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le voudront dès qu'ils en auront senti la nécessité, pour concilier la poétique de la parole avec la poétique de la musique, dont le savant comte de Lacépède a voulu s'occuper dans son excellent ouvrage consacré à l'utilité des jeunes artistes.

Que s'ils ne font pas ce qu'ils veulent, c'est qu'ils n'osent pas tout ce qu'ils peuvent. S'ils n'osent pas, c'est peut être à la vivacité naturelle de leur caractère qu'il faut attribuer cette timidité décourageante : ils voudraient peut-être obtenir sur-le-champ la perfection des vers lyriques que les Italiens n'ont pu obtenir qu'au bout de huit siècles, et qu'ils n'auraient pas obtenue sans le génie de Métastase. Entre les poëtes français, ceux qui sont nés avec du génie, une oreille juste et délicate, et sur tout avec celte patience qui ne craint point les obstacles, connaîtront enfin encore mieux (n'en doutons pas) tous les ressorts de leur langue; et en s'attachant à examiner l'esprit de la versification musicale, il parviendront à démentir par le fait, la maxime de non si può. (Voyez la note au § 123, art. 4.)

Au reste, comme je me suis proposé de ne rien négliger pour donner aux objections toutes les réponses satisfaisantes qui puissent en découvrir la faiblesse; je crois nécessaire de continuer à comparer, dans les détails les plus minutieux, la langue française avec l'italienne que j'ai choisie pour modèle. Par ce moyen, en relevant les propriétés de ces deux langues, leur ressemblance et leurs qualités respectives, chacun pourra décider de lui-même, quel intérêt on doit attacher à ces sortes d'objections qui proclament l'impuissance de la langue française au milieu de ses plus grands triomphes.

C'est ce que j'examinerai après que, suivant l'ordre que je me suis prescrit, j'aurai parlé dans le chapitre suiyant, des Licences poétiques.

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CHAPITRE III.

DES LICENCES DANS LA POÉSIE ITALIENNE.

§ 842. On peut réduire à trois classes toutes les licences poétiques dont les Italiens ont fait usage en composant des vers licences quant à l'accent, licences quant aux syllabes, et licences quant à la rime.

Les licences poétiques sont tout ce qu'il y a de plus difficile et de plus embarrassant pour les étrangers, et souvent pour les Italiens mêmes. Ce retranchement ou alongement des mots, ce changement de voyelles et de consonnes, en un mot, cette altération du langage reçu forment comme un jargon mystérieux pour le peuple. Mais outre ces licences, il y a une grande quantité de mots propres à la poésie, qu'on n'emploie pas en prose, et qu'il faut étudier pour les comprendre. Telle était aussi la poésie des Grecs. Son langage était différent de la langue vulgaire (1).

§ 843. Cependant le langage du poëte doit être (et il le fut dès le commencement de la poésie) celui du peuple, ou, si l'on veut, la langue que l'on parle lorsqu'on parle bien. C'est en poésie qu'on exprimait, et qu'on exprime encore à présent, les plus tendres effusions du cœur pour une maîtresse qui ignore les licences poétiques. C'est en poésie que, pour aider la mémoire et flatter l'oreille

(1) Le fameux M. Antoine, cet orateur émule de Crassus, ne pouvait s'empêcher d'avouer que, malgré ses études et ses connaissances sur la langue des prosateurs grecs, il n'était pas dans le cas d'entendre les poëtes: Poetas tamen non conor attingere, tanquam aliená lingud locutos!

du peuple avec des sons harmonieux, on a exposé et l'on expose les devoirs, les lois, les louanges de Dieu et des héros bienfaisans de l'humanité; et cependant le cordonnier, le maçon, le cocher, l'agriculteur, etc. n'ont pas assez de loisir pour apprendre le Dictionnaire des licences. S'il est vrai que jadis on chantait les poemes d'Homère chez les Grecs, comme l'on chante aujourd'hui à Naples les vers d'Ariosto aux Lazzaroni rassemblés dans les places publiques, il fallait, je crois, que le chanteur fût toujours accompagné d'un interprête, ou d'un Dictionnaire poétique, pour expliquer aux curieux la signification des mots de chaque vers (1).

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§ 844. Les licences ne servent aux poëtes que pour arranger et rectifier leurs vers, tant pour la quantité des accens et des syllabes, que pour la rime. Ainsi Tasso, dans les deux vers suivans,

Corre il volgo dolente alle novelle

Del guerriero e dell' armi, e vuol vedelle,

emploie vedelle au lieu de vederle, pour rimer avec, no

(1) Le langage d'Homère était très-différent de celui qui s'employait partout au tems de Socrate il est probable que les premiers poëtes grecs n'ont employé pour leurs poésies que le langage conforme au dialecte qu'on entendait et que l'on parlait communément de leur tems; car il est à présumer que les poëtes de tous les âges n'ont écrit que pour être compris, et pour être lus avec plaisir; ce qui ne serait pas arrivé si leur style eût été difficile à comprendre. Sans autoriser ici le système des licences poétiques, il m'est facile d'expliquer la différence entre le langage d'Homère et celui de Socrate: elle tient à la différence des deux époques, dont l'une est éloignée de l'autre de presque quatre siècles, pendant lesquels la langue parlée et la langue écrite ont dû éprouver de grands changemens: A trecentis annis ab hinc, dit Lipsius, mutabitur sermo, nec posteri fortasse agnoscent. Dante assigne le tems d'un demi-siècle pour le changement sensible des langues vivantes; et sans citer beaucoup d'autorités à ce sujet, nous en avons un exemple continuel sous les yeux.

veile;

velle; comme Petrarca avant lui avait dit vedella pour vederla,

E chi nol crede venga egli a vedella.

Lé même Tasso (chant 16, st. 12 et st. 20) fait usage du mot augei pour augelli; du mot speglio pour specchio, pour ajuster ses vers et ses rimes:

Quando taccion gli augelli alto risponde,
Quando cantan gli augei più lieve scuote.

Ella del vetro a se fa specchio, ed egli
Gli occhi di lei sereni a se fa spegli.

Il emploie spegli et non pas specchi, pour rimer avec egli. Qu'on ne dise pas que le mot speglio est vraiment poétique; il ne l'est pas, puisque plus bas, à la stance 22 du même chant, il dit specchio ti è degno il cielo, etc. ; et qu'il aurait pu dire speglio, qui est aussi de deux syllabes. Sans en produire ici une infinité d'autres exemples, on reconnaît assez que l'invention des licences n'eut d'autre but que la commodité du poëte. « Les poëtes, dit » Quintilien, pressés par la nécessité impérieuse de la » mesure, et ne pouvant pas toujours user de leurs » moyens naturels, sont contraints d'en chercher d'ex>>traordinaires pour s'exprimer»; et alors ils alongent, ils abrègent, ils coupent les mots qui leur font obstacle et leur donnent même un nouveau sens.

5845. Les poëtes italiens ont cru pouvoir autoriser aussi les licences par cette liberté nécessaire à une imagination échauffée, qui dans ses emportemens ne peut souffrir qu'un mot, un accent, une syllabe soient un obstacle à l'image qu'elle veut tracer : elle court droit à son but par un chemin extraordinaire: son impétuosité l'emporte sur de petits égards qui occupent la réflexion froide des versificateurs communs. Mais, à dire vrai, ne serait-ce pas un prétexte pour couvrir la paresse ou l'ennui du poëte qui dédaigne

d'exprimer ses idées par un tour de mots plus convenables? Son génie divin serait-il si borné, et si capable de se refroidir, qu'il ne puisse dessiner les mêmes images par d'autres tournures qui n'altèrent point le langage, et qui ne le rendent pas inintelligible à la capacité de tout le monde qui a droit de l'entendre? Pourrait-on imaginer jamais que la première forme donnée à ses idées, soit la plus parfaite parmi une infinité d'autres possibles? Ne voyons-nous pas dans les meilleures poésies, un grand nombre d'idées et d'images marquées au coin de la perfection, d'une manière heureuse et facile, sans qu'il s'y soit glissé pourtant la moindre altération de la langue, la moindre licence poétique?

Les licences sont, à mon avis, les indices les plus certains de la pauvreté d'une langue (imputation calomnieuse qu'on voudrait faire à la richesse de l'italienne); car être forcé d'altérer la langue pour exprimer un sentiment c'est attester qu'elle ne saurait rendre par d'autres mots ce même sentiment. Qu'on dise donc plutôt que la nécessité des licences poétiques dépend quelquefois de la pauvreté du génie. Certainement les génies de. Tasso et d'Ariosto n'étaient pas pauvres; mais ils ont voulu suivre l'usage qui favorisait la liberté de l'imagination.

§ 846. Dire (comme le prétend l'auteur d'un petit Traité de poésie) que les licences proprement telles, et celles dont je vais parler dans les articles suivans, servent á embellir les vers, c'est ce que je ne puis ni comprendre, ni accorder. Quelle beauté, en effet, peut-on trouver dans le son dur de la plupart des vers du Dante, qui abondent en licences extraordinaires et bizarres? Serait-il plus beau de dire supplico, au lieu de súpplico; stremo, au lieu d'estremo; sopre, au lieu de sopra ; allotta, pour allora ; veglio; pour vecchio; deo, pour debbo; greve,

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