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publics, dans toutes les rues de la capitale, les | rendit à l'église Saint-Louis. Là, après avoir inmêmes acclamations qu'à Versailles.

La conduite ferme du tiers-état imposa au parti aristocratique, qui mit tout en œuvre pour parer le coup dont il était menacé. Ce parti voyait avec la plus grande peine la défection qui s'annonçait parmi les membres de la noblesse et du clergé il crut qu'il fallait en venir au plan de conciliation qu'il avait repoussé avec hauteur quelques jours auparavant; et à cet effet il voulut solliciter l'intervention royale. Mais la minorité s'opposa à cette demande, en disant qu'il n'en était plus temps.

Cette minorité, et celle de l'ordre du clergé qui avait déjà présenté ses titres à l'assemblée nationale, pressaient de toutes leurs forces la réunion des trois ordres, et opinaient pour que la question de la vérification en commun fût mise aux voix. En vain les évêques voulurent-ils reculer cette épreuve par toutes sortes de moyens: il ne leur fut plus possible de différer le recensement des opinions du clergé; et ce scrutin donna d'abord pour résultat cent trente-sept voix contre la vérification en commun, et cent vingt-neuf pour cette vérification.

La minorité se plaignit de la manière dont les voix avaient été comptées : elle réclama, pour la vérification en commun, neuf voix qui avaient fait quelques réserves, et que, pour ces motifs, les prélats avaient regardées comme acquises à leur parti. Ces prélats persistèrent à déclarer que le scrutin leur avait donné la majorité. Alors la minorité accepta les réserves, et devint ainsi majorité elle eut cent quarante-neuf voix pour la vérification en commun.

Cependant Necker n'était plus le maître du conseil du roi; on y avait avait appelé le comte d'Artois, les princes de Condé et de Conti, et tout annonçait la chute du ministère Necker chercha à prévenir cette chute, et parvint à faire retarder d'un jour la séance royale, qui avait été annoncée pour le 22 juin.

Ce jour-là même le clergé devait se réunir à l'assemblée, et, quoique la salle fût toujours fermée, le président et les secrétaires annoncèrent que la séance tiendrait dans un autre local. On ne pouvait plus se réunir au Jeu de Paume, car le maître avait fait dire que le comte d'Artois l'avait retenu sous prétexte d'y jouer; on chercha une autre salle : l'église des Récollets fut d'abord proposée, et on s'y rendit. Mais, outre qu'elle parut trop incommode, les députés s'aperçurent que les religieux n'étaient pas touchés, comme J'avait été le maître du Jeu de Paume, de l'honneur que leur faisait l'assemblée : on ne voulut ni les chagriner, ni les exposer; et le cortége se

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stallé le président et les secrétaires, on disposa, à la droite, un nombre de chaises égal au nombre des places que le clergé avait dans les états-généraux.

Pendant que l'assemblée nationale cherchait un local pour y siéger, la majorité du clergé courait les rues de Versailles pour opérer sa réunion; et ce ne fut qu'après quelques heures de perdues que la députation de cet ordre, présidée par l'évêque de Chartres, se présenta dans l'église SaintLouis, pour y annoncer la réunion, et demander place dans l'assemblée. Le président lui répondit que le clergé serait reçu avec tout l'empressement et le respect qui lui était dû, et que la place ordinaire de préséance était prête.

Enfin le clergé se présenta: seize députés furent à sa rencontre, et le doyen d'àge, l'archevêque de Vienne, sur l'invitation de l'assemblée, prit séance à côté du président, Bailly, qui dit au clergé : « Ce jour est un jour de bonheur pour » l'assemblée nationale; mais il nous reste encore » des vœux à former; je vois avec peine que des » frères d'un autre ordre manquent à cette au» guste famille. »

Ainsi s'opéra cette réunion importante. La majorité du clergé, en arrivant à l'assemblée nationale, y amenait l'ordre du clergé, lequel, réuni aux communes, formait la pluralité des étatsgénéraux; dès lors la volonté de l'assemblée devenait la volonté de la nation. C'était un grand événement, qui ne laissait plus d'autre espoir à la majorité de la noblesse que de provoquer un coup d'état.

Pour comble de bonheur, ce jour même deux membres de la noblesse du Dauphiné, le marquis de Blacons et le comte d'Agoust, députés par les trois ordres de cette province, furent soumettre à l'assemblée la vérification de leur mandat, et demander communication des pouvoirs des autres membres. Ce fut encore une conquête précieuse; elle fit renaître les mêmes transports de joie qui avaient accueilli le clergé.

Cependant la cour n'en persista pas moins dans ses projets. Le soir même il y eut de grands débats dans le conseil. On sut que Necker n'approuvait pas les mesures qui allaient être prises, et qu'il n'assisterait pas à la séance on ajoutait même que ce ministre serait renvoyé dans la journée; enfin on assurait que des troupes nombreuses entouraient Versailles, et que la cour voulait imposer par le déploiement d'une grande force militaire. L'inquiétude fit place à la joie qu'avait fait naître la réunion du clergé aux communes.

Le 25 juin, jour qu'on redoutait tant, fut un de ceux où l'assemblée trouva le moyen de se

vivement l'article dans lequel le roi, se faisant l'arbitre de ce qui est propriété ou de ce qui ne l'est point, déclarait expressément comprendre sous le nom de propriétés les dimes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux.

grandir encore aux yeux de la nation. Dès le | norité du clergé eurent l'indécence d'applaudir matin, on avait annoncé que les deux premiers ordres entreraient par la porte de l'avenue, et les communes par une porte opposée donnant sur la rue du Chantier, et que préalablement elles se réuniraient dans une galerie de bois servant de vestibule à cette porte. Il n'y avait pas à délibérer sur cette inconvenance; on la sentait, mais on ne se réunit pas moins, et même de bonne heure. Cette galerie, beaucoup trop petite pour contenir tous les députés, en laissait un grand nombre | d'exposés à la pluie qui tombait en ce moment. On fit attendre assez longtemps pour lasser la patience des députés, qui, plus d'une fois, voulurent s'en aller : la porte s'ouvrit enfin, et on introduisit les communes, qui entrèrent dans le plus morne silence et trouvèrent les deux autres ordres placés.

Le roi arriva presque aussitôt : il prononça un discours dans lequel il parla de tout ce qu'il avait fait pour satisfaire aux vœux de la nation. Il se plaignit de la funeste division qui existait dans les états- généraux et qui alarmait tous les esprits, et finit par annoncer aux députés qu'il les avait fait rassembler pour faire cesser cette mésintelligence et pour réprimer les atteintes qui avaient pu être portées au véritable esprit des lois du royaume.

Le roi fit lire ensuite une première déclaration, qui cassait les arrêtés de l'assemblée du tiers-état, du 17 juin, comme illégaux et inconstitutionnels; les mandats impératifs l'étaient aussi. Le roi exhortait les trois ordres à se réunir, dans cette tenue d'état seulement, pour délibérer en commun, et il déterminait les formes à y observer.

Louis XVI prit une seconde fois la parole pour prévenir l'assemblée qu'on allait lui mettre sous les yeux les différents bienfaits qu'il accordait à ses peuples. Ces bienfaits du roi, promis à la nation, et contenus dans une espèce de plan de réforme intitulé Déclaration des intentions du roi, n'étaient qu'une dérision: il n'y était question ni de la constitution tant demandée, ni de la participation des états-généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté de la presse, ni enfin de rien de ce qui constitue la liberté civile et la liberté politique des peuples; mais les prétentions des ordres privilégiés étaient conservées, le despotisme consacré, et les étatsgénéraux abaissés sous le pouvoir royal. Au reste, toutes les formes impératives étaient employées : le prince ordonnait et ne consultait pas. C'était comme dans un de ces lits de justice où le roi venait semoncer le parlement.

A cette lecture, les communes restèrent silencieuses; mais la majorité de la noblesse et la mi

Enfin, le roi se leva et parla pour la troisième fois. « Vous venez, Messieurs, d'entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues, dit-il; elles sont conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien public; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes peuples; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant ; et, connaissant vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe entre le vœu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j'aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie ; je marcherai vers le but que je veux atteindre, avec tout le courage et la fermeté qu'il doit m'inspirer.

» Réfléchissez, Messieurs, qu'aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale : ainsi, je suis le garant naturel de vos droits respectifs, et tous les ordres de l'état peuvent se reposer sur mon équitable impartialité. Toute défiance de votre part serait une grande injustice; c'est moi, jusqu'à présent, qui fais tout pour le bonheur de mes peuples; et il est rare peut-être que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter ses bienfaits.

» Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les chambres affectées à votre ordre pour y reprendre vos séances. J'ordonne en conséquence au grand-maître des cérémonies de faire préparer les salles. »

En prononçant ces derniers mots, le roi se leva et sortit de la salle : la totalité de la noblesse et une partie du clergé se retirèrent; mais les communes demeurèrent à leurs places, et gardèrent le plus profond silence.

On avait remarqué que Necker n'avait pas assisté à la séance, et l'on se consolait en pensant que tout n'était pas perdu puisque le ministre qui voulait réellement opérer les grandes réformes demandées par la nation se montrait évidemment opposé aux mesures qui venaient d'être prises, et qu'on ne pouvait pas douter avoir été dictées par les privilégiés et les ennemis de la liberté. Pendant qu'on se livrait à ces réflexions, le grandmaître des cérémonies s'approcha du président Bailly, et lui dit : « Monsieur, vous avez entendu l'ordre du roi. -Bailly lui répondit froidement :

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« Monsieur, l'assemblée s'est ajournée après la séance royale; je ne puis la séparer sans qu'elle en ait délibéré. Est-ce là votre réponse, et puis-je en faire part au roi? - Oui, monsieur.» Mirabeau, présent à cette sommation, s'emporta contre M. de Brézé, et ajouta d'une voix retentissante : « Allez dire à ceux qui vous envoient, que nous sommes ici par la volonté du peuple, et que nous ne quitterons nos places que par la force des baionnettes. » Cette réponse hardie, devenue si célèbre, préparait, pour ainsi dire, la délibération qui allait s'entamer.

Cependant les ouvriers se mettaient à détendre les tapisseries et à démonter les boiseries; et l'assemblée, si elle eût cédé au bruit que l'on faisait déjà, se serait trouvée dans le cas où elle fut le jour de la séance du Jeu de Paume. Le député Camus, éclatant contre le despotisme de ce lit de justice et contre l'atteinte portée à la liberté des états-généraux, proposa à l'assemblée de persister dans ses arrêtés, qu'aucune autorité ne pouvait annuler. Plusieurs membres l'appuyèrent avec la même force, et l'abbé Sièyes, se résumant froidement au milieu de l'indignation générale, dit aux députés : « Messieurs, vous êtes aujourd'hui ce que vous étiez hier. » La discussion ne fut pas longue : l'assemblée, dans un ordre admirable et dans un silence majestueux, adopta la motion de Camus, et déclara, à l'unanimité, qu'elle persistait dans ses précédents arrêtés.

Cette détermination si simple, si précise et si logique, fut accueillie par les applaudissements des personnes qui se trouvaient sur l'estrade, en même temps qu'elle frappa de stupeur les courtisans. Mais comme les actes royaux annonçaient que la cour ne s'en tiendrait pas à ses déclarations, et que la liberté personnelle des députés pouvait être violée, Mirabeau fit la motion de déclarer les députés inviolables: Bailly s'y opposa parce qu'il regardait cette inviolabilité comme suffisamment établie; mais Mirabeau lui répondit avec chaleur : « Vous ne savez pas à quoi vous vous exposez! Si vous ne portez pas le décret, soixante députés, et vous le premier, serez arrêtés cette nuit. » Mirabeau avait raison; aussi sa motion fut-elle adoptée, et l'assemblée déclara infâme, traître et coupable de lèse-nation quiconque oserait poursuivre, arrêter ou détenir un député.

Ainsi la fameuse séance royale fut loin d'avoir atteint le but que se proposaient ceux qui l'avaient conseillée; et Necker, qui s'y était si manifestement opposé, n'en devint que plus cher au peuple. Il était cependant en disgrâce, et on parlait de son départ prochain; mais, dès que la nouvelle de son renvoi se fut répandue, on vit accourir sous

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son attachement et ses regrets de le perdre : un ses fenêtres une foule immense pour fui exprimer grand nombre de députés se rendirent également chez lui; l'opinion se manifesta si vivement, que la cour sentit qu'il serait imprudent et même dangereux de renvoyer un ministre devenu si populaire. La reine, quoiqu'elle ne l'aimât pas, céda aux exigences de la politique, le fit appeler chez elle et réussit à le rapprocher du roi. Necker resta pour jouir d'un triomphe momentané.

Le lendemain, lorsque Bailly se présenta pour tinelles appartenant aux gardes françaises; mais entrer dans la salle, il la trouva entourée de sentier. Etonnés de cet appareil, ils demandèrent les députés purent entrer par la rue du Chanà l'un des officiers commandant ces postes quelle était la consigne: il répondit qu'il était chargé d'empêcher les étrangers d'entrer dans la salle. Il y avait longt mps que cette admission des étrangers, qui s'étendait jusqu'au peuple, inquiétait les ministres et la cour; ils auraient voulu qu'on n'admit que des personnes choisies, et qu'on donnât des billets. Mais les représentants du peuple pouvaient-ils choisir parmi leurs commettants, et donner des billets à la nation pour être admise dans le lieu où se discutaient ses plus chers intérêts? L'ouverture libre des portes était un devoir indispensable, quelles qu'en pussent être les suites. L'assemblée nationale, qui avait montré tant d'énergie, avait besoin d'appui, et elle n'en pounier demanda qu'une députation fût envoyée au vait trouver que dans l'opinion publique. Mouroi, pour lui exposer que les représentants de la nation devaient avoir la police du lieu de leur assemblée; que la garde devait en être à leurs ordres, et qu'il n'y avait point de délibération libre là où existait une force armée.

Cette députation fut autorisée; mais avant qu'elle se mît en route, on annonça l'arrivée de la majorité du clergé. Ces nouveaux collègues furent reçus avec les plus vifs applaudissements. plète, intime, et les mesures que l'on avait prises Ainsi l'union du clergé aux communes était compour l'empêcher ne servirent qu'à l'accélérer. Quant à la minorité du clergé, elle fut ce jour-là même exposée aux insultes du peuple : l'archevêque de Paris, prélat vertueux, mais qui s'était laissé entrainer par faiblesse, fut suivi à sa saillie à coups de pierres. On fut obligé de faire sortie de la salle du clergé, et sa voiture fut asmarcher des troupes et des gardes-du-corps pour contenir le peuple et dissiper les rassemblements. La cour saisit ce prétexte pour augmenter les forces militaires qui étaient à Versailles, et tous les jours on y voyait arriver de nouveaux détachements.

examen. La noblesse s'indigna d'une proposition qui lui faisait perdre tout le fruit de sa résistance; mais son président lui ayant lu en ce mo

d'Artois dans laquelle il faisait entendre qu'il fallait se réunir, parce que la vie du roi était menacée, on le crut ou on feignit de le croire, et tout céda à ce motif. Ainsi les deux ordres se réunirent à la salle commune, le 27 juin, quatre jours après la séance royale qui avait défendu cette réunion.

Cependant les députés de la noblesse siégeaient toujours dans la plus grande agitation. Le courage et la prudence de l'assemblée nationale, les forces qu'elle venait d'acquérir, tout irritait et enflam-ent-là quelques fragments d'une lettre du comte mait ces hommes si peu à la hauteur des circonstances. D'Espréménil, qui avait renoncé à sa belle popularité pour un diplôme de noblesse, proposa de décréter le tiers-état, et de le faire poursuivre par le procureur-général; proposition digne d'un fou. La minorité, ayant à sa tête le duc d'Orléans, demanda la réunion; mais cette motion fut rejetée au milieu du plus affreux tumulte. Alors cette minorité, composée de quarantesept membres, sortit de la salle et se rendit en corps dans celle de l'assemblée nationale, accompagnée par les vivat de la population, qui, malgré la consigne, voulut les escorter jusque dans l'enceinte des délibérations.

« Nous venons remplir un devoir, dit M. de Clermont-Tonnerre, et céder à l'impulsion de notre conscience; mais il se joint à cet acte de patriotisme un sentiment douloureux. Cette conscience qui nous amène a retenu un grand nombre de nos frères... Nous vous apportons le tribut de notre zèle et de nos sentiments, et nous venons travailler avec vous à l'œuvre de la régénération publique. » Bailly lui répondit que leur présence répandait la joie et la consolation dans l'assemblée, et qu'il espérait que la justice, la raison et l'intérêt de la patrie ne tarderaient pas à y réunir la totalité de la noblesse, pour travailler de concert à la régénération du royaume, au soulagement du peuple, et pour porter la vérité au pied du trône.

De ce jour, les noms des quarante-sept nobles qui venaient de faire cette démarche patriotique furent chers à la nation. Mais tel était l'esprit qui régnait dans la majorité de la noblesse, qu'en apprenant cette démarche, un de ses membres, homme de cour, s'écria de bonne foi : « Que je les plains! Voilà quarante-sept familles déshonorées et auxquelles personne ne voudra plus s'allier. » La minorité du clergé et la majorité de la noblesse tinrent pourtant encore deux séances dans leurs salles; mais elles disparaissaient devant la majesté de l'assemblée nationale, qui servait de ralliement à la nation. Tout pressait donc une réunion, devenue indispensable depuis que l'autorité du despotisme avait reculé devant l'immobilité d'une poignée d'hommes libres. Toutes les intrigues, toutes les ruses pour empêcher cette réunion, étaient usées : la cour le sentit, et le roi écrivit aux présidents de la noblesse et du clergé pour les inviter à se réunir à l'assemblée des états-genéraux, afin de s'y occuper librement de sa déclaration du 25 juin. Le clergé obéit sans

On les y attendait, et l'assemblée ainsi que les spectateurs témoignèrent leur satisfaction par des applaudissements et par des cris répétés de vive le roi! vive l'assemblée nationale! On voyait aisément sur le visage des nouveaux venus des marques d'aigreur: on savait qu'ils arrivaient malgré eux; mais il fallait ne pas s'en apercevoir, et les accueillir cordialement. Après s'être laissé presser pour prendre la parole, le cardinal de La Rochefoucauld, président du clergé, annonça en peu de mots qu'ils étaient conduits dans la salle commune par leur amour et leur respect pour le roi, leurs vœux pour la paix et leur zèle pour le bien public. Le duc de Luxembourg, président de la noblesse, dit que son ordre avait arrêté de se rendre dans la salle nationale pour donner au roi des marques de son respect, et à la nation des preuves de son patriotisme. Bailly leur répondit que la famille était complète ; que ce jour célèbre fiuissait à jamais les divisions qui avaient affligé tout le monde, et que l'assemblée nationale allait s'occuper sans relâche de la régénération du royaume et du bonheur public.

Au sortir de la séance, les habitants de Versailles, si cruellement agités depuis plusieurs jours, accoururent au château : les gardes étonnés se disposaient à fermer les grilles, lorsque les cris vive le roi! leur annoncèrent que c'était la joie qui rassemblait tout ce peuple. Les flots de citoyens se succédèrent, et la ville entière fut entrainée par l'enthousiasme dans les vastes cours du château on demanda le roi et la reine, qui se présentèrent sur le balcon pour recevoir les bénédictions de cette foule immense; tant il était facile à contenter ce peuple que les courtisans ont toujours peint comme intraitable! de là cette foule se porta chez Necker, chez M. de Montmorin et chez le duc d'Orléans. Le soir, la ville fut spontanément illuminée, et la nuit se passa dans des réjouissances.

Mais pendant que l'assemblée nationale, complétée par la réunion de tous les députés, se livrait à l'examen de la question des mandats impératifs, si habilement résolue par Sièyes, et que déjà les membres de la commission chargée du

travail préparatoire de la constitution à faire | par une armée de trente mille hommes, commanétaient nommés, ceux qui avaient résolu de tout dée par des généraux expérimentés. renverser plutôt que de voir continuer les étatsgénéraux, formaient le projet de dissoudre l'assemblée nationale par la force, et au prix de tout le sang qu'il pourrait en coûter. Ils sentaient que leur règne allait finir pour faire place à celui de la loi; ils voyaient que la source de leurs déprédations et des abus allait être tarie. La fureur et l'extravagance leur firent concevoir un plan qui, s'il eût été exécuté, eût livré la France entière aux horreurs de la guerre civile.

Sous prétexte de maintenir la tranquillité, les meneurs du complot avaient obtenu un grand rassemblement de troupes dans les environs de Paris, et on avait eu soin de choisir des régiments étrangers comme moins propres à sympathiser avec les bourgeois. Mais l'objet réel de cette réunion de forces était un coup d'état contre les ministres populaires et contre l'assemblée nationale. Elle devait être dissoute violemment, en même temps que l'on exilerait Necker et le duc d'Orléans : une soixantaine de membres de l'assemblée, les plus marquants par leurs lumières et leur patriotisme, devaient être arrêtés et déportés, et, au lieu d'une constitution, on aurait octroyé à la nation la déclaration du 23 juin.

Tel était le plan que les courtisans avaient conçu, et qui était vivement appuyé par la reine et par les princes de la famille royale.

Mais Paris embarrassait beaucoup les auteurs du complot. Cette ville immense, qui est à elle seule une nation entière, et beaucoup plus impressionable qu'une nation, en ce que les impulsions de l'opinion s'y font sentir avec la force et la rapidité du fluide électrique, et qu'il suffit de quelques moments pour agiter toute une population active, brave, formidable quand elle se lève; Paris, dis-je, s'était fortement prononcé en faveur de l'assemblée nationale. Il fallait donc l'entourer d'une armée commandée par des chefs dévoués à la cour, afin de combattre, ou plutôt de massacrer les Parisiens, s'ils faisaient résistance. Dans ce dessein, on fit avancer quinze régiments, presque tous étrangers; on fit venir de l'artillerie des frontières, et on plaça toutes ces forces, appuyées par d'autres troupes, sous les ordres du maréchal de Broglie. Le baron de Besenval reçut le commandement particulier de celles qui étaient le plus près de Paris.

A Versailles, des troupes allemandes, des hussards, des canonniers paraissaient avoir été rassemblés avec des intentions hostiles. Enfin les conspirateurs se croyaient assurés du succès, et s'en vantaient, ne doutant pas qu'une populace qu'ils méprisaient ne fût aisément mise à la raison

En ce moment Paris offrait le spectacle le plus extraordinaire. Dépourvu de subsistances et à la veille d'être épuisé par la famine, un autre fléau, celui de la guerre, semblait encore le menacer : on y vivait dans les alarmes. Mais d'un autre côté, l'élan donné aux esprits par l'assemblée, le feu sacré de la liberté qui s'allumait dans tous les cœurs, la haine de la tyrannie et des classes privilégiées, donnaient à cette population une attitude imposante et redoutable. Ce n'était pas une populace ignorante, tumultueuse, qui s'agitait; c'était tout ce que cette ville renfermait d'hommes éclairés et braves, de tous les états et de toutes les conditions, qui se réunissaient dans le danger commun. Les femmes même encourageaient les citoyens à la défense de leurs droits et de leurs foyers. Jamais ce sexe n'avait montré tant d'audace que dans ces moments de crise.

et

Heureusement Paris n'était plus comme autrefois une ville peuplée d'individus isolés, dépourvus de moyens de communication entre eux, ne sachant où se rallier la division en soixante districts avait donné à chacune de ces fractions de la grande cité des chefs naturels dans les électeurs, et ces électeurs réunis formaient un corps considérable représentant la commune. Depuis les élections ce corps s'était regardé comme les véritables commettants des députés, et il n'avait cessé de correspondre avec l'assemblée générale. Déjà une députation d'entre eux s'était rendue à Versailles pour y féliciter l'assemblée sur la conduite sage, ferme et patriotique qu'elle avait tenue, et pour lui porter l'adhésion des électeurs aux arrêtés pris par elle. Cette correspondance, ces encouragements étaient le chaînon qui unissait la population de Paris à l'assemblée de Versailles. Siégeant tantôt au Musée, d'où ils furent chassés, tantôt dans le premier local qui se présentait, les électeurs de Paris, dont le courage grandissait avec le danger, avaient enfin obtenu pour eux l'ouverture de l'Hôtel-de-Ville, où ils s'étaient constitués au péril de leur vie. De ce moment l'autorité était passée dans leurs mains, et les citoyens leur obéissaient avec confiance.

Une autre réunion de patriotes avait aussi lieu tous les jours au Palais-Royal : quoique sans mission, elle n'en exerçait pas moins une grande influence sur les habitants de Paris, et s'était même cru en droit d'envoyer une députation à l'assemblée nationale pour la prier d'agréer le juste tribut de l'admiration des citoyens de Paris pour tous ses actes patriotiques. La députation avait été admise, et les sentiments qu'elle exprimait dans l'adresse avaient été agréés.

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