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tion; elle ne conquiert que des faits; elle constate que les choses sont telles, sans voir pourquoi elles sont ainsi et ne sont pas autrement. L'expérience, « source unique de la vérité », s'arrête aux causes prochaines, elle est impuissante à remonter plus haut; on passe bien d'abord d'une cause à l'autre, mais on arrive bientôt à ce que Bacon appelait «< une cause sourde »(1). C'est pourquoi Auguste Comte prescrivait de ne plus s'occuper des causes premières. Nos modernisants ont retenu son précepte et ils renoncent par principe à faire parler « les causes sourdes ».

Que les expérimentateurs collectionnent pour les théoriciens des faits et des lois; voilà la matière sur laquelle ils travailleront. Ils les résumeront en un petit nombre de propositions, qui permettent à l'esprit de les voir d'ensemble, et ils les condenseront en quelques symboles faciles à retenir. C'est ce que Pierre Duhem. nous a révélé avec sa netteté et sa franchise habituelles, dans une déclaration qui est certes dénuée de tout artifice : « La science théorique a pour but de soulager la mémoire et de l'aider à retenir plus aisément la multitude des lois expérimentales » (2). Le rôle des théories est tout utilitaire; elles approvisionnent des recettes commodes, permettant d'agir avec succès sur le monde extérieur. Les plus belles théories physiques ne doivent plus être considérées que comme de simples instruments de classification; ce sont des étagères. Leur valeur est méthodologique. Elles ne doivent tendre et ne peuvent servir à autre chose qu'à classer

(1) Claude Bernard, La science expérimentale (Paris, J. B. Baillière, 1878), p. 360.

(2) P. Duhem, Réflexions au sujet des théories physiques; REVUE DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES, janvier, 1892, p. 140. Physique et Métaphysique, même Revue, juillet 1893. Sur la théorie physique, son objet et sa structure (Paris, Chevalier et Rivière, 1996). Duhem est encore revenu sur ces questions dans un article de la REVUE GÉNÉRALE DES SCIENCES, 15 janvier 1908, intitulé La valeur de la théorie physique.

les documents, à nous les présenter dans l'ordre le plus avantageux, à les ranger judicieusement par séries, par catégories, comme dans un catalogue systématique ce faisant, elles mémorisent la science du savant, de même que (salva reverentia) elles jalonnent les connaissances de l'élève en préparation d'examen et de concours; ils les aident, l'un comme l'autre, à ne pas oublier, par une habile coordination des énoncés et des formules.

La valeur de la théorie est par conséquent une valeur de direction, qu'on doit apprécier dans la mesure où elle trace au chercheur une règle de conduite. Elle contribue au développement du savoir humain en lui évitant les faux-pas, les détours inutiles, les impasses sans issue. C'est beaucoup : mais ne lui demandez rien de plus, car elle ne saurait le donner. Pénétrez-vous de cette idée et faites-en votre profit; elle vous gardera des trompeuses illusions que nous critiquons à bon droit dans l'histoire du passé.

Voilà la thèse qui cherche aujourd'hui à rallier les suffrages je me suis efforcé de la présenter fidèlement et de donner à ses raisonnements la forme incisive et serrée, d'où ils tirent leur force et qui a le plus contribué à leur succès.

Nous avons dit que tout le monde ne refuse pas aux hypothèses et aux théories de la physique toute valeur objective.

Cette opinion compte encore des adhérents convaincus, voire même d'ardents apologistes, qui ne reculent pas devant la controverse, savent manier le syllogisme et trouvent le moyen de se faire écouter. Tous leurs arguments ne sont pas également décisifs, mais quelques-uns d'entre eux sont de nature à faire de l'impression sur les esprits libres de prévention et de tout parti pris.

Ils ont eu de l'écho et recueilli un assentiment raisonné de la part de penseurs restés jusque là étrangers à nos discussions scientifiques (1).

Un avocat des anciennes idées, et ce n'était certes pas un des moindres, après avoir pris connaissance de la déclaration de Duhem, que nous venons de rappeler, s'écriait dans un véhément article de réplique : « Tel est donc le but suprême du savant (de soulager sa mémoire et de l'aider à retenir plus aisément la multitude des lois expérimentales): oui, vous, Galilée, vous, Newton, vous, Ampère, vous pensiez avoir soulevé un coin du voile qui nous cache les secrets de la nature; vous croyiez avoir entrevu quelques aspects de l'éternelle beauté ! Illusion: vous n'avez dépensé vos veilles et consumé votre génie qu'à élaborer un procédé mnemotechnique ! (2) »

Cette virulente apostrophe, par laquelle le savant ingénieur du corps des mines de France et le non moins distingué professeur protestait contre une formule dont il dénonçait l'étroitesse puritaine et la désolante aridité, constituait un moyen de polémique plutôt qu'un argument irréfutable, mais elle exprimait une pensée qui était venue à l'esprit de beaucoup d'autres. Il ne peut être question d'organiser un plébiscite des grands créateurs de théories et de jeter leur opinion dans la balance de la discussion, mais on droit néanmoins d'en appeler à leur témoignage. Or, Képler, le grand Kepler, qu'on a nommé le législa

(1) M. Abel Rey a pris pour sujet d'une thèse de doctorat ès-lettres, La théorie de la Physique chez les physiciens contemporains (Paris, Alcan, 1907) et il a exposé les idées dogmatistes avec talent; le lecteur se reportera avec fruit à cette étude très documentée.

(2) Eugène Vicaire, La valeur objective des hypothèses physiques; Revue DES QUESTIONS SCIENTIFIQUES, avril 1893, p. 451. Vicaire, qui avait occupé des chaires à l'École des Mines, au Collège de France et à l'Université catholique de Paris, a rempli pendant de longues années la plus haute fonction du corps français des Mines.

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teur du ciel, avait certes conscience d'avoir fait plus que de fournir un adjuvant à la mémoire de ses contemporains, lorsqu'il leur disait que « connaître la vérité, c'est repenser les pensées du Créateur », et qu'il célébrait en ces termes émus la découverte de sa troisième loi « Apprenez, ô mortels, que j'ai ravi les vases d'or des Égyptiens; parvenu dans la terre promise, je les offrirai à mon Dieu, pour s'en faire un glorieux tabernacle ». Et encore : « Grâces à Vous, Maître des choses créées, pour le bonheur que Vous m'avez accordé ; j'ai enfin achevé ma tâche en y consacrant toutes les puissances de mon âme. Dans les limites de ma faiblesse, je me suis efforcé de manifester Votre gloire... J'ai proclamé devant les hommes toute la grandeur de la création et j'ai cherché à m'élever jusqu'à la vérité » (1).

Notre siècle frondeur et blasé peut sourire de ce lyrisme exubérant, mais il est bien obligé de reconnaître que, derrière ces mots enflammés, se cache une conviction profonde, que nous devons respecter sous peine de faire du grand astronome du XVIIe siècle un illuminé, si ce n'est un halluciné.

Tous les maîtres de la science avaient alors foi dans les œuvres de leur génie; ils n'admettaient pas que leurs sublimes conceptions ne répondissent qu'à des apparences; ils étaient convaincus qu'elles atteignaient les véritables causes et la raison même des choses. « Vere scire, scire per causas » avait dit Bacon; Vicaire s'en est référé à Galilée, Newton et Ampère; mais il était en droit d'évoquer l'opinion de Descartes, Huygens, Leibniz, celle même de l'encyclopédiste Diderot, celles encore de Fresnel, Linné, Biot, Cauchy, Dumas, Kelvin, Cornu, de Lapparent, etc. Descartes avait proclamé qu'il possédait une certitude morale

(1) Képler, Harmonices mundi, introduction au 5e livre.

que toutes les choses de ce monde étaient telles qu'il les avait démontrées, et il ajoutait qu'il en avait une certitu le plus que morale » (1). Linné s'écriait : « Je vois Dieu » et il remerciait le Créateur de lui avoir permis de jeter un coup d'oeil dans sa chambre du conseil ».

Je ne multiplierai pas ces citations, mais voici un dernier trait, qui est significatif.

Sarrau se plaisait à raconter une anecdote qu'il tenait du P. Gratry, cet ancien polytechnicien devenu le pieux oratorien que l'on sait. Le religieux se promenait avec Cauchy dans les allées du jardin du Luxembourg et ils devisaient ensemble de la vie future et du bonheur qu'auront les élus à connaître enfin, sans restriction et sans voile, des vérités laborieusement poursuivies au cours de leur pèlerinage terrestre. Gratry dépeignait à son illustre interlocuteur la joie ineffable qu'il éprouverait à pénétrer le secret de la nature de la lumière, objet de ses recherches et de ses constantes méditations. Mais celui-ci de se récrier et de dire, avec animation, qu'il lui était impossible de rien apprendre de plus que ce qu'il savait actuellement (2), attendu que l'intelligence ne pouvait se représenter autrement le mécanisme de la lumière qu'il ne l'avait exposé (3). Le vertueux Cauchy n'était certes pas un orgueilleux; c'était un convaincu. Un convaincu par illusion, dira-t-on : la preuve en est qu'il se trompait. Mais Hertz ne se trompait et ne s'illusionnait pas, quand il proclamait, au Congrès de Heidelberg, en 1889, que « humainement parlant, la théo

(1) Descartes, Principes de la philosophie.

(2) L'expérience de Foucault venait de mettre hors de toute discussion la théorie des ondes lumineuses, en 1850.

(3) Ce récit a été recueilli de la bouche de M. Sarrau par B. Brunhes, qui le rapporte dans sa Dégradation de l'Energie, p. 261 (Paris, Flammarion, 1909)

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