des plans d'aménagement, plantait des pépinières, ou décidait des coupes de l'hiver. Mais combien étaient courtes, pour de Lapparent, ces villégiatures du forestier, et combien souvent il dut constater que les défilés de l'Argonne, qui avaient arrêté des armées, étaient incapables d'arrêter, dans sa marche, un éditeur chargé d'épreuves à corriger! Jamais cependant il ne demanda grace; on le trouvait toujours prêt pour l'action. La superbe activité de de Lapparent s'était développée sans arrêt, pendant cinquante ans. Travailleur infatigable, son labeur s'est manifesté par une série presque ininterrompue de publications où tour à tour il a abordé les questions spéciales et les problèmes généraux de l'histoire du globe, l'exposé didactique de trois sciences, la discussion des relations de la science et de la religion. Sans jamais chercher à créer une doctrine qui lui fût personnelle, il a néanmoins exercé, en fait, une véritable juridiction parmi les géologues de son temps, d'autant plus efficace et d'autant mieux acceptée, qu'elle n'admettait d'autre souci que la recherche de la vérité, d'autre sanction que celle de l'opinion publique. Personne autant que lui n'a contribué à répandre en France les notions modernes concernant l'histoire de la terre, la connaissance et l'ordonnance des lois qui président à l'évolution du monde inorganique. Il a fait penser beaucoup d'hommes, et non aux choses qui les divisent le moins, leur montrant par son exemple, qu'une noble façon d'aimer son pays et son temps, est de travailler avec ardeur à préparer l'avenir, sans méconnaître le passé. Et il a mérité que son œuvre s'impose à tous, comme un témoignage en faveur de la liberté d'enseigner. Bonne et utile, sa vie a été belle par son unité. Le cours s'en est déroulé suivant une voie très droite, illuminée par la splendeur de sa foi. De Lapparent était un croyant. Il avait foi en la science, sans la croire infaillible; foi dans l'affection, le dévouement, l'honneur, le sacrifice, choses qu'il tenait pour plus belles et plus nobles que tous les résultats du haut savoir; foi dans les vérités religieuses, qui planent au-dessus des contingences humaines; foi même dans la justice des hommes; foi dans ses rêves d'école et de camaraderie polytechnicienne! Et sa foi ne devait être démentie en aucun point: il avait mis son idéal plus haut que les réalités terrestres. Homme de combat, il eut durant sa vie, cette paix radieuse que l'Écriture promet aux hommes de bonne volonté. Il a laissé en mourant une mémoire glorieuse pour son école et pour son parti, un nom pour la science francaise. CH. BARROIS, Membre de l'Institut. LES EMPREINTES DIGITALES Les bases scientifiques de la Dactyloscopie ET (1) ses applications judiciaires ( Il y a quelque vingt ans, lorsque Galton fit sa première communication à l'Institution Royale de Londres, sur l'identification par les empreintes digitales, dont ses patientes recherches venaient de démontrer l'absolue immutabilité et le caractère éminemment personnel, le monde scientifique accueillit ses conclusions avec un scepticisme très marqué; mais quand, deux ans plus tard, Forgeot en France affirma dans sa thèse la possibilité de révéler les empreintes digitales invisibles, laissées sur les lieux du crime et d'y lire le signalement du coupable, des protestations s'élevèrent de toute part. Qui donc oserait affirmer l'identité d'un homme en se basant sur l'empreinte de ses doigts, et faire dépendre la liberté d'un prévenu, sa vie peut-être, de quelques lignes trouvées à la surface de la peau, alors que nous connaissons la variabilité de tous les éléments organiques, le renouvellement continuel de l'épiderme qui nous protège, à son détriment, contre les heurts incessants des corps ambiants? (1) Conférence faite à l'assemblée générale de la Société scientifique, le 20 avril 1909. Et cependant, sur le petit espace limité par nos dernières phalanges, se trouve un dessin caractéristique, immuable, extrêmement complexe, different non seulement pour tous les hommes, mais encore pour tous les doigts. Je vais essayer de vous en faire la démonstration, de vous prouver que le dessin papillaire possède bien tous ces caractères et que, s'il les possède, c'est en raison de la structure anatomique de la peau, c'est que les nécessités physiologiques de la fonction tactile l'exigent. Historique. -L'existence des crètes papillaires de la peau ne semble pas avoir échappé aux peuples préhistoriques: le fait parait indiqué par la découverte d'un petroglyphe en Nouvelle-Ecosse. On distingue nettement sur ce silex, trouvé par le colonel Garrick Mallory, le dessin d'une main humaine portant quelques crêtes papillaires parfaitement tracées. Il faut toutefois arriver aux anatomistes du XVIIe siècle pour obtenir une description sommaire des spires et des tourbillons qui ornent la pulpe de nos doigts. Avec leur esprit d'observation très affiné, ils reconnurent et décrivirent les dessins cutanés qui existent en plusieurs régions du corps, et ils les retrouvèrent, plus ou moins ébauchés, chez un certain nombre d'animaux. En 1823, un célèbre anatomiste de Breslau, Purkinje, décrivit le premier les systèmes de sinuosités papillaires qui ornent les pulpes digitales: sa description, d'une netteté classique, n'a nul besoin d'être modernisée et peut encore parfaitement servir d'introduction à un cours de dactyloscopie scientifique. Notons-le en passant, l'utilisation empirique de faits d'observation, qui serviront plus tard de base aux plus belles conquêtes de la science, a souvent précédé de plusieurs siècles leur découverte officielle par les savants. L'histoire rétrospective de la dactyloscopie en est un exemple. Les applications judiciaires et administratives des empreintes digitales, basées sur la constatation empirique de leur immutabilité, étaient en usage bien longtemps avant les travaux dactyloscopiques modernes, et il est piquant de constater que tant de siècles s'écoulèrent avant que les civilisations, dites avancées, songèrent à imiter les peuples primitifs en utilisant comme eux les empreintes digitales dans les questions d'identité, les actes administratifs et les enquêtes criminelles. C'est d'Extrême-Orient que nous vint la découverte de l'importance pratique des empreintes digitales. Au lendemain des premiers travaux parus en Europe sur la dactyloscopie, en 1894, un auteur japonais, Kumugasu-Minakata rappelait que de curieuses applications de la méthode dactyloscopique avaient force légale en Chine et au Japon, dès le commencement du VIIIe siècle. D'après la loi domestique de Tahio, écrite en l'an 702, pour obtenir le divorce, le mari devait donner à sa femme un document écrit de sa main, indiquant celle des sept raisons légales qu'il invoquait pour le procès : la désobéissance, la jalousie, le bavardage, la stérilité, la débauche, le vol ou la lèpre. Si le mari était illettré, il affirmait l'authenticité de sa requête en y appliquant le << Shan-mu-ying », l'empreinte des cinq doigts qui tenait lieu de signature. Notre civilisation moderne se contente encore de l'apposition d'une croix, dépourvue de tout caractère individuel, pour les pièces administratives relatives aux illettrés. Un des romans les plus populaires de la Chine, et dont les héros vivaient vers 1160, relate en ces termes la capture des deux femmes de Wu-Sung, assassins de leur beau-frère : « Il fit avancer les deux femmes, les força à imprégner leurs doigts d'encre et à les imprimer ». Il semble donc que, dès le xir siècle, les Chinois recouraient à la preuve digitale pour établir l'identité des criminels. |