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furent employés à aller chercher au fond de la mer les huîtres qui produisaient les perles sur les côtes de Cubagua. De là des fortunes considérables parmi les Espagnols; mais les artisans de ces grandes fortunes mouraient par milliers. Les Indiens, condamnés à ce travail, plongeaient dans la mer depuis le matin jusqu'au soir; un Espagnol était là, dans un canot, chargé de les surveiller. Si l'un d'entr'eux restait trop long-tems à respirer au-dessus de l'eau, l'Espagnol l'y repoussait aussitôt à coups de fouet ou de bâton.

La religion chrétienne protesta au nom de ces malheureux. Un missionnaire dominicain, Montesino, éleva le premier la voix, en 1511, dans la grande église de Saint-Domingue. Accusé par les officiers royaux, il repassa la mer, se justifia auprès de Ferdinand, et fit rendre en faveur des Indiens quelques ordonnances qui ne furent point exécutées. La tyrannie espagnole fut encore plus cruelle après le départ de Diego Colomb, quand Rodrigue d'Albuquerque fut chargé du partage des Indiens. Des 60,000 naturels qui restaient encore à Espagnola en 1507, il n'y en avait plus que 14,000 en 1516.

» Alors parut dans le Nouveau-Monde un homme qui devait consacrer toute sa vie à la défense du faible contre le fort, Barthelemy de Las Casas. Il était né à Séville en 1474, d'une famille d'origine française. Son père, Antoine de Las Casas, avait suivi Christophe Colomb dans son second voyage, en 1493, et il était revenu très-riche à Séville, en 1498.

> Barthelemy accompagna Ovando à Espagnola en 1502, et là, témoin de la misère des Indiens, il résolut de leur porter appui. En même tems qu'il travaillait à convertir ces malheureux, il s'efforçait de ramener leurs tyrans à la morale de l'Evangile. Il regardait les Indiens comme ses frères, et, confirmant sa doctrine par son exemple, il refusa sa part d'esclaves quand les repartimientos furent rétablis. Lorsque le mal fut parvenu à son comble, il seconda courageusement les Dominicains, et tenta de s'opposer à la tyrannie d'Albuquerque; mais ne pouvant rien obtenir, il retourna en Espagne et parvint jusqu'au roi. Il lui peignit, avec une énergique éloquence, la misère de ce qui restait d'Indiens; il lui reprocha comme une impiété la destruction d'nne race que la Providence lui avait donnée à instruire. Ferdinand, qui touehait au tombeau, écouta le prê

tre avec les marques d'un profond repentir. Il cherchait à réparer tout le mal qu'il avait laissé faire, lorsqu'il mourut.

Charles d'Autriche, qui n'était point encore l'empereur Charles-Quint, résidait dans les Pays-Bas. Las Casas, n'écoutant que son ardeur, se préparait à partir pour la Flandre, quand le cardinal Ximénès, régent de Castille depuis la mort de Ferdinand, prêta l'oreille au défenseur des Indiens. Ximénès aimait les plans nouveaux et inattendus: sans s'arrêter aux droits que don Diego Colomb prétendait tenir de sa naissance, ni aux règles établies par le feu roi, il envoya en Amérique trois surintendans des colonies pour décider en dernier ressort la question de l'esclavage. C'étaient trois moines de l'ordre de Saint-Jérôme, auxquels fut associé Zuaco, jurisconsulte distingué.

» La question était grave: il s'agissait de savoir si l'Europe reconnaîtrait quelque droit aux peuples nouveaux qu'elle commençait à conquérir, ou si elle allait fonder sur l'autre continent la servitude que le Christ était venu briser dans le nôtre quinze siècles auparavant. Les trois moines Hiéronymites devaient être juges, et, devant ce tribunal, les deux parties étaient représentées, l'une par Zuaco, l'autre par Las Casas. Le jurisconsulte représentait le droit acquis, le droit qui résulte du fait, c'est-à-dire, les intérêts matériels et politiques. Le théologien représentait le droit antérieur et supérieur au fait, le droit qui proteste contre la force; et, dans un siècle où l'Eglise attaquée de toutes parts, allait subir des tentatives de réforme, Las Casas était du petit nombre des hommes qui étaient restés fidèles à l'esprit véritable de la loi chrétienne.

» La commission prit un terme moyen. Après un mûr examen, elle se convainquit que les Espagnols établis en Amérique étaient en trop petit nombre pour suffire à l'exploitation des mines, à la culture des terres. En conséquence, elle ne crut pas pouvoir abolir l'esclavage des Indiens, mais elle s'efforça d'en restreindre les effets; elle fit des réglemens doux et humains, et ajoutà aux réglemens l'exemple et les exhortations. Zuaco, sans abandonner les intérêts de la métropole et des colons, fit d'utiles réformes dans la justice et dans la police.

» Las Casas ne fut point satisfait, il ne pouvait pas l'être; es→ prit inflexible et exclusivement religieux, il prétendait que les

Indiens étaient libres d'institution divine, et il sommait les surintendans de ne pas les dépouiller du droit commun de l'humanité. Les surintendans reçurent avec douceur ses remontrances les plus âpres; les colons, moins modérés, faillirent le mettre en pièces. Après avoir été obligé de se cacher dans un couvent pour échapper à l'indignation publique, il repartit pour l'Europe, se promettant bien de soutenir toujours, envers et contre tous, la liberté de ses Indiens.

» En Espagne, il se contraignit jusqu'à faire la cour aux Flamands qui entouraient le trône du jeune roi (1517), et il obtint la révocation des surintendans. Mais comment les colonies pouvaient-elles subsister si les Américains, naturellement indolens, n'étaient forcés au travail ? Ce fut alors que Las Casas conseilla, dit-on, d'acheter des noirs en Afrique, dans les établissemens portugais, de les transporter à Espagnola, et de les employer comme esclaves à la culture du sol et à l'exploitation des mines.

» Est-ce donc à Las Casas, au généreux protecteur des Indiens, qu'il faut imputer l'établissement de la traite des noirs? Non, sans doute, car les Portugais avaient exercé ce trafic inhumain dès l'époque de leurs premières conquêtes sur les côtes occidentales de l'Afrique. Vingt ans avant la découverte de l'Amérique, des esclaves nègres cultivaient la terre dans les îles de Saint-Thomas et d'Annobon. Il y en avait même en Amérique dès les premières années du seizième siècle. Las Casas ne vint à Espagnola qu'en 1502, et en 1501 une ordonnance d'Isabelle avait permis d'y transporter des esclaves nègres, pourvu qu'ils fussent nés parmi les chrétiens, et élevés dans la religion catholique. En 1503, Ovando se plaignait qu'il y eût trop de nègres à Espagnola, et il demandait qu'il ne fût pas permis d'en importer davantage. En 1511, quand la population indienne fut si cruellement réduite, Ferdinand y suppléa en faisant acheter un grand nombre de noirs sur les côtes de Guinée. Enfin, en 1516, le roi Charles accorda à un de ses courtisans flamands le privilége de transporter 4,000 noirs en Amérique.

» C'était donc un usage établi depuis long-tems, lorsque Las Casas l'approuva dans l'intérêt des Indiens, en 1517. Le cardinal Ximénès s'était, il est vrai, opposé à ce commerce;

mais ce n'était pas, comme l'a pensé Robertson, par esprit de justice et d'humanité; c'était par des motifs purement politiques. Cet homme, dont le regard plongeait au loin dans l'avenir, avait prévu la supériorité future de la race noire sur des colons amollis; il avait deviné, au commencement du seizième siècle, la république noire d'Haïti '.

» Quant à Las Casas, en tolérant la traite, il cédait à cette opinion généralement répandue que la race noire était inférieure à la nôtre. D'ailleurs, entre deux maux, il choisissait le moindre; il préférait l'esclavage d'une race fortement organisée à celui d'une population débile pour qui la servitude était un arrêt de mort. Mais le Flamand qui avait été autorisé à faire la traite, vendit son privilége 25,000 ducats à des marchands génois, et ceux-ci haussèrent tellement le prix des noirs qu'il s'en vendit trop peu pour les besoins d'Espagnola : le sort des Indiens en fut à peine amélioré.

» Las Casas, désespérant alors des établissemens déjà formés, voulut en créer un nouveau qui pût servir de modèle aux anciens. Il prétendait en exclure ces deux classes d'hommes qui fondent une colonie et qui la défendent, les navigateurs et les gens de guerre. Son projet était de n'admettre dans son établissement que trois espèces de personnes, des prêtres, des artisans et des cultivateurs. Il s'engageait à civiliser dix mille Indiens dans l'espace de deux ans, à les faire travailler sans les y forcer, et il promettait qu'en dix années la colonie serait assez florissante pour rendre au gouvernement un revenu de 60,000 ducats.

1 Marsollier cite une lettre de Ximénès, où le cardinal avait développé ses idées au sujet des nègres qu'on proposait de transporter à Espagnola : il les regarde comme un peuple capable de résister aux plus grandes fatigues, mais en même tems très-hardi et très-susceptible de se multiplier; il ajoute que, si on les laisse devenir trop nombreux à Saint-Domingue, ils se révolteront infailliblement et asserviront à leur tour les Espagnols. Hist. du card. Ximénės, liv. v1.

• On avait calculé que le travail d'un noir équivalait à celui de quatre Américains. « Les Africains, dit un historien espagnol, se portaient si bien dans Espagnola qu'on croyait qu'un nègre ne mourrait pas à moins qu'il ne lui arrivât d'être pendu. Comme les orangers, ils trouvaient à Espagnola le sol qui leur était propre, un sol qui semblait même leur être plus favorable que celui de la Guinée où ils avaient pris naissance. » Herrera dec. 1, lib. 1, c. 4.

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» Autant on avait de respect en Espagne pour la piété de Las Casas, autant on se défiait de ses plans politiques. Cependant on lui céda, après beaucoup d'opposition, un espace de trois cents milles sur la côte de Cumana, 'près du golfe de Paria, en 1520. Il trouva un très-petit nombre d'artisans et de cultivateurs disposés à l'accompagner. Lorsqu'il arriva en Amérique, les Espagnols venaient de faire une guerre acharnée aux habitans de Cumana, et ceux-ci brûlaient de se venger. Las Casas, à peine installé avec les siens, sentit la difficulté de se soutenir sans soldats et presque sans armes contre des voisins aussi incommodes. Le danger devenait de plus en plus menaçant : Las Casas fut obligé d'aller solliciter lui-même du secours à Espagnola. Mais à peine fut-il parti qu'une nuée d'Indiens se jeta sur la colonie, et tous ces pauvres cultivateurs, artisans et ecclésiastiques, dont Las Casas attendait tant de merveilles, saisis de terreur et incapables de se défendre, s'enfuirent au plus tôt dans l'ile de Cubagua, où l'on avait établi une pêcherie de perles. La colonie de Cubagua fut elle-même désertée, et il ne resta pas un Espagnol sur la côte de Cumana, ni dans les îles voisines. >> Las Casas n'osant plus se montrer, alla s'enfermer dans le couvent des dominicains, à Saint-Domingue, et, plus tard, il écrivit l'histoire des malheurs qu'il n'avait pu empêcher 1. »

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Lorsque la tyrannie espagnole dépeupla le Mexique comme Saint-Domingue, Las Casas essaya encore de se jeter entre les bourreaux et les victimes; il signale, avec une sainte indignation les crimes dont il fut témoin dans cette nouvelle conquête ; il montre les Espagnols exterminant, sans scrupule et sans remords, une race qu'ils regardaient comme maudite. En 1542, il se trouvait à Madrid, toujours occupé, même dans ses vieux jours, de la cause sacrée à laquelle il avait consacré sa vie. Il apprit les excès de ses compatriotes dans le Pérou C'est alors qu'il rédigea son ouvrage sur la destruction des Indiens, livre qui est resté comme un monument de l'avidité féroce d'une nation, et de la charité céleste d'un chrétien. En présence de ces épouvantables massacres, on éprouve quelque soulagement en entendant une voix qui s'élève comme une immortelle protestation en faveur de l'humanité odieusement outragée.

1 L'ouvrage de Las-Casas, intitulé: Brevissima relacion de la destruycion de las Indias, ne fut écrit qu'en 1541 et 1542.

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