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ARTICLE II.

DE LA RICHESSE ET DE LA PAUVRETÉ DES LANGUES ITALIENNE ET FRANÇAISE.

$918. La langue italienne est extrêmement riche en mots; la française est réputée en être pauvre. Un Français, en badinant sur la langue italienne, a dit: oui, elle est riche en mots; mais enfin ce ne sont que des mots. La richesse est un mot relatif; un homme pauvre peut être riche dans sa pauvreté même, pourvu qu'il sache faire un bon usage du peu qu'il a : on voit souvent des riches qui sont plus mesquins que les pauvres : un avare meurt de faim au milieu de ses trésors. Qu'un riche même, sans être avare, regorge de tous les trésors entassés par Crésus, il saura satisfaire à tous ses besoins naturels et de luxe, qui ont enfin une limite, et garder le reste, qui lui est superflu, pour engraisser un jour ses héritiers avides.

S 919. Le sens de ces paraboles est applicable à l'état présent de la question, qui consiste à savoir si la langue italienne est riche, et si la française est pauvre en mots. Toute langue qui possède assez de mots pour exprimer facilement et avec noblesse, agréablement et avec variété et énergie, toutes les idées physiques et métaphysiques de la nature universelle, est une langue riche en elle-même; et la question sur le plus ou le moins de richesse d'une langue par rapport à une autre, est, en ce sens, absolument inutile et oisive. Pourrait-on appeler pauvre la langue française, elle qui a su produire tant d'ouvrages admirés par tous les savans de toutes les nations? elle qui a pu donner les tragédies de Corneille,

de Racine, de Voltaire, de Crébillon; le Lutrin et d'autres poésies de Boileau, les vers de Delille, etc.; le Télémaque de Fénélon, la nouvelle Héloïse de Rousseau, le Voyage d'Anacharsis de Barthélemy, les caractères de La Rochefoucault, les ouvrages de Paschal, de Vertot, de Fontenelle, de Montesquieu, de Massillon, de Bossuet, de Buffon, etc., etc.

Voulez-vous l'appeler pauvre? soit: mais toujours dans le sens que Lucrèce appelait pauvre sa langue, à cause de quelques mots qu'il lui fallait emprunter des Grecs :

Nunc et Anaxagoræ scrutemur homæmeriam.

Quam græci memorant, nec nostra dicere lingua

Concedit nobis patrii sermonis egestas. Lucr. lib. 1, De Rer. Nat.

§ 920. La diversité de fortune par rapport à l'abondance des mots, a produit une diversité d'opinions, et nourri une certaine rivalité entre les partisans de la langue italienne et ceux de la française. Les premiers, éblouis d'une fausse idée de richesse, s'appuient de la faible ressource de l'abondance des mots, pour alléguer un motif de préférence. Ils déploient aux yeux de leurs adversaires les gros volumes du Dictionnaire de la Crusca, et passent en revue plus de 38 mille mots (1) pour rehausser la langue italienne et humilier sa rivale (2). Les Français, sans prendre la peine d'opposer un plus grand nombre de mots contenus dans leur Dictionnaire d'un égal volume (3), et sans compter sur la stérile abondance des mots, soutien

(1) La langue grecque, qui était très-riche, n'en comptait que 32 mille. (2) Il me semble qu'on peut les comparer à ce bourgeois quì, pour bâtir une maison, ramasse indistinctement et avec beaucoup de facilité, toutes les pierres des carrières voisines, et qui, après avoir terminé son bâtiment, se glorifie d'être riche en pierres qui lui sont restées superflues et inutiles. (3). J'ai compté 39 mille mots dans le Dictionnaire des rimes françaises. Je prouve dans le grand Dictionnaire français de 1774 plus de 60 mille mots.» sans parler d'une infinité d'autres qui depuis vingt ans ont été reçus dans la Langue.

nent la force de leur langue par les effets qu'un nombre modéré de mots choisis est capable d'opérer.

$ 921. Le grand Vocabulaire de la Crusca n'est composé que de mots dont le Dante, Pétrarque, Boccace, et d'autres écrivains qui les ont suivis, firent usage dans leurs écrits. Et ces mêmes auteurs, qu'on peut appeler les pères de la langue italienne, n'ont fait qu'emprunter ces mêmes mots des langues provençale et française (comme on le reconnaît généralement en Italie (1)), ou des idiomes de différentes villes italiennes (comme le savant Trissino le démontre avec évidence). C'est par là et par une infinité de synonimes, de plébéismes et arcaïsmes (comme l'observe le Barretti au n° 25), et par une infinité dé vieux mots, de superlatifs, de diminutifs et d'augmentatifs, qu'on a pu grossir un Dictionnaire qui fait à présent le texte de la langue italienne.

(1) Voy. mon Précis historique, tom, I, pag. 7, et la not. à la pag. 31. Voy. le § 901. Voy. l'Espagnol Bastero, prefaz. alla Crusca provenzale. Voy. enfin le grand Dictionn. de la Crusca. Voici d'autres témoignages tirés des auteurs italiens, Du Varchi (Orat. funebr. pel cardinal Bembo); Gli bisognò apparar la lingua provenzale... dalla quale ànno così i prosatori toscani, come gli scrittori di versi, infiniti vocaboli, e modi di favellare tolti, e cavati. Du Salviati (Avvert. vol. 1, lib. 2, cap. 8); le parole ed i parlari che nel nostro linguaggio vennero dal provenzale, furono in varii tempi con finissima scelta eletti dagli scrittori che nel buon secolo la Toscana favella illustrarono: e sono de' più leggiadri, e de' più sonori, e de' più belli che abbia la lingua nostra. Du Bonaventuri (Prefaz. del 6, vol. delle prose fiorent. 1723, pag. 20); Perciocchè da principio molte parole e locuzioni vi passarono (dans la Jangue toscane), tratte dall' idioma provenzale e Francese... e con esse la nostra lingua ancora in alcuna parte manchevole, di nuovi abbellimenti, e di nuove preziose ricchezze adornarono. De Muratori (Antiq, Med. OEvi, Dissert. 33). Fieri potest ut sicut Galli recensiores multas è nostris voces adoptarunt; ita ex veterum Francorum populo tunc apud nos considente, et nos didicerimus varias voces præter illas quas dùm romani pontifices Avenione sedem tenuere, Itali indè reportarunt, aut Carolus I, gente Gallus ejusque successores in Siciliam, regnumque neapolitanum invexere.

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S 922. De même donc que les Italiens, dans la formation de leur langue, ont fait un choix de mots, sõit nationaux, soit étrangers, autant qu'ils l'ont jugé nécessaire pour communiquer leurs idées; les Français, pour former, ou pour enrichir et perfectionner leur langue, auraient pu emprunter de leurs voisins ou des langues. mortes latine et grecque, ou ailleurs, tous les mots dont ils auraient eu besoin pour indiquer nominativement toutes les idées des choses et des actions. Mais puisqu'ils ne l'ont point fait, et que même ils en ont rejeté plusieurs, on doit croire qu'ils n'en ont pas vu la nécessité, qu'ils ont conçu évidemment, et par les faits, que leur vocabulaire était suffisant pour constituer leur langue, et pour exprimer, de la manière la plus heureuse, toutes les conceptions de l'esprit, soit en prose, soit en vers.

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§ 923. Je vais transcrire (parce que je le crois utile) le morceau suivant de Muratori (Antiq. Med. OEvi. Dissert. 33, pag. 1084, litt. D.) « Ad hæc facilè nequa>> quam statuas linguam alicujus gentis præcellere alteri » copiâ, ac ubertate vocum. Extollunt nonnulli hac de causa græcam, arabicam, germanicam, etc. Equidem » mihi videre videor quemlibet cujusque urbis populum » ad usum loquelæ suæ fere semper habere veluti defini» tam quamdam vocabulorum massam, synonimis etiam >> multis redundantem. Is vocum et locutionum usitata>> rum cumulus uno tempore sermonem populi cujusli>> bet constituit.

» Eruditi dumtaxat ingenio non vulgari præditi, et qui » præcipuè linguas exteras novere, complures alios ultra >> numerum illum efformant ac usurpant. Quod ergo in>> gens vocabulorum copia genti uni tribuatur, non inde sequitur quamlibet ejusdem gentis urbem, tantâ segete » in usum sermonis sui usam fuisse, sed quidem ex uni

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» versæ gentis illius, et tàm ex indoctorum quàm docto>> rum loquela confectum fuisse tam opulentum verbo>> rum promptuarium.... Itaque quo latius sese protendit »natio aliqua ejusque lingua, majorem quoque depre» hendas in ea vocum abundantiam, quæ dici quidem » possunt voces gentis illius, sed non omnes sunt singu>> larum urbium gentis ejusdem voces. >>

$924. Il n'y a pas de nation qui ne mette sa langue audessus de celle des autres pour des qualités quelquefois imaginaires : chaque citoyen aime le langage de sa patrie, comme chaque marchand vante ses marchandises; il y trouve des beautés, comme une tendre mère croit en appercevoir sur le visage de ses enfans, quoique souvent fort laids.

Les Napolitains font les éloges les plus outrés de leur langue. Le Calabrois en fait autant de la sienne : il la compare à la romaine e non siente a la párra ca sóngo románo? C'est ainsi qu'un Calabrois, en traînant rudement sa voix grossière sur l'accent de chaque mot, répondit à un Romain qui lui demanda de quel pays il était.

Les Bolonais et les Piémontais idolâtrent leur jargon ; ils en ont fait des grammaires et des dictionnaires.

Madame de Staël, dans sa Corilla, vante la langue des Vénitiens et des Siciliens.

L'anglais Beattie ne craint pas de dire que celle des Italiens est la plus belle du monde; mais qu'elle doit baisser le front devant l'anglaise. Pope même prétend qu'aucune langue, excepté la grecque, ne peut se flatter d'avoir autant d'harmonie imitative qu'il en trouve dans la langue de son pays. Goropius Bécanus prétend que la langue flamande est non-seulement la plus ancienne des langues, mais encore une des plus belles qu'il y ait eu au monde. Il n'y a que le littérateur philosophe, dégagé de toute

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