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Vierge et S. Joseph ont Nostre-Seigneur | perfection, pour l'acquerir comme font les avec eux, pourquoy donc les voyons-nous religieux, ains ils la doivent desja avoir si remplis de crainte, qu'ils ont pris la acquise. fuite, pour l'apprehension qu'ils avoient d'un homme mortel, ayant avec eux le Dieu dont la majesté et puissance est infinie, et par l'ordonnance duquel toutes choses se font?

La raison de cecy est, que Nostre-Seigneur, venant en ce monde, ne voulut aucunement user de son pouvoir et de son authorité, ni faire cognoistre ce qu'il estoit, se monti ant en tout sujet aux loix de l'enfance, ne parlant qu'en son temps comme les autres; et luy qui, non seulement en tant que Dieu, sçavoit toutes choses, mais aussi en tant qu'homme, cette grace lui ayant esté infuse des l'instant de sa conception, en laquelle il fut rempli d'une science parfaicte, à cause de l'union de la divinité avec l'humanité, ne voulut neantmoins la faire paroistre en aucune chose, jusqu'à l'aage de douze ans, qu'il fit estonner et esmerveiller les docteurs l'ayant entendu parler dans le temple, lorsqu'il fit paroistre un petit eschantillon de cette science divine et incomparable qu'il avoit, mais depuis son enfance jusques alors, et depuis ce temps-là jusques à ce qu'il commençast à prescher son Evangile, il l'a tousjours tenue close et cachée sous un profond silence. Hé Dieu ! que lui eustil cousté? luy qui aimoit si cherement sa tres-sacrée mere et S. Joseph, son pere nourricier, de leur dire un petit mot à l'oreille, pour les advertir qu'il falloit qu'ils evitassent la furie d'Herode, en s'en allant en Egypte, mais qu'ils n'eussent point de crainte, d'autant qu'il ne leur arriveroit aucun malheur. Ne pouvoit-il pas aussi les advertir qu'ils s'en revinssent en Israël, et qu'Herode qu'ils craignoient estoit mort? Il ne le fit pas néantmoins, ains attendit que l'ange Gabriel vint reveler à S. Joseph qu'il le falloit faire, en quoy il fit paroistre un admirable abandonnement, se rendant des lors le parfait exemplaire de tous les hommes, mais particulierement de ceux qui sont en l'estat de perfection, comme sont les religieux et les prelats, quoy que differemment: car les religieux sont en l'estat de perfection, c'est à dire en un estat propre à se perfectionner; mais les prelats doivent non-seulement estre en l'estat de

De mesme la vie de Nostre-Seigneur doit estre distinguée en deux parties: la premiere est le modele et le patron des religieux, qui est celle qu'il a menée depuis sa naissance, jusqu'à ce qu'il commençast l'œuvre de nostre redemption, c'est à dire qu'il commençast sa predication; car l'Evangeliste S. Luc dit expressement qu'il demeura tousjours pendant ce temps subject à ses parens, et erat subditus illis. Mais des lors qu'il eut commencé à enseigner et prescher, il fit toutes les fonctions appartenantes aux evesques, instituant les sacremens sur l'arbre de la croix, où il offrit ce sacrifice sanglant de soy-mesme, ayant auparavant institué le sainct sacrement de l'autel en la derniere cene qu'il fit avec ses apostres, qui est semblablement un sacrifice non sanglant.

Poursuivons nostre discours et considerons comme Nostre-Seigneur s'est rendu le vray et parfaict exemplaire de la vie religieuse, pendant tout le cours de sa tressaincte vie, et voyons en quelle abnegation de soy-mesme il a tousjours vescu, ma's specialement durant son enfance, quoyqu'il fust Dieu.

Et, pour mieux comprendre cette abnegation, nous en ferons trois poincts, que de pauvreté, j'appliquerai aux trois vœux, chasteté, et obeïssance que font les religieux.

Or, pour commencer par l'abnegation des biens de la terre, se peut-il jamais voir une pauvreté plus desnuée que celle de Nostre - Seigneur? Voyez premierement comme des sa naissance il renonce à la venant maison de son pere et de sa mere, naistre en une ville, laquelle si bien luy appartenoit en quelque façon, estant fils de David; neantmoins il renonce tellement à tout, que le voilà reduit dans une pauvre estable, destinée pour la retraite des bestes, en laquelle estant nay, il fut couché dans une creche qui lui servit de berceau; et apres, quelles necessitez pensez-vous qu'il souffrit pendant son voyage d'Egypte, tout le temps qu'il y demeura? Enfin sa pauvreté fut si grande, qu'elle passa jusques à la mendicité, selon l'opinion de quelques docteurs, et n'estoit nourry que

et

d'aumosnes; car chacun sait bien que les beaux-peres ne sont pas obligés de nourrir les enfans de leurs femmes; et neantmoins Nostre-Seigneur n'estoit nourry que du travail de S. Joseph et de celuy de sa tressaincte mere, qui gagnoient leur vie à la sueur de leur visage, ce divin enfant | ne pouvant pas en si bas aage gagner la sienne.

Mais pour mieux voir sa grande pauvreté, quand il fut question de retourner d'Egypte apres la mort d'Hérode, s'ils eussent eu quelque bien en Israël, S. Joseph n'eust pas mis en doute s'ils retourneroient en Judée, ou s'ils iroient en Israël; mais parce qu'ils n'avoient rien, ou fort peu de chose, ils ne savoient de quel costé aller. Davantage, l'amour que Nostre-Seigneur portoit à la pauvreté luy fit prendre et garder tousjours le nom de Nazareth, d'autant que c'estoit une petite ville si pauvre et si mesprisée, que l'on ne croyoit pas (comme dit Nathanaël à sainct Phihippe) qu'il pust venir quelque chose de bon, ou sortir quelque grand personnage de Nazareth. A Nazareth potest aliquid boni esse (4)? Et bien que Nostre-Seigneur eust pu se faire appeler de Bethleem, ou de Hierusalem, il ne le voulut neantmoins jamais faire, tant pour cette cause que pour d'autres que nous dirons bien-tost.

Passons maintenant au second poinct, que j'applique à la chasteté, et voyons comme Nostre-Seigneur a tousjours vescu dans une abnegation tres-entiere de tous les plaisirs sensuels, quoy qu'il eust une pureté incomparable. Considerez un peu comme des son entrée au monde il priva ses sens de toute sorte de plaisirs, et premierement en l'attouchement il ressentit un froid extresme.

Vous sçavez la revelation que Ste Brigide eut de la naissance de Nostre-Seigneur, et comme elle dit, que Nostre-Dame estant en une grande abstraction et recueillement interieur, elle vit en un instant ce divin enfant couché sur la terre tout nud tremblottant de froid; et que soudain l'ayant adoré, elle le prit avec une extreme reverence, et l'enveloppa dans de pauvres langes qui ne le pouvoient pas garantir de souffrir la rigueur du froid. Venons à l'odorat. Vray Dieu! quelle suavité et quel

(1) S Jean, t.

parfum pensez-vous qu'on puisse avoir dans une estable? Et si nous voyons que les roys de la terre, quand leurs enfans naissent, quoy qu'ils ne soyent que des hommes miserables et mortels comme les autres, l'on met tant de parfums et l'on fait tant de ceremonies pour honorer leur naissance, hé Dieu, mes cheres ames, que ne debvroit-on pas faire pour honorer ce divin Sauveur, qui n'est pas seulement homme, ains Dieu et homme tout ensemble, et neantmoins il ne se fait rien de tout cela. Quelle musique pour recreer son ouïe? ayant auprès de luy un bœuf et un asne pour magnifier la naissance de ce roy celeste. Enfin il ne trouve rien qui luy puisse donner du contentement ou de la recreation, que cette liqueur celeste du sacré et divin laict que sa tres-beniste mere luy faict tirer de ses tres-pures mammelles; car il faut confesser qu'il estoit meilleur sans comparaison que le vin le plus delicieux qu'on puisse jamais rencontrer, ce qui recreoit un peu le goust de ce tres-sainct enfant.

Mais quant au troisieme poinct de l'abnegation de soy-mesme, qui regarde l'obeïssance, qui est-ce qui est jamais parvenu à un si entier et parfaict renoncement, pour se laisser conduire à la volonté de ses superieurs, que ce divin enfant? O Dieu ! que c'est bien en ce poinct qu'il s'est montré vray religieux: S. Joseph et Nostre-Dame luy tiennent la place de superieurs; ils le meinent et le portent d'un lieu en l'autre : il les laisse faire, sans jamais dire un seul mot. Mais il passa encore bien plus avant, se rendant obeïssant à la nature mesme, ne voulant faire ses croissances, ny parler, que comme les autres enfans. O`abnegation nompareille de ce divin Sauveur! estant en son pouvoir de faire des miracles par luy-mesme, il n'en faict point; et si bien il s'en faict en sa nativité autour de luy par le chant des anges, qui advertissent les pasteurs de le venir adorer; et en la conversion des gentils, par les trois roys qui le vindrent voir et recognoistre pour leur Dieu. Toutes ces merveilles se font par le ministere des anges, ou par le moyen d'une estoile extraordinaire; mais en sa personne et en son exterieur, il ne se montre estre autre chose qu'un pauvre petit enfant subjet aux infirmitez et mi

seres de la nature comme les autres, luy de qui les anges sont illuminez et eclairez, et par qui ils entendent et comprennent toutes choses, ne faict point de revelations, ains attend que S. Gabriel les vienne faire à son pere nourrissier, ainsi que nous voyons en l'Evangile de ce jour. Faut-il fuir devant Herode? il n'en dit mot, ains attend que cet ange, destiné pour la conduite de sa famille, le vienne dire et ordonner; de mesme après la mort d'Herode, pour s'en retourner d'Égypte en Israël, il n'en dit rien. Ne pouvoit-il pas bien dire à S. Joseph, ou à Nostre-Dame : Vous pouvez retourner en Judée quand il vous plaira, car Herode, que vous craignez, est mort, neantmoins il ne le faict point, mais attend que l'ange le vienne reveler à S. Joseph. Ne voilà pas une merveille tres-grande, que ce divin enfant aye tellement renoncé et abandonné le soin de soy-mesme pour se laisser conduire selon la volonté de ses superieurs, qu'il n'aye pas voulu seulement dire une petite parole pour advancer leur depart?

O que ce document est remarquable! Nostre-Seigneur est remply de toutes les sciences, il sçait toutes choses, car des l'instant de sa conception il reçeut une parfaite cognoissance de tout ce qui avoit esté, qui estoit et qui seroit; et neantmoins 1 ne dit pas un seul mot, mesme à sa saincte mere, gardant un continuel silence pour ne luy point tesmoigner sa science. O qu'il practique bien le contraire des hommes du monde; car, pour l'ordinaire, s'ils ont une once de science, l'on ne les peut tenir de parler, tant ils ont envie de se faire estimer sçavans.

s'fl a renonce a tous les plaisirs de la terre, et à soy-mesme, et s'est assujetty à l'obeïssance pour l'amour de nous, afin de nous montrer combien la vie religieuse, où tout cela se practique, luy est agreable, pourquoy ne l'embrasserons-nous pas pour luy agreer? Non, dites-vous, nous ne quittons pas le monde seulement pour acquerir le ciel, car les personnes qui y demeurent le peuvent gagner en vivant dans l'observance des commandemens de Dieu, ains pour accroistre un peu plus nostre charité et nostre amour envers sa divine bonté.

Mais pour revenir à ce que j'ay dit, que Nostre-Seigneur se fit appeller Nazareen, je remarque qu'une des principales raisons pour lesquelles il prit et retint tousjours ce nom, outre celle que nous avons dite, est parce qu'il signifie fleur, ou fleury ha! que c'est tres-à-propos qu'il s'appelle fleur, car n'est-ce pas l'odeur de cette divine fleur qui attire ces ames à la suite de ses parfums (4)?

:

Une autre raison que je remarque encore, et que je ne feray que toucher en passant, pour laquelle Nostre-Seigneur se fit appeller de Nazareth, est parce que cette ville estoit le lieu de sa conception, qui est une chose que les hommes ne peuveut faire, d'autant que tandis qu'ils sont dans le ventre de leur mere, l'on ne sçait quelle issue ils auront, et s'ils viendront au monde morts, ou vivans, l'on ignore entierement ce qui en arrivera: mais il n'en estoit pas ainsi de Nostre-Seigneur; c'est pourquoy il a pris le nom du lieu de sa conception, parce que des cet instant il fut homme parfaict.

Revenons à nostre seconde raison, expliquons un peu plus particulierement la cause pour laquelle Nostre-Seigneur a voulu estre appellé de Nazareth, qui vaut autant à dire fleur: et, pour mieux com. prendre cecy, ecoutons ce qu'il dit au Can

Or puisque Nostre-Seigneur est venu en ce monde pour nous donner un parfaict exemple de l'abnegation de soy-mesme, il est bien raisonnable que nous l'imitions et allions après luy, pour conformer (autant qu'il nous sera possible) nostre vie sur la sienne. Et c'est le sujet pour lequel, mestique des cantiques (2), Ego sum flos camcheres filles, vous venez maintenant vous presenter pour estre religieuses, car sans doute vous avez dit en vous-mesmes: si mon Seigneur et mon Dieu a bien voulu renoncer aux richesses, à sa patrie, et à la maison de ses parens, pour l'amour qu'il portoit à la pauvreté; hé! pourquoy donc, à son imitation, ne le ferons-nous pas ? et

pi, et lilium convallium: Je suis la fleur des champs et des campagnes, et le lys des vallées. Mais quelle fleur des champs estesvous, Seigneur? certes quand il dit: Je suis la fleur des champs, l'on doit entendre la rose, parce qu'elle excelle toutes les autres fleurs en odeur et beauté. Or vous sça

(1) Cant, I. (2) Cant. 11.

vez qu'il y a deux sortes de fleurs, les unes qui procedent du bois, et les autres qui ont leur tige d'herbe entre toutes celles qui procedent du bois, la rose emporte le prix, ainsi que faict le lys entre toutes celles qui ont leur tige d'herbe ; et les diverses proprietez et excellences qui se rencontrent ès roses et ès lys, se retreuvent admirablement bien en Nostre-Seigneur, ainsi que nous dirons maintenant.

La premiere proprieté que je remarque en la rose, est qu'elle croist sans artifice, et n'a presque point de besoin d'estre cultivée; aussi voyez-vous qu'on ne cultive point celle qui croist aux champs; et quoy que son odeur soit extresmement suave lorsqu'elle est fraische, toutesfois elle est beaucoup plus forte quand elle est seiche ce qui nous represente merveilleusement bien que cette divine fleur de Nostre-Seigneur, qui est sortie de la tres-Sainte Vierge, ainsi qu'il a esté predit par Isaïe, qu'une fleur sortiroit de la verge de Jessé, Egredietur flos de radice Jesse (4), quoy qu'il aye exhalé des parfums d'une admirable odeur et suavité tout le temps de sa tres-saincte enfance, et pendant tout le cours de sa vie; neantmoins si faut-il advouer qu'à l'heure de sa saincte mort et passion, comme une rose seiche, fanée et flestrie par les tourmens qu'il endura, il a exhalé une odeur beaucoup plus forte pour attirer les ames à la suite de ses parfums.

Secondement, je considere qu'il n'est pas seulement appellé la fleur des champs, mais aussi le lys des vallées. Chascun sçait bien que la beauté du lys consiste principalement en la blancheur; or que cette blancheur se retreuve par excellence en Nostre-Seigneur, personne n'en peut douter, d'autant qu'il a tousjours eu une pureté et candeur si relevée au dessus des anges et des hommes, qu'elle ne peut recevoir de comparaison. Dilectus meus candidus (2), mon bien-aymé a une blancheur nompareille, dit l'epouse sacrée au Cantique des cantiques, parlant de Nostre-Seigneur. Et Salomon au livre de la Sapience dit qu'il est la splendeur de la lumiere eternelle, le miroir sans tasche de la majesté de Dieu, t la parfaicte image de sa bonté. Qui est

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candor lucis æternæ et speculum sine macula Dei majestatis et imago bonitatis illius.

La seconde proprieté du lys est, qu'ii peut croistre aussi bien que la rose sans estre cultivé, et sans artifice, comme l'on voit en certain païs; et cecy nous monstre l'amour que Nostre-Seigneur portoit à la simplicité, ne voulant pas estre appellé du nom des fleurs des jardins, qui sont cultivées avec tant de soin et d'artifice. Et quand il dit: Ego sum flos campi (), je suis la fleur des champs, il choisit sans doute, la rose entre toutes les autres fleurs, à cause de l'amour qu'il portoit à la pauvreté, parce qu'il n'y a rien de plus pauvre que cette fleur, car elle n'a que des espines, et ne requiert point (comme nous avons dit) qu'on s'employe autour d'elle pour la cultiver; et quoy qu'elle soit seiche, toutesfois elle ne laisse pas de rendre tousjours une tres-bonne et agreable odeur: ce qui confirme ce que je viens de dire de Nostre-Seigneur, lequel, combien qu'il fust environné de croix, d'espines, de tourmens, et de toutes sortes d'afflictions en sa mort et passion, ne laissoit pas neantmoins de respandre tousjours une odeur extresmement suave, pour nous faire comprendre que les afflictions, les tenebres interieures, les ennuis d'esprit, qui sont quelquefois si grands entre les personnes les plus spiri tuelles, et qui font profession de la devo tion, qu'il leur semble qu'elles sont presque du tout abandonnées de Dieu, ne sont jamais capables de les separer de luy, en sorte qu'elles ne puissent tousjours respandre devant sa divine Majesté des parfums d'une saincte soubmission à sa tres-saincte volonté, accompagnées d'une invariable resolution de ne le point offencer; cela s'entend en la partie superieure de l'esprit.

Mais pour revenir à ces filles, qui se viennent maintenant presenter pour estre offertes et sacrifiées à la divine Majesté ; si on leur promet d'abord qu'elles jouïront des richesses de la felicité eternelle, on ne les trompe point, car on leur a dit que c'est à condition qu'elles renonceront entierement aux choses terrestres et perissables, et qu'il faut quitter la maison de

(1) Cant. It.

42

ses parens et sa patrie, non seulement
n'en
d'effet, mais encore d'affection, pour
avoir jamais plus que celle de la religion en
laquelle elles entrent. On leur promet aussi
qu'elles jouïront des consolations que Dieu
a accoustumé de donner à ceux qui le ser-
vent fidellement, mesme de ceste vie; mais
à condition qu'elles renonceront à tous les
plaisirs sensuels, pour licites qu'ils puissent
estre. On leur promet encore qu'elles se-
ront eternellement unies à la divine Ma-
jesté; mais à condition toutesfois qu'elles
renonceront parfaitement à elles-mesmes,
et à toutes leurs passions, affections et
inclinations, faisant une absolue transmi-
gration de toutes choses: car nous leur di-
sons, si autrefois yous avez aimé à vivre
selon vostre volonté, et à faire estime de
vostre propre jugement, desormais il ne
faudra plus estimer que l'obeïssance et la
soubmission, taschant tant qu'il vous sera
possible d'aneantir toutes vos passions,
pour ne plus vivre selon icelles, ains selon
la perfection qui vous sera enseignée. Nous
leur mettons un voile sur la teste, pour
leur montrer qu'elles seront cachées aux
yeux du monde; et si elles ont eu affec-
tion d'estre connues et estimées par le
passé, desormais il ne sera plus faict au-
cune mention d'elles. Nous leur changeons
encore d'habit, pour leur faire entendre
qu'il leur faudra changer d'habitude : et
leur disons qu'elles seront appellées pour
jouïr de la felicité avec Nostre-Seigneur sur
le mont Thabor, mais que ce ne sera qu'a-
près qu'elles auront esté crucifiées avec luy
sur celuy du Calvaire par une continuelle
mortification d'elle-mesmes, et volontaire
acceptation de celles qui leur seront faites
et ordonnées sans choix, ny exception
quelconque. Et pour ne les point tromper,
nous ne leur promettons pas qu'elles seront
espouses de Nostre-Seigneur glorifié, si-
non après qu'elles l'auront esté en ceste
vie de Nostre-Seigneur crucifié, qui ne
leur presentera pas la couronne d'or, sinon
après qu'elles auront porté celle d'espines,
Enfin nous leur disons que la religion est
un mont de Calvaire, où les amateurs de la
croix se treuvent et font leur demeure. Et
toutes, ainsi que les abeilles, rejettent et
abhorrent toutes sortes de parfums estran-
gers, qui ne proviennent pas des fleurs sur
lesquelles elles cueillent le miel, ce que

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vous esprouverez, si vous leur portez du musc ou de la civette, car vous les verrez incontinent fuïr, et se resserrer dans leur ruche, rejettant tous ces parfums, parce qu'ils proviennent de la chair : de mesme les amans de la croix rejettent toutes sortes de parfums estrangers, c'est-à-dire de consolations sensuelles et terrestres, que le monde, le diable et la chair leur presentent, pour n'adorer jamais d'autres parfums que ceux qui proviennent de la croix, des espines, des fouets et de la lance de Nostre-Seigneur, qui sont les plus riches atours et les bagues qu'il donne à ses espouses, d'autant que ces choses sont les plus belles pieces de son cabinet ; et comme nous voyons que les espoux du monde donnent à leurs espouses des carquans, des bracelets, des bagues, et semblables bagatelles, et qu'ils font des festins à leurs nopces, ainsi en fait Nostre-Seigneur : mais sçavez-vous ce qu'il leur donne, et quels sont les mets les plus delicieux de son divin festin? ce sont des mortifications, des humiliations, des mespris, des douleurs, des peines interieures, des pressures de cœur, et des angoisses, lesquelles sont quelquesfois si grandes, qu'elles nous font quasi doubter de nostre salut, nous estant advis que nous sommes tout à fait abandonnés de Dieu. Mais comme nous voyons que les abeilles tirent le plus excellent miel des fleurs les plus ameres; de mesme les abeilles mystiques dans l'amertume des plus grandes peines interieures, par les actes qu'elles produisent d'une saincte et amoureuse soubmission au bon plaisir de Dieu, cueillent le plus excellent miel de la

devotion.

Mais outre ce que nous avons dit des abeilles, les naturalistes rapportent encore une admirable condition qui se retreuve en elles, avec laquelle je veux finir, à sçavoir; qu'elles sont si fidelles à leur roy, et ont tant d'amour pour luy, que lors qu'il vient à mourir, elles se mettent toutes autour de son corps et mourroient plutost que de le quitter; et si leur gouverneur ne venoit pour les faire retirer, indubitablement elles ne s'en separeroient jamais, et mourroient toutes auprès de luy. Or les gouverneurs des abeilles spirituelles font tout le contraire, car comme celuy-là prend soin de les faire retirer, crainte qu'elles ne mou

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