Montrouge, et que toutes les personnes qui allaient de ce côté avaient été obligées de rentrer dans Paris. Des troupes y furent aussitôt envoyées; elles n'y trouvèrent aucune trace de cette armée.

Ces brigands, qui étaient partout et qu'on ne trouvait nulle part, donnèrent à toute la France une impulsion telle qu'en peu de jours tous les citoyens se trouvèrent armés et organisés en gardes nationales. Le stratagème dont on fait honneur à Mirabeau compléta la révolution du 14 juillet; et, au point où en étaient les choses, il est certain que cette singulière mesure fut salutaire elle établit une force publique que la loi put organiser, et contint l'étranger par l'appareil menaçant d'une nation entière sous les armes.

Malheureusement ces commotions violentes sont toujours inséparables de quelques désordres : il s'en commit de graves et de déplorables. A peine les habitants des campagnes furent-ils en armes, qu'ils s'en servirent contre ceux qu'ils regardaient comme leurs oppresseurs. La haine, comprimée longtemps, éclata tout à coup entre les seigneurs et les villageois. Ceux-ci, irrités par les nouvelles de Paris, accusaient ces seigneurs de machinations contre-révolutionnaires; et, malgré les efforts des troupes et le dévouement des gardes nationales, ils se livrèrent à toutes sortes d'excès.

Après avoir renversé toutes les anciennes municipalités comme suspectes, et les avoir remplacées par des comités chargés de diriger la chose publique, les populations entières déclarèrent la guerre aux châteaux; et l'on assure qu'en peu de jours plus de cent de ces habitations des nobles regardés comme aristocrates furent la proie des flammes dans les seules provinces de la FrancheComté, du Beaujolais et du Mâconnais.

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Parmi les crimes qui ensanglantèrent la fin du mois de juillet et les premiers jours d'août, il en est un qui produisit une plus grande sensation, et attira plus particulièrement l'attention de l'assemblée, non pas seulement parce qu'il fut commis aux portes mêmes de Paris, mais encore parce que la victime était un de ces fonctionnaires publics qui s'étaient dévoués aux soins pénibles et dangereux qu'exigeait la distribution des farines. Ce fonctionnaire, nommé Châtel, était lieutenant du maire à Saint-Denis, et n'avait cessé, depuis que l'alimentation de la ville de Paris dévorait toutes les subsistances des communes environnantés, de veiller à l'approvisionnement de Saint-Denis: son zèle et son désintéressement avaient toujours été au-dessus de tout éloge; il avait même diminué le prix du pain à ses propres frais, et l'avait réduit à deux sous la livre. Mais il fallait si peu de chose dans ces moments d'effervescence pour que le peuple immolât ceux qu'il avait idolâtrés, qu'il suffit de quelques plaintes sur la mauvaise qualité du pain pour que la tête de cet admininistrateur fût proscrite. Il fut barbarement massacré par le peuple même de la commune à laquelle il avait rendu tant de services.

Le récit qui fut fait à l'assemblée nationale de l'assassinat de ce fonctionnaire lui fit sentir combien il était urgent de rétablir l'ordre, et de rendre aux lois la puissance qu'elles avaient perdue dans ces moments de crise. Les invitations et les proclamations n'ayant eu aucun succès, on pensa que pour mettre un terme aux agitations populaires, il fallait remonter aux causes de ces agitations. Il fut donc décidé que l'assemblée porterait sa main régénératrice sur toutes les institutions de l'ancienne monarchie incompatibles avec les nouvelles idées du peuple, et qu'une commission serait chargée de lui faire un rapport sur les réformes utiles et imminentes. Ce fut ainsi que l'assemblée préluda aux décrets de la nuit du 4 août suivant, décrets qui complétèrent la révolution.

En attendant, l'assemblée nationale arrêta l'établissement d'un comité de recherches, composé de douze de ses membres, dont les attributions consistaient à entendre et recevoir toutes les informations, avis et renseignements qui pourraient lui être donnés sur les projets contraires à la sûreté de l'état et des citoyens, afin d'en rendre compte à l'assemblée.

Cette création fit beaucoup crier les ennemis de l'assemblée et de la révolution; ils accusèrent le comité des recherches d'avoir établi un espionnage inquisitorial; de s'être saisi du moindre prétexte pour emprisonner les citoyens, et de s'être attribué le droit d'ouvrir les lettres. Toutes

ces inculpations étaient exagérées; et quant au secret des lettres, l'assemblée nationale manifesta hautement son opinion sur ce grand principe à l'occasion des lettres saisies sur M. de Castelnau ministre de France à Genève, qui avait été arrêté muni d'un portefeuille rempli de lettres adressées aux principaux émigrés.

Quelques députés avaient demandé l'ouverture de ces lettres, comme pouvant jeter un grand jour sur les conspirations qui se tramaient dans l'ombre; mais Duport et Camus s'élevèrent contre cette politique inquisitoriale, maladie honteuse et incurable des gouvernements despotiques, mais indigne de la franchise et de la loyauté d'un peuple libre. Vainement le député Gouy d'Arcy voulut-il établir une distinction des cas où les lettres pouvaient être ouvertes. Mirabeau, traitant cette grande question avec sa supériorité accoutumée, demanda si c'était à un peuple qui voulait devenir libre à emprunter les maximes et les procédés de la tyrannie. « Peut-il lui convenir, s'écria-t-il, de blesser la morale après avoir été si longtemps victime de ceux qui la violèrent?...... Qu'apprendrons-nous par la honteuse inquisition des lettres? de viles et sales intrigues, des anecdotes scandaleuses, de misérables frivolités. Croiton que les complots circulent par les courriers ordinaires?..... C'est donc sans aucune utilité qu'on violerait les secrets de famille, le commerce des absents, les confidences de l'amitié, la confiance entre les hommes. >>

Mirabeau entraîna la décision de l'assemblée : le respect pour la morale publique l'emporta sur le besoin de sécurité; et le décret qui fut rendu, en respectant l'inviolabilité du secret des lettres, proclama ce principe, que la saine morale doit toujours être la base d'une véritable politique. Honneur aux gouvernements qui, comme ces an ciens Grecs que nous admirons tant sans jamais les imiter en rien, préfèrent l'honnête à l'utile! Ceux-là s'appuient sur des bases éternelles, et si toutes nos assemblées nationales eussent professé les mêmes principes, la liberté des peuples, qu'elles auraient fondée sur la morale, eût été impérissable.

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pait des moyens de rétablir l'ordre et la tranquillité, Necker, ce ministre devenu si populaire, parce qu'il s'était montré toujours favorable aux vœux de la nation, rentrait de son court exil, et son retour à Paris était un véritable triomphe.

En quittant Versailles pour obéir aux ordres du roi, Necker avait laissé la famille Polignac toutepuissante à la cour: par une de ces vicissitudes auxquelles les courtisans sont souvent exposés, cette famille fut la première que Necker rencontra en rentrant en France. Les Polignac fuyaient à 'leur tour, et Necker retournait, au bout de quinze jours, prendre sa place au ministère. Ce fut par cette famille que Necker sut ce qui était arrivé en France depuis son départ; et tout ce qu'on lui racontait lui paraissait fabuleux.

Il ne tarda pas à s'apercevoir qu'on ne lui avait -appris qu'une partie de ce qui s'était passé à Versailles et à Paris. La situation où il trouva les provinces qu'il dut traverser lui révéla la grande révolution qui s'était opérée. Necker arriva au milieu du mouvement de tous les esprits. Tout Versailles et tout Paris s'émurent à son approche. Il fut en apparence parfaitement accueilli du roi, de toutes les personnes qui étaient restées près de lui, et même de la reine, qui lui dit : « Monsieur, le vœu de la nation vous rappelle ici, je vous y vois avec le plus grand plaisir; en 1781, j'avais quelques préventions contre vous, sans cesser de vous estimer; à trente ans passés, on pense, on juge bien différemment qu'à vingt-cinq. »

Après avoir été félicité par tous les corps civils et militaires qui se trouvaient à Versailles, Necker se rendit à l'assemblée nationale pour la remercier des marques d'intérêt et de bonté dont elle l'avait honoré. Le président, le duc de Liancourt, lui répondit que la retraite d'un ministre si digne de la confiance du peuple avait causé un deail généra!. Necker voulut aussi faire son entrée à Paris. Il partit au bruit de la musique des gardes françaises; les milices de Versailles et de Sèvres composaient son brillant cortége. On avait aussi disposé sur la route des piquets de dragons. Une multitude immense l'attendait à la barrière de la Conférence : une garde nombreuse de citoyens environna sa voiture. Ce n'était plus cet air sombre avec lequel les Parisiens avaient conduit Louis XVI à l'Hôtelde-Ville; tout Paris paraissait ivre de joie, hommes, femmes, enfants, tous accouraient sur son passage; les uns lui présentaient des bouquets, lui offraient des couronnes; les autres couvraient de baisers les mains de madame Necker; tous appelaient Necker le père du peuple, le sauveur de la nation, et l'air retentissait des cris de vive Necker! vive la nation! En ce moment Necker savoura avec délices les hommages de tout un peuple, et dut se croire

en effet le seul homme capable de faire le bonheur des Français. Il ne tarda pas à être convaincu de son impuissance, et à reconnaître que quinze jours d'absence avaient suffi pour le rendre étranger à la situation des choses.

Les électeurs et les députés de la commune étaient assemblés à l'Hôtel-de-Ville, où Necker fut reçu au milieu des applaudissements et des transports de joie que son retour causait réellement. Lé maire, Bailly, et le président du bureau des électeurs, Moreau de Saint-Méry, lui dirent les choses les plus flatteuses et les plus propres à enivrer un homme aussi sensible aux louanges que Necker l'était. Ce président présenta la nouvelle cocarde à madame Necker, en lui disant : Ces couleurs vous sont chères; ce sont celles de la liberté. Necker répondit aux électeurs comme il avait répondu à la commune; et, leur supposant des pouvoirs qu'ils n'avaient pas, puisque chaque jour ils étaient eux-mêmes menacés par le peuple, il leur demanda avec instance le pardon du général Besenval, qu'on venait d'arrêter dans les environs de Paris. « Je demande à genoux, s'écria Necker dans un moment de sensibilité qui faisait honneur à son cœur, que l'on n'exerce ni envers M. de Besenval ni envers personne, aucune rigueur semblable en aucune manière à celles qu'on m'a racontées. Au nom de Dieu, messieurs, plus de jugements, plus de proscriptions, plus de scènes sanglantes. »

Ces supplications d'un ministre cher au peuple entrainèrent l'assemblée, et la salle retentit des cris: Grâce! pardon! amnistie! Aussitôt M. de Clermont-Tonnerre propose à l'assemblée de prendre sur-le-champ un arrêté relatif à l'amnistie qui venait d'être proclamée : il fut rédigé et adopté sans discussion.

L'assemblée y déclarait, au nom des habitants de cette capitale, qu'elle pardonnait à tous ses ennemis; qu'elle proscrivait tout acte de violence contraire à son arrêté, et qu'elle regarderait désormais comme les seuls ennemis de la nation, ceux qui, par leurs excès, troubleraient la tranquillité publique.

Quand on présenta cet arrêté à Bailly pour le signer, il s'y refusa, parce qu'il regardait cet acte comme déplacé, inconstitutionnel et dangereux : selon lui, il n'appartenait ni aux électeurs, ni à la commune de Paris de prononcer une amnistie en faveur des ennemis de la nation. L'événement justifia les craintes de Bailly.

Cependant Necker se retira entouré du même cortége, après avoir reçu du peuple, rassemblé sous les fenêtres de l'Hôtel-de-Ville, les témoignages éclatants de l'allégresse publique. Il croyait avoir rétabli l'ordre par sa proposition d'amnistie; mais il fut cruellement désabusé.

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