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présenter la suite des faits, ainsi que nous pouvons les comprendre: Béatrice était une charmante et vertueuse jeune fille; Dante fit des vers pour elle, ainsi qu'il était d'usage qu'on en fit pour les dames, et prit comme sujet de ses vers, suivant le même usage, quelques circonstances de ses rencontres avec sa Dame. Ces vers, à vrai dire eurent dès le début une tournure allégorique, et l'eurent de plus en plus, à mesure que Dante s'attacha plus aux principes du Doux Style nouveau. Ce caractère allégorique s'affirma plus complètement encore lorsque Dante coordonna ses vers en un récit suivi, car la Vita Nova est un livre entièrement symbolique, et destiné donc à faire découvrir une pensée métaphysique sous une matière sensible. C'est entendu, et les idéalistes ne sauraient trop le répéter.

Mais il y a une matière sensible, et voilà où s'assurent les réalistes. Cette matière sensible est si réelle que Dante nous a même donné, sous le voile d'une quintessence astrologique et géométrique, des dates et une chronologie. La première rencontre avec Béatrice est de 1274; la seconde de 1283; et quant à la date de la mort de Béatrice, en termes embrouillés mais intelligibles, elle nous est fixée, avec plus de précision encore, au 8 juin 1290. C'est deux ou trois ans plus tard, comme on l'a vu, qu'il composa, à la louange et pour la glorification de la Dame, le fameux « petit livre ». Ce fut en 1291 ou 1292.

On ne peut guère douter de tout cela. Oui, Dante a fondé son récit sur des réalités historiques, et Béatrice fut une dame réelle. Mais, dans la Vita Nova, il y a bien d'autres réalités historiques encore. On y lit par exemple tout un chapitre d'histoire littéraire; c'est l'épisode du premier sonnet, qui nous introduit dans un cercle florentin au XIIIe siècle, nous fait deviner Cavalcanti et son école. Combien d'autres réalités ne découvrirait-on pas encore ?

Le principal est ceci : Dante a rimé allégoriquement pour une dame véritable. De cela nous aurions pu être sûrs d'avance, en observant les usages et l'état d'âme des poëtes de son temps et de son pays. Il n'était pas possible que sa dame poëtique ne fût pas une dame véritable. Je ne sais pas s'il est prouvé que quelque poëte courtois ait versifié pour une dame imaginaire. Mais assurément cela n'est arrivé, ni ne pouvait arriver à aucun poëte florentin. J'en ai pour garant ce profond connaisseur de l'âme florentine, Isidoro del Lungo. Il a écrit sur la réalité des Dames florentines quelques-unes des meilleures pages qui soient de critique Dantesque1. Je les analyse ici.

A première vue, observe del Lungo, il peut paraître vraisemblable que les Dames des poëtes fussent fictives et imaginaires. Les Dames, en effet, de nos antiques

1. Cf. Beatrice nella vita e nella poesia del secolo XIII. (Milan, 1891), pp. 13 sq.

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rimeurs n'avaient rien à faire avec la femme que le sort leur avait donnée pour compagne de leur vie, (pour compagne très chère, lorsqu'il plaisait à Dieu !) Leur « Madame », leur « Dame gentille » restait hors de la famille et de la maison: dans la maison et dans la famille, le florentin était bien autre chose que faiseur de rimes amoureuses; il était marchand, tisseur de laine, banquier, juriste; et puis il était magistrat, homme de parti, soldat de chevauchée, ambassadeur de la Commune, gouverneur dans d'autres villes d'Italie. Mais ce n'est pas tout il était actif père de famille, travaillant à assurer la fortune des siens ; lorsqu'il partait en voyage d'affaires, il confiait le soin de sa maison à sa dame, non pas, entendez-vous, à sa dame poétique, mais à la vraie, à son épouse; car elle avait la main vigoureuse et savait administrer son ménage. Ils travaillaient sans relâche tous les deux à la prospérité de ce ménage, et ce n'était pas mince besogne, car le plus souvent ils avaient beaucoup d'enfants; toute leur volonté était d'assurer pour l'avenir les espérances et les desseins qu'avaient conçus pour euxmêmes autrefois leurs honnêtes parents, lorsqu'ils les avaient unis comme mari et femme.

Et puis comme la plus pratique, la plus laborieuse des vies laisse parfois se développer, malgré mainte compression, quelque souffle d'idéal, tout ce qui en pouvait

subsister s'échappait, se répandait au dehors dans les rimes d'amour. On faisait des vers, « ou disait par rimes » à la louange d'une dame poëlique. Une idée

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donc vient aussitôt à l'esprit, au sujet de cette dame des rimes amoureuses: complètement étrangère et extérieure à toutes les choses dont l'homme de ce temps avait souci et amour, cette dame n'était, cette dame ne pouvait être, qu'une dame idéale, une figure poëtique, un thème à traiter en vers. Mais non! il n'en était point ainsi; et par suite même des conditions psychologiques de la vie ici décrites, il n'en pouvait pas être ainsi. Par leurs habitudes pratiques et positives mêmes, les hommes de ce temps répugnaient à rien faire qui fùt entièrement abstrait et indéterminé. « Si la gentillesse du cœur les portait à dire par rimes des paroles d'amour, ils voulaient une dame à qui les adresser, une dame vraie et vivante, avec son nom et son surnom. » Et comme à cette dame « il était difficile d'entendre des vers latins » c'est Dante même qui l'observe, ils disaient leurs paroles d'amour en bonne et simple langue vulgaire.

Tel est le raisonnement de del Lungo ; j'y ajouterai une seule réflexion.

Le Doux Style nouveau n'a rien changé à l'usage des amours poëtiques; il n'a fait qu'ajouter un élément de plus, par gentillesse subtile, à l'éloge des Dames. Les poëtes de cette école avaient l'âme assez raffinée pour

prendre leurs Dames en guise de symboles, se servir de leur beauté pour représenter des Vérités et des Vertus. Soit. Mais ils ne l'avaient pas assez compliquée pour chanter des Dames qui n'existassent pas; car c'est là, en vérité, un degré de plus dans le raffinement intellectuel. Les Dames que les poëtes conduisent en allégorie jusqu'au ciel, sont bien cependant au départ des dames de la terre.

Il n'en reste pas moins que l'usage des dames poëtiques est une forme archaïque el bizarre de galanterie intellectuelle, que nous avons peine à comprendre à distance. C'était très naïf, et très innocent assurément, puisqu'en ces temps si férocement délicats sur le point d'honneur, on ne voit pas qu'aucune querelle ou jalousie soit née à Florence de l'amour courtois. Pour nous, à notre point de vue, il semble difficile que les rapports réciproques de l'amant poëtique et de la dame idéale ne créassent pas une situation fausse. Elle pourra nous le paraître moins, si nous nous aidons de quelques comparaisons. L'usage permettait qu'un artiste, un poëte put contempler et vanter les charmes d'une dame, et lui déclarer amour sans qu'aucun des siens y trouvât mot à dire. Bien plus la famille tenait pareil service à honneur: on voit le frère de Béatrice solliciter de Dante quelques vers de plus sur sa sœur. Un frère, un mari ou un fiancé ont pris le même plaisir, en divers temps, à voir quelque illustre

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