Sayfadaki görseller
PDF
ePub

paration du poëte, entre ses dix-huit et ses vingt-cinq ans, et se produire sa première œuvre. Quelle opportunité son siècle et sa ville pouvaient-ils alors prêter à une semblable éclosion? Tout d'abord il faut constater que Florence lui offrait la paix, et c'était là le plus rare des bienfaits. Au sortir des rudes guerres du milieu du XIIIe siècle, et avant de tomber dans les atroces désordres qui devaient en désoler la fin, Florence a connu une sorte de trêve de Dieu; on l'appela la Paix du Cardinal Latino, pour perpétuer le souvenir du légat apostolique aux bons offices duquel elle était due. Elle dura, plus ou moins complètement, pendant plusieurs années. Il n'a jamais fallu plus qu'un coup de soleil à Florence, pour qu'elle refleurisse après les orages les plus sombres; ainsi fit-elle pendant les jours qui suivirent la paix de 1280. Elle s'épanouit dans le travail, l'industrie, le commerce, par l'amour de la vie, de l'art et de Dieu; elle étendit ses domaines; elle bâtit des églises et fit peindre des fresques; et, pour repos des rudes besognes, elle connut des joies, des rendez-vous de société, des fêtes, tous les nobles et galants plaisirs de la chevalerie d'autrefois, où prenait vite goût la bourgeoisie prospère des temps nouveaux.

C'était donc une heure favorable, l'heure où le jeune Dante arrivait à la virilité. Voilà un point qu'il ne faut pas oublier, et que l'on néglige trop souvent. Les malheurs qui briseront sa vie, les ténèbres et les épouvantes qu'il

[ocr errors]

1

lui faudra traverser, n'effaceront jamais tout à fait ce qui en lui est lumière et fête, grâce chevaleresque, élégance, toutes les images nobles ou délicates de bravoure et d'orgueilleuse assurance, de gaîté, de danse, de chant, de jeu ou de chasse. Il nous faudra toujours l'apercevoir, au moins de loin, sous les traits d'un enfant de bonne race, fier de son peuple et de son sang, se plaisant en galante et haute compagnie, amoureux de la nature, sensible à la beauté et aux grâces féminines, connaissant les troubles d'un cœur brûlant. C'est un gentilhomme florentin, un soldat, un poëte courtois il fait la guerre et il chante l'amour.

Tous ces traits nous sont nécessaires pour comprendre sa figure, et dès l'abord ils nous sont fournis par la VITA NOVA. Mais ce ne sont encore pourtant que traits de surface et qui ne nous révèlent pas le fond de son âme. En dernière analyse il règne dans ce cœur un amour, qui domine tous les autres, c'est l'amour de la science. Il faut dire un « amour », car c'est le mot vouloir, d'un désir illimité, la possession de la vérité, pour trouver en elle la béatitude, comme la trouve l'amant heureux dans l'amour de sa dame, c'est là le mouvement d'âme qu'il faut savoir reconnaître dans quelques-uns de ces sublimes fils du XIII° siècle, dont Dante est le type le plus complet.

Nous ne pouvons plus très bien nous représenter, je pense, en nos siècles un peu lassés et déçus par l'excès

1

race

même du savoir, ce que put être, en d'autres temps, l'amour de la science. « Pensez, dit Ruskin, au goût délicieux et délicat qu'on trouvait jadis à cette nourriture-là, quand elle n'était pas aussi commune qu'aujourd'hui, quand les jeunes hommes ceux de belle en avaient faim et soif1! » Si cette faim, si cette soif, cet appétit, (suivant l'expression Dantesque), n'eussent pas possédé l'âme de Dante, comment peut-on supposer la vérité de ce fait surprenant entre tous : ce jeune homme du monde, ce soldat, ce poëte acquiert... (au moins en ses formes générales), toute la science de son temps, et cela, tout seul ou à peu près, par un effort personnel de volonté, et avant l'âge de trente ans?

Il faut se rappeler quelle était cette science, qui excitait tant d'amour, et quels attraits elle pouvait exercer sur l'esprit d'un jeune homme de cet âge. D'abord c'était une science chrétienne, la possession de la vérité éternelle révélée de Dieu; tel était le premier aspect qui se présentait à l'âme d'un chrétien tel que Dante. Mais il faut se rappeler aussi quelle forme nouvelle avait récemment prise la science chrétienne, par l'enseignement qu'avaient donné les maîtres de l'ordre de Saint-Dominique. C'était une encyclopédie immense et sans limites; elle s'étendait par sphères successives, depuis les connaissances sensibles les plus précises, jus

1. Dans Fors clavigera, (citation que j'emprunte à M. André Chevrillon).

qu'à la raison pure, jusqu'à la contemplation extatique de la vérité absolue; elle comprenait toutes les connaissances humaines, et par sa méthode symétrique, elle les ordonnait toutes en Dieu. Mais si elle satisfaisait l'intelligence, elle comblait aussi le cœur ; elle est fondée sur la raison, mais aussi sur l'amour : le Dieu vers qui elle mène est le Dieu Incarné et Rédempteur.

C'était de quoi ravir l'esprit d'un jeune étudiant passionné.

Une autre chose encore pouvait toucher intimement sa pensée toscane, sa pensée latine. Jamais, malgré le cours des siècles, l'âme latine ne s'était déshabituée de l'influence profonde des poëtes, des philosophes, des orateurs de l'antiquité grecque et romaine1. La philosophie scientifique du xir siècle lui donnait une certaine satisfaction. Elle accomplissait, entre la sagesse antique et la science chrétienne, un accord et une union qu'en vain chercheront les siècles suivants. Thomas avait fait ce grand miracle, nié d'abord, contesté, puis consacré enfin par l'approbation de l'Église catholique, et béni, si l'on en croit la légende, par la voix du Christ lui-même ; il avait ressuscité en une vie nouvelle l'antique philosophie, il l'avait conquise à la vérité évangé

1. Cf. F. NOVATI, L'Influsso del pensiero latino. (Milan 1897). On ne saurait recourir trop souvent à cette leçon magistrale, devenue, grâce à son riche appareil de notes et de commentaires, l'introduction nécessaire de toute étude de la pensée Italienne.

[ocr errors]

lique: il fondait sa méthode de démonstration chrétienne sur la dialectique grecque; il christianisait le Péripatétisme; il baptisait Aristote.

Pour qui sait voir, la partie morale et métaphysique de la philosophie Thomiste se devine déjà presque entière dans la Vita Nova. A vingt-cinq ans, Dante en possédait tous les principes. Il faut se demander comment il était matériellement possible qu'il les acquît. Florence n'avait pas alors d'Université; les leçons que pouvait trouver un enfant sur les bords de l'Arno ne devaient guère dépasser le niveau d'une modeste pédagogie grammaticale. Dante ne put pas s'instruire au pied d'une chaire illustre ou auprès de maîtres fameux. Il poursuivit et découvrit lui-même la science; il fut✔ bien de ceux qui s'enseignent eux-mêmes, un autodi-✅ dacte, ainsi que l'ont été plusieurs grands penseurs ; mais le fait est plus extraordinaire pour lui que pour bien d'autres, vu la complexité et le nombre des connaissances que supposait l'étude de la théologie scolastique. Il faut bien croire, et cela va sans dire, qu'il trouva dans cette Florence de sa jeunesse, sinon des maîtres, du moins certains directeurs de pensée1. Mais à la vérité nous ne savons pas exactement quels ils furent. En tous cas il ne trouva pas un enseignement régulièrement organisé.

1. C'est en ce sens sans doute que D. a pu dire que Brunetto Latini « l'a enseigné » (Cf. Inf. XV, v. 85).

« ÖncekiDevam »