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Au point où Guinizelli a amené la poësie, elle n'est donc plus que l'idéalisation chrétienne de l'amour et de la femme. L'éloge traditionnel de la femme dans sa beauté, dans le charme de son être, dans le bonheur que son amour promet à l'homme depuis le jour où Dieu au Paradis terrestre les créa l'un pour l'autre, s'est peu à peu limité à la seule part spirituelle de celle beauté, de ce charme, de ce bonheur. Pour pousser jusqu'à ce point l'éloge de Madame, le poëte reste cependant fidèle aux formules des vieux chanteurs d'amour profane. Ces formules se plient aisément au symbolisme ✓ traditionnel de l'Ecriture et des Pères de l'Eglise. Car depuis les jours du Cantique des Cantiques, on a souvent vu transposer du profane au sacré et du naturel au surnaturel les images et le langage de l'amour. La littérature chrétienne apporte au poëte un trésor de ces moyens d'expression: ce sont spécialement les images radieuses dont les plus lyriques des Pères de l'Église ont peint la joie de l'âme sanctifiée dans la possession de l'amour de Dieu, la transfiguration des âmes dans l'éternelle béatitude. Se conformant à la pensée et à la langue même de l'Église catholique, le poëte va béatifier Madame, la canoniser, la transporter illuminée au Paradis1.

Encore un peu plus et Madame s'immatérialise tout à

I Dans sa Beatrice beata, E. PROTO a fait voir combien Dante, dans la V. N. notamment, a fait d'emprunts directs aux lettres de S. Jérome à Eustochie, où il s'agit du bonheur du ciel.

fait, son amour n'est plus que la charité, sa beauté que la vérité éternelle. Mais non! Ce restera toujours Madame, et la poësie théologique de ces poëtes singuliers sera toujours, comme nous le verrons, une poësie amoureuse. Sur ces limites presqu'insaisissables de la terre et du ciel, où la tendresse humaine se confond presque en l'amour de Dieu, Dante, dans son voyage surhumain, apercevra la figure de Guinizelli, son maître. Ce sera sur le dernier degré de la montée du Purgatoire, très haut déjà sur la route de pénitence, mais non cependant tout en haut; encore un peu plus outre, et le maître du Doux Style nouveau aura franchi le dernier échelon et effacé la dernière souillure; sa flamme, suivant la belle expression d'un de nos poëtes, i aura consumé ce qu'elle avait d'impur. Il n'a plus qu'à sauter le dernier pas, pour traverser le rideau' embrasé, qui seul le sépare du sommet enchanté, où est la joie, l'harmonie, la lumière, où est Béatrice. Mais il ne l'a pas sauté : car au cœur du poëte qui chante les passions de l'amour, du plus épuré même, il reste quelque chose des ardeurs humaines. Ainsi Dante, avec la netteté usuelle de ses symboles, a pu nous faire comprendre quel rôle et quelle action il attribuait à Guido Guinizelli son maître.

Il y avait des raisons spéciales pour que l'art savant de Guinizelli se développât à Bologne et non ailleurs. L'Université de Bologne était alors le centre d'enseigne-✓

ment de l'Europe entière: la nouvelle poësie était scolastique. C'est là un mot dont il ne faut pas avoir peur; il ne nuit en rien au charme gentil de cette poësie. J'ai dit avec quelle adoration les bons esprits de jadis ont embrassé la science scolastique, qui nous apparait, quant à nous, de loin, grave et pesante, dans les longues pages serrées des Sommes. Les arts du dessin, autant que la poësie, en ont vanté les attrails. Combien d'oeuvres d'art délicates nous rappellent encore les délices du Trivium et du Quadrivium? De belles jeunes femmes souriantes y figurent les plus austères des sciences.

Il ne faut pas oublier d'ailleurs que l'enseignement, à Bologne surtout, était fondé en grande partie sur la lecture des Pères de l'Eglise aux grandes envolées mystiques, de ceux dont l'éloquence verbale se rapproche le plus de la poésie; tel saint Grégoire, mais surtout saint Augustin, penseur encyclopédique, et orateur aux chaudes métaphores, l'un des Pères dont les œuvres mêlent le plus la tradition des poëtes antiques aux splendeurs du dogme chrétien 1.

Les maîtres qui enseignaient alors la science à Bologne étaient les plus grands qu'ait produits le Moyen

1. Le Vocabulaire même de St Augustin peut être rapproché souvent de celui des poëtes de la nouvelle école. En lisant la V. N. il y aura lieu de se souvenir que St Augustin a écrit : « Toute vertu est amour. »

âge. On a remarqué très justement qu'au moment même où Guinizelli et ses premiers disciples rimaient, Bologne avait vu se succéder récemment dans ses chaires théologiques Maitre Albert le Grand, et saint Thomas d'Aquin1. Le Doux Style nouveau est né à Bologne, auprès de l'Université, -on pourrait presque dire, au pied de la chaire où enseignait l'Ange de l'École.

A côté des influences dominicaines si évidentes, il faut naturellement, dans la formation de la nouvelle école poëtique, faire place aux influences franciscaines. Là, ▾ comme en beaucoup de points de l'histoire morale de l'Italie, les deux influences se sont rencontrées et confondues; le baiser mystique de François et de Dominique s'est échangé une fois de plus. On sait comment, dans la Divine Comédie, Dante, toujours juste en ses jugements, et critique précis, a réparti également et justement balancé, si je puis dire, le mérite entre Fran- ‹ çois et Dominique. Pour ignorer ici l'influence francis

1. Je noterai en son temps certaines idées de la V. N. qui ont rapport aux doctrines d'Albert le Grand. Cf. BERTONI, loc. cit. et SALVADORI : Sulla vita giovanile di D. (Rome, 1907). — St Thomas achevait, en 1269, à Bologne la partie morale de la Somme. Les nouveaux interprètes de D., et surtout Flamini, ont montré quelle place le Thomisme tient dans sa pensée. Pour interpréter la V. N., en maints passages où il s'agit d'amour, d'appétit (désir) et de vertu, on se souviendra avec utilité par exemple de cette définition de St Thomas: Amor significat coaptationem quandam appetitivæ virtutis ad aliquod bonum.

caine, il faudrait ignorer et les attaches probables de Dante en sa jeunesse au tiers ordre franciscain, et la poësie franciscaine tout entière. Il faudrait, alors qu'on veut parler d'idéal féminin dans la béatitude chrétienne, oublier sainte Claire d'Assise.

Et d'ailleurs, dans l'Italie du XIII° siècle, l'air qu'on respire est franciscain. Pour entendre la doctrine de la poësie qui nous occupe, tenons compte avant tout de l'enseignement des chaires bolonaises aux environs de 1270; pour en comprendre la forme, n'oublions pas le suave naturalisme de la langue et de la pensée franciscaine.

Le Doux Style n'était pas de nature à connaître la popularité; loin de là. Aux jours même où Guinizelli chantait, il arriva à un bien petit nombre de poëtes d'avoir ✓ l'âme assez délicate pour le comprendre et l'imiter. Le

mystique bolonais n'eut pas beaucoup plus de disciples qu'il n'avait eu de compagnons le culte de la vie inté✓rieure est toujours réservé aux moins nombreux. Les beati pauci du Doux Style nouveau se comptent aisément sur les doigts; ils ne sont guère qu'une dizaine en tout, jusqu'à Guido Cavalcanti à Florence, et par lui jusqu'à Dante; auprès de lui, on citera Cino da Pistoja, dont on peut proposer de faire le chaînon par lequel (de loin, de très loin), François Pétrarque pourra luimême se relier à cette école d'idéal.

En fait le Doux Style nouveau aboutit à Dante et se

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