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Qui l'emporterait, de Charles-Quint et de Philippe, ou de Henri II? Car l'Italie n'en était plus à lutter pour l'indépendance, mais seulement pour la forme de la sujétion et le degré de l'abaissement. Qu'on était loin des temps glorieux d'Alexandre III et de la ligue lombarde, et qu'il en restait peu de ces grandes âmes italiennes, comme celles de Dante et de Savonarole, qui vibraient jadis de patriotique indignation sous le poids de la servitude. En vain Michel-Ange, le dernier-né de cette grande race, avait écrit ces deux vers d'une si poignante mélancolie :

« Grato m'è 'l sonno e più l'esser di sasso,
Mentre che il danno e la vergogna dura. »

<< Il m'est doux de dormir, et plus doux encore d'être de pierre, en ces jours de misère et d'opprobre. » Il n'avait pas eu d'écho. Aucune voix ne s'élevait plus pour protester contre cette ambition de princes étrangers qui depuis plus d'un demisiècle faisaient de la péninsule le théâtre de leurs sanglantes querelles. Il était admis qu'elle n'était plus qu'une arène où le roi de France et le roi d'Espagne venaient périodiquement se mesurer. La grande et généreuse idée d'une patrie italienne, que le moyen-âge avait osé concevoir et que notre époque devait ressusciter si glorieusement, s'était, si l'on peut dire, morcelée. Le patriotisme des Italiens de cet âge malheureux ne dépassait pas les murailles de la ville natale ou les étroites frontières d'un petit Etat. Il avait pour base l'intérêt et l'égoïsme, au lieu de prendre sa source dans l'esprit de sacrifice et d'abnégation. Aussi les dominations étrangères ne rencontraient-elles aucun obstacle. Les petits princes qui avaient détruit et remplacé les glorieuses républiques d'autrefois se faisaient de la servilité envers le roi de France ou l'Empereur un instrument de despotisme contre leurs sujets. L'intervention française ou espagnole dans les affaires de la péninsule n'était plus tolérée comme une ruineuse et déshonorante nécessité : elle était invoquée comme un bienfait par toutes les mesquines ambitions qui se disputaient un lambeau de territoire ou une ombre de puissance. François Ier ou Henri II, Charles-Quint ou Philippe, telles étaient les divinités tutélaires que chacun implorait selon la circonstance. Cette humiliation n'avait pas été épargnée à la papauté. Au lieu de tenter d'arrêter le mouvement qui précipitait l'Italie dans la servitude, elle l'avait suivi, sinon accéléré. L'intérêt de son pouvoir temporel l'avait insensiblement conduite à accepter, à solliciter, comme le reste de la péninsule, le protectorat d'un des deux puissants

princes qui élevaient ou abaissaient à leur gré les Etats. En vain le roi de France et l'Empereur prodiguaient au successeur de saint Pierre les protestations de respect et d'affection filiale. Ces formules banales dissimulaient à peine la prétention d'exercer sur le Saint-Siège une véritable suzeraineté et d'enchaîner sa politique à la leur. Clément VII avait été rudement châtié pour ses velléités d'indépendance, et les hordes de Bourbon lui avaient appris ce qu'il en coûtait d'oser résister à l'Empereur. C'était une situation lamentable que celle de cette papauté si grande jadis, et qui placée entre ces deux ambitions rivales, sollicitée par chacune d'elles sans avoir la force de résister à l'une plutôt qu'à l'autre, se débattait dans son impuissance et ne trouvait pas en elle-même la vigueur de s'élever à un idéal politique plus haut que de suivre, selon les événements, aujourd'hui la fortune du premier, demain celle du second, et de maintenir une sorte d'équilibre éphémère entre deux princes également hostiles à l'indépendance de l'Italie. Plus de traditions, plus d'aspirations généreuses: une politique indécise et sans but, changeant avec chaque nouveau pontife et inspirée le plus souvent par des intérêts de famille, l'impuissance mal déguisée sous le luxe et les pompes mondaines, l'obligation d'être française ou espagnole, au lieu d'être italienne, l'impossibilité de secouer cet humiliant vasselage et de jouer, sur la scène qu'elle remplissait jadis, un rôle plus relevé que celui de comparse : tel est le spectacle que nous offre la papauté au milieu du XVIe siècle. C'est pour cela que la nouvelle élection de 1555, était chose si grave. Le dernier pontificat, celui de Jules III (1549-1555), car on ne peut tenir compte de celui de Marcel II, avait été particulièrement funeste au Saint-Siège. Non pas qu'il eût été marqué par quelque retentissante catastrophe, comme celle de 1527. Mais sous ce pontife indolent 1, qui se désintéressait des grandes affaires de l'Europe pour consacrer plus de temps et d'argent à ses magnifiques jardins, le déclin de la papauté avait fait de rapides progrès. Les amis de l'Eglise comprenaient qu'il fallait à tout prix réagir contre cet effacement.

Le conclave 2 qui devait donner un successeur au pape défunt se réunit le 15 mai. Les cardinaux étaient au nombre de quarante-cinq3, nous dit Bromato. Depuis plus d'un demi-siècle que

1. Voici le jugement sévère de Nores sur Jules III: « Giulio,.... uomo inetto, e tutto intento alli suoi riposi... » (Archiv. Stor. Ital., t. XII, pag. 21.) 2. La source principale pour le conclave de Paul IV est l'histoire de Caracciolo (Biblioth. Barberini, Ms. LIV, 48, pag. 5-18).

3. Pallavicino dit quarante-quatre seulement (Storia del Concilio di Trento, édit. de Milan, 1745, lib. XIII, cap. 11).

la France et l'Espagne se disputaient la prépondérance en Italie, les chefs de ces deux grands Etats avaient pris soin de remplir de leurs créatures le Sacré Collège. Il était en effet d'un intérêt capital pour chacun d'eux de ne point laisser parvenir au trône de Saint-Pierre un pontife dévoué aux intérêts de son rival 1. De sorte que dans tout conclave, deux partis se trouvaient en présence, les Français et les Impériaux, comme on disait, et qu'un mot d'ordre venu de Paris ou de Madrid pesait d'un plus grand poids sur le vote des cardinaux électeurs que le mérite des candidats.

Tout sembla d'abord conspirer contre le cardinal Théatin, Giovanni Pietro Carafa, déjà exclu de la succession de Jules III, et peu s'en fallut que les ambitieuses espérances de son neveu ne fussent une seconde fois déçues. Les Impériaux avaient reçu l'ordre de s'opposer par tous les moyens à son élection, car on le savait ennemi des Espagnols et ses sentiments d'hostilité personnelle contre Charles-Quint n'étaient un mystère pour personne. «< Avant d'entrer dans le conclave, dit Bromato 2, le cardinal Francesco Mendozza n'avait pas craint de dire franchement au Théatin qu'il lui fallait abandonner tout espoir d'être pape, parce que l'Empereur s'y opposait. » D'autre part, l'ambassadeur de Henri II à Rome avait de la part de son maître transmis aux cardinaux de la faction française les plus expresses recommandations en faveur du cardinal Hippolyte d'Este, frère du duc de Ferrare 3. Enfin, un des membres les

1. Cf. Ribier, Lettres et Mémoires d'Estat, édition de Paris, 1666, tome II, page 609. M. d'Avanson, ambassadeur de France à Rome, écrit à Henri II, à la date du 4 mai 1555 : « Vous pouvez penser, sire, que, si nous travaillons d'un costé pour la création d'un futur Pape, les Impériaux ne dorment pas pour semblable effet..... » Dans une autre lettre du 22 avril : « Sire, pour assurer mieux que l'on n'a fait par le passé vos intentions sur la création d'un pape, il est besoin, comme il me semble, de trois choses: la première et principale que messieurs les cardinaux François qui ne sont empêchés près de votre personne, ny en votre conseil, fassent icy quelque résidence; la seconde, que, quand ils y seront tous, ils soient unis en volontez, et la troisième d'entretenir un peu les cardinaux estrangers qui vous sont en grande dévotion par quelques biens... >>

2. « Ed il cardinal Francesco Mendozza, prima di entrare in conclave, non aveva temuto di dir francamente al Teatino che lasciasse pur' ogni pensiero di esser Papa, perche l'Imperadore non lo voleva. » (Storia di Paolo IV, lib. VIII, cap. 29.)

3. « Il partito francese..... sull' entrare del conclave haveva ricevute stringentissime commissioni pel cardinal Ippolito d'Este, fratello del Duca di Ferrara.... « (Bromato, loc. cit.) Ceci est encore confirmé par une lettre de M. d'Avanson au roi : « Sire... je vois qu'il naist tous les jours de nouvelles difficultez de pouvoir conduire à effet le désir que Votre Majesté a que M. le cardinal de Ferrare parvienne au papat...» (Ribier, op. et loc. cit.)

plus influents du conclave, le cardinal Farnèse, ami de la France, semblait beaucoup plutôt disposé à user de son crédit dans son intérêt propre qu'en faveur d'un compétiteur.

La fortune de Giovanni Pietro Carafa devait cependant triompher de toutes ces difficultés. L'accord ne put se faire sur aucun des noms présentés en première ligne par chacun des deux partis. Les candidatures françaises du cardinal d'Este, les candidatures impérialistes des cardinaux Morone, Carpi, Puteo, furent successivement écartées. Alors Farnèse, voyant qu'il n'avait rien à espérer ni pour lui-même ni pour le cardinal Polo, dont il avait un instant mis le nom en avant, voulut au moins s'assurer les bénéfices d'une élection dont l'initiative n'appartînt qu'à lui seul. Il proposa le cardinal Théatin. Le cardinal du Bellai, à qui l'exaltation de Carafa assurait le poste envié de doyen du Sacré-Collège, accueillit immédiatement cette ouverture. La nouvelle candidature fit de rapides progrès grâce à ce double patronage. Auprès des cardinaux qui hésitaient encore, on fit valoir le mérite personnel de Carafa et les services rendus par lui à l'Eglise, soit comme fondateur de l'ordre nouveau des Théatins, soit comme chef de l'Inquisition. Aux ambitieux, on ne manqua pas de rappeler discrètement que le grand âge du cardinal Théatin était un titre de plus en sa faveur, car sa vieillesse ne pouvait faire redouter aux plus impatientes espérances l'épreuve d'un long pontificat. La majorité qui se formait ainsi peu à peu grâce à ces habiles menées se trouva définitivement constituée par l'accession inattendue d'un des membres les plus influents du parti impérialiste. Après s'être confessé et avoir dit la messe avec une grande dévotion, Otton Truchsess, cardinal de Cologne, déclara tout à coup que l'inspiration lui était venue de voter pour Carafa 2. Le petit groupe, composé alors de dix-sept membres, qui faisait encore opposition au Théatin, fut consterné par cette défection subite, et, perdant désormais l'espoir d'empêcher l'élection, jugea plus prudent ou plus utile de paraître y concourir de bonne grâce. Le 23 mai 1555, après huit jours de conclave, Giovanni Pietro Carafa fut proclamé pape et adoré selon la coutume. En souvenir de Paul III, qui lui avait donné le chapeau, et de Paul Farnèse, promoteur de son élection, il prit le nom de Paul IV.

1. Il avait alors soixante-dix-neuf ans.

2. Cf. Pallavicino, Storia del Concilio di Trento, édition de Milan, 1745, lib. XIII, cap. 11. - La détermination 'd'Otton Truchsess, cardinal impérialiste, parut d'autant plus surprenante que, la veille même, il s'était élevé en termes fort vifs contre l'ambition de Carafa. (Cf. Pallavicino, loc. sup. cit.)

CHAPITRE III

MÉTAMORPHOSE D'UN CONDOTTIERE EN CARDINAL

Feinte conversion et hypocrite repentir de Carlo Carafa pour rentrer en grâce auprès de son oncle. Communauté de haine contre les Espagnols, entre Carlo Carafa et Paul IV. - Carlo Carafa demande le chapeau Ses intrigues pour vaincre la résistance du pontife.

de cardinal.

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L'élévation de son oncle au souverain pontificat devait être pour Carlo Carafa un de ces événements féconds en conséquences, dont l'action immédiate ou lointaine s'exerce sur la vie entière d'un homme.

Depuis longtemps il se préparait à en recueillir les fruits. Avec sa vive et lucide intelligence, il avait déjà compris l'inanité de tous les efforts qu'il pourrait encore tenter pour s'élever par la voie des armes à la haute fortune qu'il rêvait.

La guerre ne lui avait valu que des persécutions ou des misères. Il avait dû quitter tour à tour chacun de ses protecteurs, sans doute parce qu'aucun d'eux n'avait daigné distinguer le pauvre gentilhomme perdu dans la foule des soldats de fortune. Pour prix des périls affrontés, il avait gagné la redoutable inimitié de l'Empereur. On l'avait blessé dans son amourpropre et atteint dans ses intérêts. A force d'énergie, il avait pu seulement s'élever aux honneurs obscurs d'un infime commandement. N'avait il donc que l'étoffe d'un vulgaire condottiere? Tout en lui protestait contre cette démonstration de sa médiocrité, que les événements prétendaient lui imposer.

Quand il eut bien compris que la carrière des armes n'aurait pour lui que des déboires, il chercha une voie nouvelle et la trouva. Son oncle Giovanni Pietro était cardinal et jouissait dans l'Eglise d'un haut renom de piété et de vertu. Déjà, lors des précédents conclaves, il avait été question de l'élever au Siège apostolique. Malgré son grand âge, il était encore plein de

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