Sayfadaki görseller
PDF
ePub

Le manuscrit de Bruges date de la fin du XIVe siècle et le copiste n'est pas un contemporain de Jordan. Le lecteur pourrait donc m'objecter que l'argument n'est pas péremptoire; que nul n'ignore les altérations de textes commises parfois par les scribes du xive siècle.

D'accord; aussi, pour rendre mon assertion sans réplique, convient-il d'examiner les deux mémoires spéciaux que Duhem a consacrés au problème du Philotechnes.

Le premier parut, en 1904, dans la BIBLIOTHECA MATHEMATICA, sous le titre de Un ouvrage perdu cité par Jordan de Nemore: Le Philotechnes (1). Dans ce travail, Duhem n'aboutit qu'à cette conclusion: Le Philotechnes a existé, et l'auteur en fut probablement Jordan de Nemore lui-même. Comme on le verra, les documents alors à la disposition de Duhem pouvaient difficilement le conduire à un résultat plus précis. Voici le résumé de son argumentation. J'y souligne un contresens dans la traduction d'un texte. Plus tard, cette inadvertance embarrassera notre traducteur et l'empêchera de voir qu'il tenait jusque dans les moindres détails la solution du problème.

Feu Björnbo, bibliothécaire adjoint à la Bibliothèque Royale de Copenhague, enlevé prématurément, il y a quelques années, à la science, venait de publier ses études sur les Sphériques de Ménélaus (2). Il y ajoutait, en Appendice, la description détaillée des anciens manuscrits qui nous ont conservé le texte du géomètre grec. L'un d'eux,

Dunes, d'où il passa lors de la Révolution française, à la Bibliothèque de la Ville de Bruges. Le Ms. 530 renferme encore plusieurs autres pièces curieuses.

(1) 3o série, t. V, Leipzig, Teubner, 1904, pp. 321-325.

(2) Axel Anthon Björnbo. Studien über Menelaos Sphärik. Beiträge zur Geschichte der Sphärik und Trigonometrie der Griechen. Publié dans les ABHANDLUNGEN ZUR GESCHICHTE DER MATHEMATISCHEN WISSENSCHAFTEN MIT EINSCHLUSS IHRER ANWENDUNGEN, begründet von Moritz Cantor. T. XIV. Leipzig, Teubner, 1902, pp. 1-154.

le manuscrit latin 1261 du fonds de la Reine de Suède à la Bibliothèque Vaticane, contenait en outre le traité De Ponderibus de Jordan. A la suite du traité se trouvaient sept propositions étrangères au texte, mais qui semblent y avoir été ajoutées pour aider à son intelligence. La dernière n'était autre que la formule classique de Héron exprimant l'aire d'un triangle en fonction des trois côtés (1). L'énoncé était suivi d'une démonstration. Mais, en marge, le copiste avait écrit cette note : « Haec est pars Filotegni et debet ei subjungi ».

A qui soupçonne que le Philotechnes est le traité De Triangulis, l'idée vient naturellement, après cette lecture, d'ouvrir l'édition de Curtze et d'y chercher la formule de Héron. Or, elle n'y est pas. Peut-être notre chercheur devra-t-il réprimer un premier mouvement de surprise. Cependant, à la réflexion, il s'apercevra que la note du copiste, un peu ambiguë, il faut l'avouer, se précise par cette constatation, et que le sens en devient fort clair. Traduite, mot à mot, elle dit : « C'est là une partie du Philotechnes et il faut l'y ajouter ».

Duhem serra le texte de moins près, et plus tard, dans son second mémoire, comme nous le verrons tantôt, il s'en trouva embarrassé. Mais, examinons d'abord le premier mémoire.

Le raisonnement s'y base sur des textes extraits du Liber de Ponderibus. Pour le suivre facilement, il importe de ne pas oublier que, d'après notre auteur, le meilleur texte du Liber de Ponderibus est celui du manuscrit 1025 (latin) de la Bibliothèque Nationale de Paris. Il est de la main d'Arnaud de Bruxelles, et la copie de notre compatriote a été terminée le 8 novembre 1464. Ce texte, inédit jusqu'ici, est entièrement distinct de celui que

(1) Soient a, b, c, les trois côtés du triangle, p le demi-périmètre, et s la surface; la formule de Héron est :

s = √p (pa) (p — b) (p −c).

Pierre Apian a publié, en 1533, à Nuremberg. J'en fais en passant la remarque, pour épargner des méprises au lecteur.

Un second texte, un peu paraphrasé, écrit également au xve siècle, se trouve dans le manuscrit latin 11247 de la même Bibliothèque. Enfin, un troisième texte, mais du xvIe siècle, se trouve, toujours à la même Biblic thèque, sous la cote 16649 (lat.). Ce dernier a certainement été copié sur un manuscrit du XIIIe siècle, dont un fragment se conserve encore sous le N° 3642 (ancien 1268) à la Biblio thèque Mazarine. Tout cela a été solidement établi dans Les Origines de la Statique, mais devait être rappelé. Écoutons maintenant Duhem.

Après avoir cité, d'après Björnbo, le passage du manuscrit de la Reine de Suède mentionné ci-dessus, il continue: «De cet ouvrage, c'est-à-dire du Philotechnes, nous avons relevé deux autres mentions, elles se trouvent toutes deux dans le texte que nous regardons comme le traité primitif de Jordanus (1).

» La première mention se trouve vers la fin de la démonstration de cette proposition qui est la seconde du traité : Cum equilibris fuerit positio equalis, equis ponderibus appensis ab equalitate non decedet et, si ab equidistantia separetur ad equalitatis situm revertetur. Jordanus invoquant une propriété très simple de deux arcs de cercle, la justifie par ces seuls mots : Sicut declaratum est in Philotechne.

» Cette mention fait partie du texte du XIe siècle (codex Mazarinus 3642) qui orthographie Filotegni. La copie de ce même texte faite au XVIe siècle et contenue dans le manuscrit 16649 (latin) de la Bibliothèque Nationale écrit Philolegne. Arnaud de Bruxelles copie Filoteqni, tandis que le manuscrit 11247 (latin) de la Bibliothèque

(1) Nous préférons conserver la forme ancienne du nom, qui nous paraît d'ailleurs plus française, et dire: Jordan de Nemore.

Nationale adopte la même orthographe, Filotegni, que le manuscrit du XIe siècle (1).

>> La seconde mention du Philotechnes se trouve au cours de la quatrième proposition ainsi énoncée : Si brachia libre fuerint inequalia, equalibus appensis, ex parte longiori nutum faciet. Ici encore, à propos d'une propriété très simple de deux arcs de cercle, Jordanus écrit Sicut demonstravimus in Philotechne.

>> La proposition où se trouve cette seconde mention manque au fragment du XIIIe siècle que conserve le codex Mazarinus et partant à la copie de ce fragment que conserve le codex 16649 (latin) de la Bibliothèque Nationale. Tous nos autres manuscrits renferment le renvoi que nous venons de citer au Filotegni ou au Filoteqni. » De ce qui précède, nos lecteurs ont déjà tiré la conclusion que Duhem va en déduire :

« Ces citations semblent prouver, dit-il, qu'il existait au XIIIe siècle un traité de Géométrie, sans doute de Géométrie pratique, intitulé Philotechnes.

>> La seconde citation: Sicut demonstravimus in Philotechne, paraît indiquer que Jordanus en revendiquait la paternité ».

Après quoi Duhem continue, et c'est ici que je ne suis plus d'accord avec lui:

« Dès lors, on comprend sans peine l'annotation relevée par M. Björnbo dans le Codex Reginensis 1261 lat. : Jordanus avait fait figurer dans le Philotechnes le théorème de Héron d'Alexandrie ».

Eh bien! non. Le théorème de Héron ne se trouve pas dans le Philotechnes. Duhem commet, à notre avis, un contresens en traduisant l'annotation relevée par Björnbo dans le codex Reginensis. Mais l'idée préconçue, qu'il

(1) Il nous semble que, sinon Jordan lui-même, du moins plusieurs des copistes ont latinisé le mot « Philotechnes » en lui donnant des formes telles que « Filotegnus, Filoteqnus, Philotegnus, etc. ».

s'était d'ailleurs formée assez naturellement par suite de sa traduction incorrecte, va l'empêcher, dans son second mémoire, d'apercevoir la vérité tout entière. J'y arrive. Jusqu'ici Duhem ne soupçonne évidemment pas encore l'identité du Philotechnes et du traité De Triangulis. Malgré l'analyse détaillée que, dans ses Vorlesungen (1), Cantor donne de ce dernier ouvrage, le professeur de Bordeaux n'avait guère porté son attention sur les Jordani Nemorarii de Triangulis Libri quatuor, publiés, nous l'avons dit, par Curtze, d'après un manuscrit de Dresde. Il semble même n'avoir jamais étudié cette édition, car c'est exclusivement d'après le manuscrit latin 7578Ade la Bibliothèque Nationale, qu'il va nous parler du traité De Triangulis. Mais, dès qu'il eut déchiffré ce manuscrit, la lumière se fit à ses yeux, et il comprit que le Philotechnes et le De Triangulis n'étaient qu'un seul et même ouvrage. C'est ce qu'il chercha à démontrer dans un nouvel article intitulé: A propos du Píloτexvηs de Jordanus de Nemore, qui parut, en 1909, dans l'ARCHIV FÜR DIE GESCHICHTE DER NATURWISSENSCHAFT UND DER TECHNIK (2). Toute la première partie de l'argumentation de l'auteur est irréfutable. C'est dans la solution des. difficultés restantes après l'établissement de sa thèse, qu'il est moins heureux. Écoutons-le. J'ajouterai, au fur et à mesure, à sa démonstration, les confirmations nouvelles que nous fournissent les manuscrits de Dresde et de Bruges.

(1) Vorlesungen über Geschichte der Mathematik, 2e édition, t. II, Leipzig, Teubner, 1900; pp. 73-86.

(2) T. I, Berlin, Vogel, pp. 380-384.

Le dernier fascicule de ce volume forme des Mélanges Moritz. Cantor qui furent réunis à l'occasion du 80e anniversaire de la naissance du professeur d'Heidelberg. Ils parurent séparément, en tirés à part, sous le titre de Festschrift Moritz Cantor, anlässlich seines achtzigsten Geburtstages gewidmet von Freunden und Verehrern, herausgegeben von Siegmund Günther und Karl Sudhoff. Berlin, Vogel, 1909. L'article de Duhem s'y trouve, pp. 88-92.

« ÖncekiDevam »