Sayfadaki görseller
PDF
ePub

SERMON

PRONONCÉ A SAINCT-JEAN-EN-GREVE DE PARIS.

LE JOUR DE L'ASSOMPTION DE L'ANNÉE 1602 (1).

Quæ est ista quæ ascendit de deserto deliciis affluens, innixa super dilectum suum? Cant. vill. Qui est celle-cy qui monte du desert abondante en delices, appuyée sur son bien-ayme?

L'arche de l'alliance avoit longuement, esté sous les tentes et les pavillons, quand enfin le grand roy Salomon la fit mettre dans le riche et magnifique temple qu'il luy avoit preparé. Et lors la resjouyssance fut si grande en Hierusalem, que le sang des sacrifices ruisseloit par les rues, l'air estoit couvert des nuages de tant d'encensemens, et les maisons et places publiques retentissoient des cantiques et pseaumes que l'on chantoit partout en musique, et sur les instrumens harmonieux.

commencement, l'un desquels fut appellé par excellence le grand luminaire, et l'autre fut nommé le moindre; le grand pour esclairer et presider au jour, et le moindre pour esclairer et presider à la nuict; car encore que nostre Createur voulust qu'il y eust vicissitude de jour et de nuict, et que les tenebres succedassent à la lumiere; si est-ce qu'estant lumiere luy-mesme, il ne voulut pas que les tenebres et la nuict demeurassent du tout privées de la lumiere. Donc ayant creé le grand luminaire pour le jour, il en crea un moindre pour la nuict, afin que l'obscurité des tenebres fust encore meslée et temperée par le moyen de sa clarté.

Ce mesme Dieu avec sa saincte providence, voulant creer le monde spirituel de son Eglise, y a mis comme en un divin firmament deux grands luminaires; mais l'un plus grand, l'autre moindre le plus grand c'est Jesus-Christ nostre Sauveur et Maistre, abysme de lumiere, source de splendeur, vray soleil de justice; le moindre, c'est la tres-saincte Mere de ce grand Fils, Mere toute glorieuse, toute resplen

Mais, mon Dieu, si la reception de cette ancienne arche fut si solemnelle, quelle devons-nous penser avoir esté celle de la nouvelle arche; je dy de la tres-gloriense Vierge Mere du Fils de Dieu, au jour de son assomption? O joye incomprehensible! ò feste pleine de merveilles, et qui fait que les ames devostes, les vrayes filles de Sion, s'escrient par admiration : Quæ est ista quæ ascendit, qui est celle-cy qui monte du desert? et pour vray, ces poincts sont admirables; la mere de la vie est morte, la morte est ressuscitée et montée au lieu de la vie et ceux-cy sont pleins de consolations; c'est qu'elle est montée pour l'hon-dissante, et vrayment plus belle que la neur de son Fils, et pour exciter en nous une grande devotion. C'est presque le subjet sur lequel j'ay à parler devant vous, ô peuple, mais que je ne puis bien traitter si je n'obtiens l'assistance du Sainct-Esprit.

Ave Maria.

(2) Dieu mit au ciel deux luminaires au

(1) Ce sermon, pris sur l'original escrit de la main de T'autheur, fut prononcé par luy en l'eglise de SainctJean-en-Greve, à Paris, l'an 1602.

(2) La Saincte-Vierge demeura en ce monde après l'ascension de son Fils.

lune. Or ce grand luminaire, le Fils de Dieu, venant icy-bas en terre, prenant nostre nature humaine, comme le soleil sur nostre hemisphere, fit la lumiere et le jour; jour bien-heureux et tant desiré, qui dura trente-trois ans environ, pendant lesquels il esclaira la terre de l'Eglise par les rayons de ses miracles, exemples, predications, et de sa saincte parolle; mais enfin quand l'heure fut venuë en laquelle ce precieux soleil devoit se coucher, et porter ses

316

rayons à l'autre hemisphere de l'Eglise,
qui est le ciel et la troupe angelique, que
pouvoit-on attendre sinon les obscuritez
d'une nuict tenebreuse? La nuict aussi ar-
riva tout aussi-tost, et succeda au jour;
car tant d'afflictions et persecutions qui
survinrent aux apostres qu'estoit-ce qu'une
nuict? Mais cette nuict eut encore son lu-
minaire qui l'esclaira, afin que ces tene-
bres fussent plus tolerables; car la bien-
heureuse Vierge demeura en terre parmy
les disciples et fidelles. De quoy nous ne
pouvons aucunement douter, puisque S.
Luc, au 2 chapitre des Actes, et au pre-
mier, tesmoigne que Nostre-Dame estoit
avec les disciples au jour de la Pentecoste,
et qu'elle perseveroit avec eux en oraison
et communion: dont quelques errans sont
convaincus de faute en ce qu'ils ont estimé
qu'elle mourut avec son Fils, à cause des
parolles de Simeon, qui avoit predict que
le glaive transperceroit son ame; mais je
declareray bien-tost ce passage; et mons-
treray par le vray sens que Nostre-Dame
ne mourut pas avec son Fils pour trois rai-
sons. Cependant voyez les raisons pour les-
quelles son Fils la laissa après luy dans ce
monde: 4° Ce luminaire estoit requis pour
la consolation des fidelles qui estoient en
la nuict des afflictions. 2° Sa demeure icy-
bas luy donna loisir de faire un grand
amas de bonnes œuvres, afin qu'on pust
dire d'elle Plusieurs filles ont assemblé
des richesses, mais tu les a toutes surpas-
sées. 3° Quelques heretiques dirent tout
aussi-tost que Nostre-Seigneur fut mort
et monté au ciel, qu'il n'avoit pas eu un
corps naturel et humain, mais fantastique.
La Vierge sa Mere demeurant après luy
servoit d'un assuré tesmoignage pour la
verité de sa nature humaine, commençant
par là à verifier ce que nous chantons
d'elle Cuncias hæreses interemisti. Tu
as ruiné, Vierge, et detruit toutes les he-
resies. Elle vescut donc après la mort de
sa vie, c'est-à-dire de son Fils, et après
son ascension, et vescut assez longuement,
bien que le nombre des années ne soit pas
bien asseuré, mais le moins ne peut estre
que de quinze ans, qui auroit fait arriver
son aage à soixante-trois ans ; c'est le
moins, dis-je, d'autant que les autres,
avec beaucoup de probabilité, la font pas-
ser jusques à septante-deux : mais cela

[ocr errors]

importe bien peu. Il rous suffit de sçavoir que cette saincte arche de la nouvelle ai liance demeura ainsi en ce desert da monde sous les tentes et pavillons après l'ascension de son Fils. Que si cela est certain comme il l'est, il est aussi trescertain qu'enfin cette saincte Dame mourut (1), non que l'Escriture le tesmoigne; car je ne treuve aucune parolle en l'Escriture où il soit dit que la Vierge soit morte, la seule tradition ecclesiastique est celle-là qui nous en assure, et la saincte Eglise laquelle le confirme en l'oraison secrette qu'elle dit au saint office de la messe de cette feste. Il est vray que l'Escriture nous enseigne en termes generaux que tous leɛ hommes meurent, et n'y en a pas un qui soit exempt du trespas: mais elle ne dit pas que tous les hommes sont morts, ny que tous ceux qui ont vescu soient desjà trespassez: au contraire elle en exempte quelques-uns, comme Helie, qui sans mourir fut transporté sur le charriot de feu, et Enoch qui fut ravy par Nostre-Seigneur, avant qu'il aye senti la mort; et encore S. Jean l'evangeliste, comme je pense estre le plus probable selon la parole de Dieu, ainsy que je vous ay monstré cy-devant, le jour de sa feste en may. Ces trois saincts ne sont pas morts, et neantmoins ils ne sont pas exempts de la loy du trespas, parce qu'ils ne sont morts, ils mourront au dernier temps, sous la persecution de l'ante-christ, comme il appert au chapitre onziesme de l'Apocalypse. Pourquoy ne pourroit-on pas dire de mesme de la Mere de Dieu, à sçavoir qu'elle n'est pas morte encore, mais qu'elle mourra cy-après? Certes si quelqu'un vouloit maintenir cette opinion, on ne sçauroit le convaincre par l'Escriture, et selon vos principes, ò adversaires de l'Eglise catholique, il seroit bien fondé : mais la verité est telle qu'elle est morte et trespassée aussi bien que son Fils et Sauveur; car encore que cela ne se puisse preuver par l'Escriture, si est-ce que la tradition et l'Eglise, qui sont d'infaillibles tesmoins, nous en asseurent.

Asseurez donc qu'elle est morte, meditons, je vous supplie, de quelle sorte de mort elle mourut. Quelle mort fut tant hardie que d'oser attaquer la Mere de la vie, et (1) Elle mourut neantmoins quelque temps apres

celle de laquelle le Fils avoit vaincu et la mort et sa force qui est le peché. Soyez attentifs, mes très-chers auditeurs, car ce poinct est digne de consideration.

J'auray bien-tost respondu à la demande, mais il ne me sera pas si aisé de la bien preuver et declarer (1). Ma response est en un mot que Nostre-Dame Mere de Dieu est morte de la mort de son fils; la raison fondamentale est parce que Nostre-Dame n'avoit qu'une mesme vie avec son Fils, elle ne pouvoit donc avoir qu'une mesme mort; elle ne vivoit que de la vie de son Fils, comme pouvoit-elle mourir d'autre mort que de la sienne? C'estoient à la verité deux personnes, Nostre-Seigneur et Nostre-Dame, mais en un cœur, en une ame, en un esprit, en une vie; car si le lien de charité lioit et unissoit tellement les chrestiens de la primitive Eglise, que S Luc assure qu'ils n'avoient qu'un cœur et une ame, aux actes deuxiesmes, combien avons nous plus de raison de dire et de croire que le Fils et la Mere, Nostre-Seigneur et Nostre-Dame, n'estoient qu'une ame et qu'une vie.

Oyez le grand apostre S. Paul, il sentoit cette union et liaison de charité entre son Maistre et luy, qu'il fait profession de n'aoir point d'autre vie que celle du Sauveur: Vivo ego, etc., Je vis, mais non jà moy, ains Jesus-Christ vit en moy. O peuple! cette union, ce meslange et liaison de cœur estoit grande, qui faisoit dire telles parolles à S. Paul; mais non pas comparables avec celle qui estoit entre le cœur du Fils Jesus et celuy de la mere Marie; car l'amour que Nostre-Dame portoit à son Fils surpassoit celuy que S. Paul portoit à son Maistre, d'autant que les noms de mere et de fils sont plus excellens en matière d'affection, que les noms de maistre et de serviteur : c'est pourquoy si S. Paul ne vivoit que de la vie de Nostre-Seigneur, Nostre-Dame aussi ne vivoit que de la mesme vie, mais plus parfaictement, mais plus excellemment, mais plus entierement que si elle vivoit de sa vie ; aussi est-elle morte de sa mort.

Et certes le bon vieillard Simeon avoit long-temps auparavant predict cette sorte de mort à Nostre-Dame quand tenant son enfant en ses bras il luy dit : Tuam ipsius

(1) Elle mourut de la mort de son Flis.

[ocr errors]

animam pertransivit gladius, Ton ame sera transpercée par le glaive, le glaive transpercera ton ame; car considerons ces parolles, il ne dit pas : Le glaive transpercera ton corps; mais il dit : Ton ame, quelle ame? ia tienne mesme, dit le prophete. L'ame donc de Nostre-Dame devoit estre transpercée, mais par quelle espée? par quel cousteau? et le prophete ne le dit pas; neantmoins puisqu'il s'agit de l'ame, et non pas du corps, de l'esprit, et non pas de la chair, il ne faut pas l'entendre d'un glaive materiel et corporel, ains d'un glaive spirituel et qui puisse atteindre l'ame et l'esprit.

Or je treuve trois glaives qui peuvent porter leurs coups en l'ame. Premierement le glaive de la parolle de Dieu, lequel, comme parle l'apostre, est plus penetrant qu'aucune espée à deux taillans. Secondement le glaive de douleur duquel l'Eglise entend les parolles de Simeon: Tuam, dit-elle, ipsius animam doloris gladius pertransivit : cujus animam mærentem, contristantem et dolentem, pertransivit gladius. Troisiesmement le glaive d'amour, duquel Nostre-Seigneur parle : Non veni mittere pacem sed gladium, Je ne suis pas venu mettre la paix, mais le glaive, qui le mesme que quand il dit : Ignem veni mittere, Je suis venu mettre le feu. Et au Cantique des Cantiques, l'Espoux estime que l'amour soit une espée par laquelle il a esté blessé, disant : Tu as blessé mon cœur, ma sœur, mon espouse. De ces trois glaives fut transpercée l'ame de Nostre-Dame en la mort de son Fils, et principalement du dernier qui comprend les deux autres.

Quand on donne quelque grand et puissant coup sur une chose, tout ce qui la touche de plus près en est participant et en reçoit le contre-coup: le corps de NostreDame n'estoit pas joinct et ne touchoit pas à celuy de son Fils en la passion; mais quant à son ame, elle estoit inseparablement unie à l'ame, au cœur, au corps de son Fils, si que les coups que le beny corps du Sauveur receut en la croix ne firent aucune blessure au corps de NostreDame, mais ils firent des grands contrecoups en son ame, dont il fut verifié ce que Simeon avoit predict.

L'amour a accoustumé de faire recevoir

les contre-coups des afflictions de ceux que l'on cherit: Quis infirmatur, et ego non infirmor? Qui est malade, que je ne le sois? qui reçoit un coup de douleur, que je n'en reçoive le contre-coup? dit le sainct apostre; et neantmoins l'ame de S. Paul ne touchoit pas de si près au reste des fidelles, comme l'ame de Nostre-Dame touchoit et attouchoit de fort près, et de si près que rien plus, à Nostre-Seigneur, à son ame et à son corps, duquel elle estoit la source, la racine, la mere. Ce n'est donc pas merveille si je dy que les douleurs du Fils furent les espées qui transpercerent l'ame de la Mere. Disons un peu plus clairement: Une flesche dardée rudement contre une personne, ayant outre-percé son corps, percera encore celuy qui se treuvera tout touchant et joinct à luy. L'ame de Nostre-Dame estoit joincte en parfaite union à la personne de son Fils, elle estoit collée sur elle: Anima Jonathæ conglutinata est ad animam David, dit l'Escriture, Reg. 18. L'ame de Jonathas fut liée ou collée à celle de David, tant leur amitié estoit estroite; et partant les espines, les cloux, la lance qui percerent la teste, les mains, les pieds, le costé de Nostre-Seigneur passerent encore et outre-percerent l'ame de la Mere.

Or, je puis bien dire avec verité, ô Ste Vierge, que vostre ame fut transpercée de l'amour, de la douleur et des parolles de vostre Fils; car quant à son amour, ô comme il vous blessa, lorsque vous voyez mourir un Fils qui vous aymoit tart, et que vous adoriez tant? Quant à sa douleur, comme elle vous toucha vivement, touchant si mortellement tout vostre plaisir, vostre joie, vostre consolation? et quant à ces parolles si douces et si aigres tout ensemble, helas! ce vous furent autant de vents et d'orages pour enflammer vostre amour et vos douleurs, et pour agiter le navire de vostre cœur presque brisé en la tempeste d'une mer tant amere! l'amour fut l'archer; car sans luy la douleur n'eust pas eu assez de mouvement pour atteindre vostre ame; la douleur fut l'arc qui lançoit les parolles interieures et exterieures, comme autant de dards qui n'avoient d'autre but que vostre cœur. Helas! comme fut-il possible que des sagettes tant amoureuses fussent si douloureuses? ainsi les

esguillons emmiellez des abeilles font extresme douleur à ceux qui en sont picquezet semble que la douceur du miel avive la douleur de la poincte. C'est la verité, d peuple! plus les parolles de Nostre - Seigneur furent douces, plus furent-elles cuisantes à la Vierge sa Mere, et le seroient à nous si nous aymions son Fils. Quelle plus douce parolle que celle qu'il dit à sa Mere et à S. Jean, parolles tesmoins asseurez de la constance de son amour, de son soin, de son affection à cette saincte Dame; et neantmoins ce furent des parolles qui sans doute luy furent extresmement douloureuses. Rien ne nous fait tant ressentir la douleur d'un amy que les asseurances de son amour : mais revenons à nous, je vous prie. Ce fut donc alors que l'ame de Nostre-Dame fut transpercée du glaive.

Et quoy! me direz-vous, mourust-elle alors (1)? J'ay desjà dit que quelques-uns qui l'ont ainsi voulu dire ont fort erré, et que l'Escriture tesmoigne qu'elle estoit encore vivante au jour de la Pentecoste, et qu'elle persevera avec les apostres aux exercices de l'oraison et communion, et de plus que la tradition est qu'elle a vescu plusieurs années depuis. Mais oyez, je vous prie, n'arrive-t'il pas souvent qu'une biche est blessée par le veneur, et que neantmoins elle s'eschappe avec son coup et sa playe, et va mourir bien loin du lieu où elle a été blessée, et plusieurs jours après? Ainsi certes Nostre-Dame fut blessée et atteinte du dard de douleur en la passion de son Fils sur le mont de Calvaire, et ne mourut toutesfois pas à l'heure, mais porta longuement sa playe de laquelle enfin elle mourut. O playe amoureuse! blessure de charité, que vous fustes cherie et bien aymée du cœur que vous blessastes.

Aristote raconte que les chevres sauvages de Candie (Pline en dit de mesme des cerfs) ont une malice et ruse, ou plutost un instinct admirable; car estant transpercées d'une flesche elles recourent au dictame par le moyen duquel la flesche est expulsée et retirée du corps. Mais qui est le chrestien qui n'aye esté quelquesfois blessé du dard de la passion du Sauveur? Qui est le cœur qui ne soit atteint considerant son (1) Quoy que non pas au même instant que son File

Sauveur fouetté, tourmenté, garotté, | pieds et mains cloüez. Si que ce que la cloué, couronné d'espines, crucifié ? Mais je mort n'eust peu faire, l'amour aussi fort ne sçay si je le dois dire que la plupart des qu'elle l'entreprit et le fit. Il est mort d'achrestiens ressemblent aux hommes de mour ce Sauveur de mon ame, la mort n'y Candie, desquels parle l'apostre; il dit: pouvoit rien que par le moyen de l'amour: Cretenses mendaces', ventri pigri, målæ | Oblatus est, quia ipse voluit, Il a esté ofbestia, Les Candiots sont menteurs, ven- fert, parce qu'il l'a voulu. tres couards, mauvaises bestes : au moins puis-je bien dire que plusieurs ressemblent aux chevres sauvages de Candie, car ayant esté blessez et atteints en leur ame de la passion du Sauveur, ils recourent incontinent au dictame des consolations mondaines, par lequel les dards de l'amour divin sont rejettez et repoussez de leur memoire au contraire la Ste Vierge se sentant blessée, cherit et garda soigneusement les traicts dont estoit outre-percée, et ne voulut jamais les repousser. Ce fut sa gloire, ce fut son triomphe; et partant elle desira d'en mourir, et en mourut enfin, si qu'elle mourut de la mort de son Fils, bien qu'elle n'en mourust pas sur l'heure.

Or si ne faut-il pas s'arrester icy, ce subjet est agreable à mon advis, NostreDame mourut de la mort de son Fils, mais son Fils de quelle mort mourut-il (1)? Voicy des nouvelles flammes, ô chrestiens. Nostre-Seigneur souffrit infiniment en son ame et en son corps, ses douleurs ne treuveront point de comparaison en ce monde. Voyez les afflictions de son cœur, voyez les passions de son corps; considerez, je vous supplie, et voyez qu'il n'y a point de douleurs esgales aux siennes : mais neantmoins toutes ces douleurs, toutes ces afflictions, tous ces coups de main, de roseau, d'espines, de fouet, de marteaux, de lance, ne pouvoient le faire mourir. La mort n'avoit pas assez de force pour se rendre victorieuse sur une telle vie, elle n'y avoit poinct d'accez: comme mourutil donc?

O chrestiens, l'amour est aussi fort que la mort, Fortis ut mors dilectio. L'amour desiroit que la mort entrast en NostreSeigneur, afin que par sa mort il pust se respandre en tous les hommes. La mort desiroit d'y entrer, mais elle ne pouvoit d'ellemesme, elle attendit l'heure, heure bienheureuse pour nous, à laquelle l'amour luy fit l'entrée, et luy livra Nostre-Seigneur (1) Et Nostre-Seigneur mourut d'amour.

Ce fut par eslection qu'il mourut, et non par la force du mal: Ego pono animam meam, nemo tollit eam à me, sed ego pono cam. Tout autre homme fust mort de tant de douleurs; mais Nostre-Seigneur qui tenoit en ses mains les clefs de la mort et de la vie, pouvoit tousjours empescher les efforts de la mort et les effects des douleurs : mais non, il ne voulut pas; l'amour qu'il nous portoit comme une Dalila luy osta toute sa force, et il se laissa volontairement mourir; et partant il n'est pas dit que son esprit sortit de luy, mais qu'il le rendit, Emisit spiritum. Et S. Athanase note qu'il baissa la teste avant que de mourir, Inclinato capite, emisit spiritum, pour appeller la mort, laquelle autrement n'eust osé s'approcher. C'est cela qui le fait crier à pleine voix en mourant, pour monstrer qu'il avoit assez de force pour ne mourir pas s'il luy eust pleu. C'est la resolution qu'il donne luy-mesme : Majorem charitatem nemo habet, quam ut animam suam ponat quis pro amicis suis, Personne n'a plus grande charité que de donner sa vie pour ses amis.

Il est donc mort d'amour, et c'est ce qui fait que son sacrifice de la croix fut un holocauste, parce qu'il y fut consumé par co feu invisible, mais d'autant plus ardent, de sa divine charité qui le rend sacrificateur en ce sacrifice, et non les Juifs ou Gentils qui le crucifierent, d'autant qu'ils n'eussent sceu luy donner la mort par leurs actions, si son amour par le plus excellent acte de charité qui fut oncques, n'en eust permis et commandé le dernier effect, puisque tous les tourmens qu'ils luy firent fussent demeurez sans effect s'il n'eust voulu leur permettre la prise sur sa vie, et leur donner force sur luy: Non haberes potestatem adversum me, nisi tibi datum esset desuper; Vous n'auriez aucune puissance contre moy, si elle ne vous estoit donnée d'en haut.

Or puisqu'il est certain que le Fils est mort d'amour, et que la mere est morte de

« ÖncekiDevam »