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mais le président, Lucien Bonaparte, les rédui- » pour préserver des attaques de ses ennemis les sit au silence, en leur opposant la constitution» patriotes compromis dans sa cause, et pour qui ne permettait plus de délibérer. Ces députés » assurer aux défenseurs de la patrie ces soins sortirent et formèrent des conciliabules où s'or- » particuliers qui ne pouvaient leur être plus ganisait la résistance. Les patriotes des faubourgs » constamment donnés que par un citoyen an» ciennement témoin de leurs vertus héroïques et s'agitaient. » toujours touché de leurs besoins.

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Mais au même instant la commission des ins» La gloire qui accompagne le retour du guerpecteurs des cinq-eents faisait comme celle des an»rier illustre à qui j'ai eu le bonheur d'ouvrir le ciens, elle adhérait à la révolution nouvelle. Bonaparte s'y rendit et ne tarda pas d'y être joint» chemin de la gloire, les marques éclatantes de par le ministre de la justice, Cambacérès, et par confiance que lui donne le corps-législatif, et le Fouché. Les deux directeurs Sièyes et Roger-Du-» décret de la représentation nationale, m'ont cos vinrent y signer leur démission. On dépêcha» convaincu que, quel que soit désormais le poste l'amiral Bruix et M. de Talleyrand à Barras pour » où l'appelle l'intérêt public, les périls de la lilui arracher la sienne. » berté sont surmontés, et les intérêts des armées » garantis.

Bonaparte distribua le commandement des troupes Murat, avec une nombreuse cavalerie et un corps de grenadiers, eut le commandement» de Saint-Cloud. Moreau accepta la singulière commission d'aller garder le Luxembourg, c'est-à-dire qu'il se constitua le geôlier des deux directeurs fidèles à la constitution. Serrurier dut aller occuper le poste du Point-du-Jour.

Afin d'ôter tout moyen de ralliement aux patriotes, on suspendit les douze municipalités, qui avaient succédé à la grande commune d'autrefois. Des proclamations furent affichées sur tous les murs de Paris: elles étaient remplies des plus violentes diatribes contre le gouvernement directorial, et promettaient aux Français une république basée sur les meilleures lois : les citoyens y étaient invités à l'ordre et au repos; enfin, on y peignait l'événement comme le triomphe de la liberté et de l'égalité, et l'ambitieux, qui allait tout asservir, s'y annonçait comme le sauveur de la France. Tous les journalistes furent obligés de parler le même langage. Des courriers extraordinaires colportèrent ces mêmes proclamations dans tous les départements, tandis qu'on arrêtait à la poste les correspondances particulières qui auraient pu détromper les citoyens.

Ces mesures réussirent parfaitement: l'autorité du général Bonaparte fut reconnue partout, excepté par le directoire, c'est-à-dire par le président Gohier, Moulins et Barras : ce dernier semblait tenir bon; mais, circonvenu par MM. de Talleyrand et Bruix, il fit tout ce qu'on voulait ; il signa la lettre suivante, dont on se servit le lendemain pour paralyser l'élan du conseil des cinqcents, lorsqu'il voulait reconstituer le directoire :

« Citoyen président, disait Barras, engagé dans » les affaires publiques uniquement par ma pas»sion pour la liberté, je n'ai consenti à partager la première magistrature de l'état que pour le soutenir dans ses périls par mon dévouement,

» Je rentre avec joie dans les rangs de simple citoyen; heureux, après tant d'orages, de re» mettre entiers et plus respectables que jamais » les destins de la république dont j'ai partagé le » dépôt.

» Salut et respect,

BARRAS. #

Réduits à eux seuls, Gohier et Moulins ne pouvaient plus délibérer. Ils résolurent de se rendre à la commission des inspecteurs pour aller sommer leurs collègues de se joindre à eux. Ils y trouvèrent Sièyes, Ducos et une foule de députés. Là s'établit aussitôt, entre le président du directoire, Gohier, et Sièyes et Bonaparte, le colloque le plus vif'.

✦ Je transcris ici cette conversation parce qu'elle fait bonneur au caractère de Gohier, dont le républicanisme sincère

ne s'est d'ailleurs jamais démenti.

Nous devɔus, dit Gohier aux deux directeurs transfuges, joindre nos signatures aux vôtres pour proclamer constitutionnellement la disposition du décret qui transfère les séances du clamé, dit Sièyes; avez-vous vu le général ?

corps-législatif à Saint-Cloud. — Le décret tout entier est pro

> GOHIER. Quel général ?

> SIEVES. Le général Bonaparte.

» GOBIER. Non... mais qu'on le prévienne que le président du directoire est ici.»

Bonaparte ne tarda pas à paraître, et dit an président : « Je vois avec plaisir que vous vous rendez à nos vœux, à ceux de vos deux collègues.

> GOHIER. Nous nous rendons au vœu de la loi, général; elle veut que le décret qui transfère les séances du corps-législatif soit proclamé sans délai. Nous devons remplir le devoir qu'elle nous impose, et bien déterminés à le défendre contre les attaques qu'on voudrait lui porter.

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» BONAPARTE. — Votre zèle, président. ne m'étonne pas, et c'est parce que vous êtes connu pour un homme attaché à votre pays que vous allez vous réunir à nous pour sauver la république.

GOHIER. Sauver la république !..... Il fut un temps, général, où vous aviez l'honneur d'en être le soutien ; mais aujour d'hui c'est à nous qu'est réservée la gloire de la sauver.

› BONAPARTE. Avec les moyens que vous donne votre constitution?... Voyez donc comme elle croule de toutes parts! Cette constitution-là ne peut plus aller.

› GOHIER. Qui vous a dit cela, général? des perfides qui n'ont ni le courage ni la volonté de marcher avec elle.

Eh! tous ceux que je vois ici n'ont-ils pas, il y a à peine quelques jours, proclamé encore l'excellence de cette constitution, et surtout le danger d'y porter atteinte ? Des palais où

L'explication avait été vive: Bonaparte était impatient de la voir finir; il saisit un prétexte pour quitter le président du directoire. Gobier et Moulins ne se trouvaient pas non plus à leur aise au milieu de cette réunion de conjurés; ils s'en retournèrent au palais du Luxembourg, siége du gouvernement directorial.

A peine y étaient-ils, que les officiers de Moreau les consignèrent chacun dans leur apparte ment ils se trouvèrent ainsi séparés l'un de

se tiennent les séances du corps-législatif, les serments prêtés spontanément n'ont-ils pas été entendus et répétés dans toute la France?

› Connaissez mieux, général, notre position. A peine êtes vous depuis quelques jours en France, vous avez débarqué au bruit de nos victoires. Partout la république est triomphante; elle est triomphante sans vous, et vous Venez vous offrir pour la sauver?... Tiendriez-vous un autre langage si elle était vaincue et sous le joug de l étranger?»

Boulay de la Meurthe prend alors la parole

Je conviens, dit-il, que d'éclatantes victoires mettent nos frontières à couvert, mais ce n'est pas parmi les troupes étrangères que sont nos plus dangereux ennemis.

› GOHIER. Il ne m'est plus permis d'en douter; mais nous triompherons de ces ennemis comme nous l'avons fait de l'étranger.

› BOULAY. Vous avez de grands moyens! la loi sur les otages! des emprunts forcés !

› GOHIER. Ce sont ceux que nous tenons de la commission des onze, dont vous étiez un des membres les plus influents. Faut-il que l'ordre constitutionnel soit renversé pour que vous en présentiez de plus efficaces!... »

On apporte un billet à Bonaparte.

« BONAPARTE. Général Moulins, vous êtes le parent de Santerre?

› MOULINS. Je ne suis point le parent de Santerre, mais je` suis son ami.

› BONAPARTE. On me prévient qu'il agite les habitants du faubourg Saint-Antoine et veut se mettre à leur tête. S'il fait un mouvement, je le fais fusiller.

› MOULINS. En auriez-vous le pouvoir, général? Au reste Santerre n'est pas un agitateur; il ne marcherait qu'autant qu'il en recevrait l'ordre d'une autorité que vous-même, jusqu'à ce jour, n'aviez pas encore méconnue.

› BONAPARTE. Il n'y a plus de directoire.

> GOHIER. Il n'y a plus de directoire! Vous vous trompez, général, et vous savez que c'est chez son président que vous avez pris l'engagement de diner aujourd'hui. Serait-ce pour mieux cacher des projets hostiles, qu'il ne sera pas en votre pouvoir d'accomplir, que vous avez accepté cette invitation, que vous en avez même fixé le jour?

BONAPARTE. Mes projets ne sont pas hostiles. La république est en péril, il faut la sauver... Je le veux! et ce n est qu'avec des mesures énergiques que nous y parviendrons. Sieyes et Ducos donnent leur démission; Barras a envoyé la sienne abandonnés tous deux à votre isolement, j'espère que vous ne refuserez pas la vôtre.

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Mais

Les sentinelles, placées à toutes les issues du palais directorial, se renfermant strictement dans la consigne que leur avait donnée notre geôlier en chef, répondaient à tous les députés qui se présentaient pour nous voir : « On n'entre pas. nous sommes députés !... - On n'entre pas. Laissez-nous du dout l'entrée est interdite à la représentation nationale même, moins écrire chez le concierge. On n'entre pas. - Ce palais, n'est donc plus habité par les membres du directoire ? — On n'entre pas.

Indignés de l'insolente consigne, plusieurs députés se présentent chez Moreau pour s'en plaindre. Les sentinelles, placées à la porte du général-geolier, leur répondent : « On n'entre pas.»

L'ayant rencontré un jour chez M. Garat: Vous devez, me dit-il, avoir une bien triste opinion de moi, ne connaissant pas les motifs de ma conduite au 18 brumaire. Le général Moulins et vous étiez les seuls directeurs auxquels je fusse attaché. Je vous vis en péril; j'acceptai un commandement qui étonna toute l'armée; je me chargeai de la garde de vos personnes; je fis le sacrifice de mon amour-propre au désir de

vous sauver.

› J'aurais voulu révéler les intentions secrètes de ma détermination, et ne laisser aucun nuage dans votre esprit ; mais l'accueil méprisant de Moulins, qui sans daigner m'entendre, lorsque je venais m'expliquer confidentiellement avec lui. me tourna le dos et me fit signe d'aller dans son antichambre, m'empêcha de me présenter chez vous dans la crainte d'essuyer un nouvel affront.

– Il eût été sanglant, lui répondis-je..... Mon collègue Moulins vous a rendu service, général... Plus indigné que lui, je vous aurais dit, si alors vous eussiez paru devant moi : « En> core cette épée à votre côté, général!... Ce n'est plus la ⚫ place d'une arme d'honneur: désormais c'est un trousseau de clefs qui doit être pendu à votre ceinture. »

› Si vous aviez des intentions si généreuses, pourquoi donc avez-vous intercepté notre message aux deux conseils ?

» MOULINS. Détrompez-vous, général. Un soldat français, placé même en sentinelle perdue sur un terrain miné par l'ennemi, n'abandonne pas son poste dans la crainte d'une explosion. Ce n'est pas à un général républicain que l'on peut offrir pour modèle la conduite de deux déserteurs. GOBIEB. Si leur démission paralyse aujourd'hui le direc-hommes qui vous tenaient en chartre privée! toire, demain, général, il sera complet.

Pourquoi ? répliqua vivement Moreau. Pour vous sauver de la déportation, qui était résolue si votre opposition s'était manifestée par un seul acte. Que vous connaissiez peu les

› BOULAY. Laissez, général; un décret en deux lignes arrangera tout.

Que vous nous connaissiez peu nous-mêmes, général! lui répliquai-je. Auriez-vous su gré à l'homme officieux qui, le jour d'une bataille décisive pour le salut de votre pays, vous aurait sauvé du péril en compromettant votre honneur ? Croyez» GOHIER. Eh! qui peut rendre ce décret ?... qui peut ainsi arvous que le courage civil soit au-dessous du courage militaire, ranger tout à la manière dont l'entend Boulay de la Meurthe?.. Au reste la constitution subsiste; elle doit être encore, auet que des premiers magistrats du peuple eussent plus craint jourd'hui du moins, la règle de tous; et la commission ne doit que vous de sacrifier leur vie au jour où il fallait combattre? » pas ignorer qu'aux termes de l'article 103 que je lui ai déjà Ces derniers mots parurent faire une grande impression sur rappelé par écrit, aucuns des membres du corps-législatif, le Moreau. « Si j'ai fait une grande faute, ajouta-t-il en terminant décret de sa translation étant rendu, ne peuvent, sans se cet entretien, je saurai la réparer.»

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y fixa ce qu'on devait faire le lendemain pour | ration qu'ils avaient prétendu être à la veille de renvoyer les conseils. Sièyes voulait qu'on fit ar- renverser la république; et les inspecteurs garrêter quarante des principaux membres des cinq- daient le plus profond silence. En même temps, cents; mais Bonaparte s'y opposa. on demandait que le directoire fût reconstitué de Dès le matin du 19 brumaire, la route de suite, et que le conseil des cinq-cents dressât surSaint-Cloud était couverte de troupes, de voitu-le-champ la liste décuple des candidats.

res, de curieux. Tous les membres des deux conseils s'y rendirent de bonne heure; mais les salles qui leur étaient destinées ne furent prêtes que vers les deux heures. Ce retard faillit à devenir funeste aux auteurs de la révolution projetée : des groupes de députés se formaient partout et s'y exhortaient à la résistance. Les membres du conseil des cinq-cents se montraient très-irrités; ils attaquaient ceux des anciens, et ne cessaient de leur demander pourquoi ils les avaient déportés, et quel était leur but. « Le gouvernement est décomposé, leur disaient-ils, eh bien ! recomposons-le sur-le-champ. Voulez-vous y porter Bonaparte? nous y consentons, quoiqu'il n'ait pas l'âge requis. » Les anciens ne savaient que répondre ils n'avaient pas prévu toutes les conséquences de la révolution; les trois quarts de ceux qui avaient concouru à l'événement de la veille auraient voulu pouvoir reculer.

Ce fut dans ces dispositions que les conseils s'assemblèrent. La séance des cinq-cents s'ouvrit la première, sous la présidence de Lucien Bonaparte. A peine les députés Gaudin et Cornet eurent-ils parlé des prétendus périls qui menaçaient la république et ses représentants, qu'il s'éleva de toutes parts des cris qui couvrirent leurs paroles. On refusa de mettre aux voix la proposition qu'ils venaient de faire de suspendre toute délibération jusqu'à ce qu'une commission eût fait un rapport sur la situation de la république et sur les mesures de salut public qu'il convenait de prendre. Boulay de la Meurthe, qui tenait ce rapport tout prêt, dut le garder dans sa poche; et, au lieu d'écouter les orateurs dévoués à Bonaparte, Delbret proposa de renouveler le serment de fidélité à la constitution. Ce serment fut prêté ndividuellement par tous les membres présents, et aux cris de vive la constitution! point de dictature! à bas les dictateurs!

Grandmaison prend la parole au milieu de cet élan, et demande qu'on jure de s'opposer à toute espèce de tyrannie. L'assemblée tout entière se lève aux cris de vive la république! vive la constitution! Le président, Lucien, ainsi que les membres qui ont préparé la révolution se trouvent dans la nécessité de prêter le serment individuel, et le prêtent à la tribune.

Le conseil des anciens n'était pas moins agité : de toutes parts on sommait le président des inspecteurs d'administrer les preuves de la conspi

Le danger devenait imminent pour Bonaparte et ses partisans. Augereau, Jourdan, les patriotes influents étaient à Saint-Cloud, dans l'attente du moment favorable pour ramener les troupes de leur côté. Bonaparte se décide à se présenter aux deux conseils, à la tête de son état-major. Il se rendait à la barre des anciens, lorsqu'il rencontra Augereau. « Vous voilà dans une jolie position! lui dit d'un ton railleur cet ancien compagnon d'armes. Augereau, lui répondit Bonaparte, souviens-toi d'Arcole; les affaires y étaient bien pus désespérées qu'ici. » Et il continua son chemin pour se rendre aux anciens.

Admis à la barre, et ayant obtenu la parole, Bonaparte s'exprime en ces termes :

« Représentants du peuple, vous n'êtes point, dans des circonstances ordinaires; vous êtes sur un volcan. Permettez-moi de vous parler avec la franchise d'un soldat, avec celle d'un citoyen zélé pour le bien de son pays, et suspendez, je vous prie, votre jugement jusqu'à ce que vous m'ayez entendu.

» J'étais tranquille à Paris, lorsque je reçus le décret du conseil des anciens, qui me parla de ses dangers, de ceux de la république. A l'instant j'appelai, je retrouvai mes frères d'armes, et nous vinmes vous donner notre appui, nous vinmes vous offrir les bras de la nation, parce que vous en étiez la tête. Nos intentions furent pures, désintéressées, et, pour prix du dévouement que nous avons montré hier, aujourd'hui déjà on nous abreuve de calomnies. On parle d'un nouveau César, d'un nouveau Cromwell; on répand que je veux établir un gouvernement militaire.

>> Représentants du peuple, si j'avais voulu opprimer mon pays, si j'avais voulu usurper l'autorité suprême, je ne me serais pas rendu aux ordres que vous m'avez donnés; je n'aurais pas eu besoin de recevoir cette autorité du sénat. Plus d'une fois, et dans des circonstances très-favorables, j'ai été appelé à la prendre. Après nos triomphes en Italie, j'y ai été appelé par le vœu de mes camarades, par celui de ces soldats qu'on a tant maltraités depuis qu'ils ne sont plus sous mes ordres, de ces soldats qui sont obligés, en core aujourd'hui, d'aller faire, dans les déserts de l'ouest, une guerre horrible, que la sagesse et le retour aux principes avaient calmée, et que l'ineptie ou la trahison vient de rallumer.

» Je vous le jure, représentants du peuple, la

tés se récrient contre cette assertion; d'autres demandent que le conseil se forme en comité secret pour entendre la continuation des révélations de Bonaparte; mais la majorité décide qu'il continuera de parler en public.

patrie n'a pas de plus zélé défenseur que moi : je | qui ont des idées libérales.... » Plusieurs dépume dévoue tout entier pour faire exécuter vos ordres; mais c'est sur vous seuls que repose son salut; car il n'y a plus de directoire : quatre des membres qui en faisaient partie ont donné leur démission, et le cinquième a été mis en surveillance pour sa sûreté. Les dangers sont pressants, le mal s'accroît; le ministre de la police vient de m'avertir que, dans la Vendée, plusieurs places étaient tombées entre les mains des chouans. Représentants du peuple, le conseil des anciens est investi d'un grand pouvoir; mais il est encore animé d'une plus grande sagesse : ne consultez qu'elle et l'imminence du danger; prévenez les déchirements; évitons de perdre ces deux choses pour lesquelles nous avons fait tant de sacrifices, la liberté et l'égalité...

Représentants du peuple, continue Bonaparte, je vous le répète, la constitution trois fois violée n'offre plus de garantie aux citoyens; elle ne peut entretenir l'harmonie parce qu'elle n'est respectée de personne. Qu'on ne croie pas que je tiens ce langage pour m'emparer du pouvoir après la chute des autorités; le pouvoir, on me l'a offert encore depuis mon retour à Paris. Les différentes factions sont venues sonner à ma porte; je ne les ai pas écoutées parce que je ne suis d'aucune coterie, parce que je ne suis que du grand

- Parlez donc aussi de la constitution! » lui parti du peuple français. crie le député Liuglet.

Cette interpellation trouble un moment Bonaparte, mais il reprend aussitôt avec force:

«La constitution!... vous l'avez violée au 18 fructidor; vous l'avez violée au 22 floréal; vous l'avez violée au 50 prairial. La constitution! elle est invoquée par toutes les factions, elle a été violée par toutes; elle est méprisée par toutes; elle ne peut plus être pour nous un moyen de salut, parce qu'elle n'obtient plus le respect de personne. Représentants du peuple, vous ne voyez pas en moi un misérable intrigant qui se couvre d'un masque hypocrite. J'ai fait mes preuves de dévouement à la république. et toute dissimulation m'est inutile. Je ne vous tiens ce langage que parce que je désire que tant de sacrifices ne soient pas perdus. La constitution, les droits du peuple ont été violés plusieurs fois; et, puisqu'il ne nous est plus permis de rendre à cette constitution le respect qu'elle devait avoir, sauvons les bases sur lesquelles elle repose, sauvons l'égalité, la liberté; trouvons des moyens d'assurer à chaque homme la liberté qui lui est due, et que la constitution n'a pas su lui garantir. Je vous déclare qu'aussitôt que les dangers qui m'ont fait confier des pouvoirs extraordinaires seront passés, j'abdiquerai ces pouvoirs. Je ne veux être, à l'égard de la magistrature que vous aurez nommée, que le bras qui la soutiendra et fera exécuter ses ordres. »

Ici, Bonaparte est encore interrompu par plusieurs membres du conseil, qui le somment de fournir les preuves des dangers dont il parle.

S'il faut s'expliquer tout à fait, répond le général; s'il faut nominer les hommes, je les nommerai; je dirai que les directeurs Barras et Moulins m'ont proposé de me mettre à la tête d'un parti tendant à renverser tous les hommes

» Plusieurs membres du conseil des anciens savent que je les ai entretenus des propositions qui m'ont été faites, et je n'ai accepté l'autorité que vous m'avez confiée que pour soutenir la cause de la république. Je ne vous le cache pas, représentants du peuple, en prenant le commandement, je n'ai compté que sur le conseil des anciens; je n'ai point compté sur le conseil des cinq-cents, qui est divisé; sur le conseil des cinq-cents où se trouvent des hommes qui voudraient nous rendre la convention, les comités révolutionnaires et les échafauds; sur le conseil des cinq-cents où les chefs de ce parti viennent de prendre séance en ce moment; sur le conseil des cinq-cents d'où viennent de partir des émissaires chargés d'aller organiser un mouvement à Paris.

» Que ces projets criminels ne vous effraient point, représentants du peuple; environné de mes frères d'armes, je saurai vous en préserver. J'en atteste votre courage, vous mes braves camarades, vous aux yeux de qui l'on voudrait me peindre comme un ennemi de la liberté; vous grenadiers dont j'aperçois les bonnets; vous braves soldats dont j'aperçois les baionnettes que j'ai si souvent fait tourner à la honte de l'ennemi et à l'humiliation des rois, que j'ai employées à fonder des républiques. Et, si quelque orateur, payé par l'étranger, parlait de me mettre hors la loi, qu'il prenne garde de porter cet arrêt contre lui-même! S'il parlait de me mettre hors la loi, j'en appellerais à vous, mes braves compagnons d'armes, à vous, braves soldats, que j'ai tant de fois menés à la victoire; à vous, braves défenseurs de la république, avec lesquels j'ai partagé tant de périls pour affermir la liberté et l'égalité; je m'en remettrais, mes braves amis, au courage de vous tous et à ma fortune.

Je vous invite, représentants du peuple, à vous former en comité général, et à y prendre des mesures salutaires que l'urgence des dangers commande impérieusement. Vous trouverez toujours mon bras pour faire exécuter vos résolutions. »

Bonaparte s'étant tù sans avoir satisfait aux désirs de ceux des membres du conseil qui le pressaient de dévoiler les complots dont il parlait, le président l'engagea de nouveau à faire connaître les dangers dont il avait dit que la république était menacée.

« J'ai eu l'honneur de dire au conseil, répondit Bonaparte, que la constitution ne pouvait sauver la patrie, et qu'il fallait arriver à un ordre de choses tel que nous puissions la tirer de l'a- | bime où elle se trouve. La première partie de ce que je viens de vous répéter m'a été dite par les deux membres du directoire que je vous ai nommés, et qui ne seraient pas plus coupables qu'un très-grand nombre d'autres Français, s'ils n'eussent fait qu'articuler une chose qui est connue de la France entière. Puisqu'il est reconnu que la constitution ne peut plus sauver la république, hâtez-vous donc de prendre des moyens pour la retirer du danger, si vous ne voulez pas recevoir de sanglants et d'éternels reproches du peuple français, de vos familles et de vous-mêmes. »

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méraire? lui crie Bigonnet, en le repoussant ;
vous violez le sanctuaire des lois.
- Est-ce pour
cela que tu as vaincu? ajoute Destrem. — Reti
rez-vous! lui crie-t-on de toutes parts. Bona
parte fait signe qu'il veut parler; mais les cris
de vive la constitution! vive la république! lui
ferment la bouche. Les imprécations redoublent;
on n'entend plus que ces exclamations: A bas le
Cromwell! à bas le dictateur! hors la loi le ty-
ran! Bonaparte pâlit et se trouble. Les grena-
diers, qui voient sa position, s'avancent, le dé-
gagent des mains des députés et l'entraînent hors
de la salle. Pour cacher sa faiblesse, Bonaparte
dit que des représentants du peuple ont voulu
l'assassiner, et cette fable, qui a servi de prétexte
aux violences employées ce jour-là contre le con-
seil des cinq-cents, a été répétée de bouche en
bouche jusqu'au jour où M. Dupont (de l'Eure )
en a démontré la fausseté à la tribune de la cham-
bre des députés. Au reste, s'il ne s'est pas trouvé
quelques Brutus de fait dans le conseil des cinq-
cents, c'est parce que l'assassinat répugne à nos
mœurs; peut-être, encore, si Bonaparte n'a pas
éprouvé en ce moment le sort de César, c'est que
les députés n'avaient d'autres armes que celles de
la loi. Quoi qu'il en fût des dispositions de ces dé-
putés républicains, la vérité est que, ni Thomé,
à qui le gouvernement accorda une pension, ni
aucun autre grenadier, ne reçut la moindre égra-
tignure en tirant le général Bonaparte de la fà-

Ce discours sans ordre, sans suite, adressé
tantôt aux représentants, tantôt aux soldats, et
dans lequel il répétait toujours les mêmes dénon-cheuse position où il se trouvait.
ciations, sans fournir les preuves qu'on lui de-
mandait, dénotait l'embarras et le trouble où Bo-
naparte se trouvait. Il se voyait déjà menacé
d'être mis hors la loi. Toutefois ses partisans lui
ménagèrent un triomphe dans le conseil des an-
ciens, et la proposition que fit le député Dalphonse
de renouveler le serment de fidélité à la constitu-
tion de l'an III, fut accueillie par des murmures.
Au même instant on entendait à l'extérieur les
cris de vive Bonaparte! La discussion fut inter-
rompue par ceux qui étaient intéressés au ren-
versement de cette constitution.

Enhardi par le succès qu'il venait d'obtenir chez les anciens, Bonaparte se rend au conseil des cinq-cents, où l'orage grondait. Il laisse ses grenadiers à la porte, et entre seul, la tête nue. A son aspect, à celui des baïonnettes qu'on aperçoit à l'entrée de la salle, tout le conseil se lève spontanément. Qu'est-ce que cela? s'écrie-t-on de toutes parts. Des sabres, des baïonnettes ici? à bas le dictateur! le Cromwell! Hors la loi! hors la loi !..... Une foule de députés se précipitent au milieu de la salle. Bonaparte est entouré, menacé, saisi violemment au collet, avant qu'il ait pu dire un seul mot: « Que faites-vous, té

La scène qui venait d'avoir lieu avait jeté le désordre dans l'assemblée; et l'agitation, au lieu de s'apaiser par le départ de Bonaparte, devint encore plus tumultueuse dès qu'il fut sorti. Chaque député proposait des mesures de salut public et de défense. Les motions se croisaient dans tous les sens. On décréta successivement que le conseil serait en permanence; que le décret rendu la veille par le conseil des anciens était nul sous le rapport de la nomination du général Bonaparte au commandement de la force armée; que toutes les troupes rassemblées à Saint-Cloud faisaient partie de la garde du corps-législatif, et que le commandement en était confié au général Bernadotte. De toutes les parties de la salle on voue Bonaparte à l'exécration générale, et l'on veut forcer le président à mettre aux voix la proposition, qui se renouvelle à chaque instant, de déclarer son frère hors la loi. Lucien s'y refuse obstinément « Osez-vous, dit-il, imposer à un frère une lâcheté aussi atroce? — Sois Brutus, lui répond-on; le sang se tait quand la patrie parle; prouve au moins que tu n'es pas un traïtré. » Lucien cherche à défendre son frère, mais les clameurs l'interrompent encore. Il quitte

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