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il n'y a rien, ou presque rien. Le chapitre de la Gloire est destiné à mettre le lecteur en garde contre la vaine gloire et l'orgueil. La Justice n'est considérée que comme le châtiment des fautes. L'auteur, il est vrai, donne à ce sujet des conseils élevés aux magistrats. L'Innocence n'a, pour sa part, que seize strophes de six vers, remplies de banalités. La Gratitude développe en cent quatre-vingts vers cette idée, qu'Amour sait mieux que nous ce qui nous convient, et qu'il faut attendre, sans murmurer, qu'il veuille bien nous récompenser de l'avoir servi fidèlement. Enfin, l'Eternité nous invite à ne pas chercher à sonder trop profondément ses mystères. Ces cinq dernières parties n'ont qu'une importance secondaire dans l'ouvrage : ce sont comme des trompe-l'œil destinés à lui donner une certaine symétrie, et rien de plus.

Parmi les sept premières divisions, il en est trois qui, réunies, constituent le noyau le plus important des Documenti (1) ce sont la Docilité, l'Industrie et la Prudence. Même en nous limitant à ces trois chapitres, il nous serait impossible d'analyser complètement les préceptes de notre auteur. Le champ qu'ils embrassent est extrêmement vaste. Barberino, bien que tonsuré, est un esprit foncièrement laïque : son livre ne doit pas être confondu avec les nombreuses sommes théologiques que nous a laissées le moyen âge, et où les vices et les vertus ne sont guère envisagés qu'au point de vue religieux. Notre auteur envisage les hommes et les choses au point de vue mondain et pratique : le decorum ne le préoccupe pas moins que le bonum et honestum, et le commodum revendique une assez grande place dans les Documenti. Règles de convenance et d'étiquette à observer dans la conversation, dans la rue, à table, à l'église; instructions pour les jeunes gens de bonne famille qui veulent faire leur apprentissage de la vie en servant comme écuyers auprès des princes et des grands seigneurs : telles sont les matières les plus intéressantes qui sont longuement traitées sous le couvert de la Docilité. Les documents V et VI de la seconde partie forment deux petits opuscules dont la place pourrait, sans inconvénient, être reportée cinq chapitres plus loin le premier est une série de préceptes, proverbes ou aphorismes complètement indépendants les uns des autres, sans autre lien que le hasard de l'inspiration, et auxquels Barberino, en souvenir des coblas provençales, donne le

(1) Ces trois parties n'occupent pas moins de 250 pages de l'édition, qui n'en comprend en tout que 376.

nom de gobole; le second se compose de cinquante mottetti, préceptes du même genre, formulés sous une forme énigmatique ou amphibologique, qui rappelle également le trobar clus de certains poètes de langue d'oc. C'est surtout dans la VIIo partie (Prudence) que Barberino répand les trésors de son expérience sur les matières les plus diverses: si l'on veut se marier, si l'on est chargé de gouverner une ville, si l'on a un long voyage à faire par terre ou par mer, si l'on est fait chevalier, si l'on veut s'adonner à la vie contemplative, si l'on est homme de loi, médecin, notaire, marchand, changeur, podestà ou condottiere, que sais-je encore? dame Prudence, envoyée par Amour et prenant Barberino comme truchement, saura vous donner conseil dans ces différentes situations.

A côté du texte italien des Documenti publié par Ubaldini, le manuscrit original de la bibliothèque Barberine contient une traduction latine faite par l'auteur lui-même. Il y a peu de chose à en dire : Barberino écrit en mauvais latin, comme presque tous ses contemporains; mais comme il écrit en prose, ni la rime ni la mesure n'apportent d'entraves à l'expression de sa pensée, et, dans plus d'un passage, la version latine est un précieux secours pour entendre sainement le texte italien.

Tout autre est l'importance du commentaire latin, malheureusement encore inédit, que Barberino a joint au double texte des Documenti. On trouverait difficilement, dans l'histoire littéraire de la France, un exemple d'un auteur qui ait eu ainsi l'idée de se commenter lui-même ; en Italie, pareille chose n'est pas tout à fait une exception. Qu'est-ce, après tout, que la Vita nuova de Dante, sinon un commentaire de ses premières poésies lyriques? Il y a plus d'un rapport entre la forme de la Vita nuova et celle des Documenti. Si dans l'œuvre de Barberino le texte et le commentaire ne sont pas fondus aussi harmonieusement que dans celle de Dante, ils n'en sont pas moins très étroitement liés, et le texte ne peut pas plus se passer du commentaire que le commentaire du texte plusieurs renvois du texte italien en fournissent la preuve (1). Je comparerais volontiers l'ensemble de l'ouvrage, tel que l'auteur l'a conçu et exécuté, à une maison à trois étages. Les bonnes gens, ceux qui n'entendent pas le latin, ne sont admis qu'au premier étage : ils doivent se contenter du

(1) Par exemple la fin du préambule de la XI' partie (Gratitude) :

E da le chiose tore

Porai di ciò distese più ragioni.

.

texte en langue vulgaire et des miniatures qui l'illustrent. Ceux dont le savoir se hausse jusqu'à comprendre la langue de l'école peuvent, s'ils le jugent à propos, s'arrêter à ce premier étage; mais ils ont au-dessus un appartement beaucoup plus riche dont ils peuvent disposer et où ils ne risquent pas de coudoyer les gens de la première catégorie : c'est la traduction latine. Enfin, les vrais savants, les intelligences d'élite possèdent une demeure princière au troisième étage, et ils ont en même temps la libre jouissance des étages inférieurs ce sont les vrais propriétaires, c'est pour eux que l'architecte a tout disposé; leur troisième étage n'est pas un exhaussement fait après coup: il existait dans le plan primitif, il en était la partie importante, et les étages inférieurs étaient surtout destinés à rendre possible l'accès de ce troisième.

Dans beaucoup de cas, lê commentaire joue vis-à-vis du texte le rôle que joue la prose dans le Reggimento il contient des nouvelles qui, tout en appuyant par des exemples l'autorité des préceptes, sont destinées à reposer l'esprit du lecteur. Il en est ainsi notamment pour les cent cinquante gobole que renferme la seconde partie chacune d'elles est illustrée par un récit. Plusieurs des divisions du Reggimento se terminent par une nouvelle dans les Documenti, il est de règle que chaque dame, avant de céder la parole à celle qui vient après elle, raconte quelque histoire; cette histoire se trouve, bien entendu, dans le commentaire latin.

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Ailleurs le commentaire est bien réellement un commentaire, c'est-à-dire que l'auteur prend successivement chaque mot, chaque pensée du texte, les explique, s'ils offrent quelques doutes à l'esprit, et accumule les citations pour montrer qu'il n'a rien avancé sans avoir de bonnes autorités derrière lui. C'est là que l'érudition de Barberino se donne libre carrière: on remplirait des pages entières en énumérant seulement les noms des auteurs et les titres des ouvrages latins, italiens, français et provençaux dont il invoque à chaque instant le témoignage. Je ne crois pas qu'aucune œuvre du moyen âge, pas même le Speculum de Vincent de Beauvais, soit pour l'histoire littéraire un répertoire aussi considérable de noms et de faits. On trouvera plus loin une étude approfondie sur les auteurs provençaux connus et cités par Barberino : presque tous les éléments en ont été tirés du commentaire. Les révélations qu'apporte cette étude ne sont pas particulières à la littérature provençale; il y aurait lieu de faire des études analogues en ce qui concerne les autres littéra

tures, et l'on arriverait à des résultats presque aussi nouveaux. Qu'est-ce que Massenius, Saxirus, Mona d'Egypte, auteurs latins à qui Barberino fait de nombreux emprunts? Quel est cet auteur français qu'il nomme dominus Johannes de Bransilva et qu'il cite fréquemment ? Qui a jamais vus mentionnés ailleurs un livre du comte Baldo da Passignano sur l'Espérance, ou un traité de Ugolino Buzuola, en dialecte faentin, sur les façons de saluer ? Je ne parle pas des digressions de tout genre que nous offre le commentaire sur les sujets les plus divers: philosophie, politique, poétique (1), etc. On n'appréciera vraiment toute l'importance de cette œuvre considérable que le jour où une édition intégrale en aura mis le texte à la portée de tous ceux qui s'intéressent au moyen âge; ce jour-là seulement l'érudition contemporaine connaîtra tout le prix des matériaux qu'elle renferme et pourra chercher à les utiliser pour le profit définitif de la science. On comprend qu'il est impossible, dans ces conditions, de prétendre dresser la liste complète des sources utilisées par Barberino pour la composition de ses Documenti. Il n'est pas un paragraphe de cet ouvrage pour la rédaction duquel il n'ait consulté, et cité scrupuleusement dans le commentaire, les auteurs les plus divers, latins et provençaux, voire français et italiens. Mais il faut ajouter que son expérience personnelle se combine si étroitement avec le souvenir de ses lectures, que presque partout il a su rester original, sinon pour le fond des idées, du moins dans la forme. On peut appliquer à l'ensemble des Documenti ce qu'il dit lui-même des gobole qui se trouvent dans la seconde partie :

Anno del novo e di quel che detto era,
Ma io tel porgo in ordine novello.

Certes s'il est une partie de cette œuvre pour laquelle on ait le droit d'invoquer une origine provençale, ce sont bien ces gobole, dont Barberino dit lui-même dans son commentaire : facte sunt ad instar provincialium gobularum. En effet, nous trouvons dans la littérature provençale des coblas esparsas (2) que notre auteur a certainement imitées et pour la forme matérielle et pour le fond

(1) M. Antognoni vient de publier, dans le Giornale di Filologia romanza, tome IV, p. 78 et suiv., un petit traité de poétique italienne tiré du Commentaire de Barberino, traité qui jette un jour nouveau sur l'ancienne lyrique tos.

cane.

(2) Bartsch, Grundriss, p. 46, et Chrest. prov., 3e éd., col. 269-70.

des idées. Malgré cette imitation avérée, il serait impossible de citer une cobla de Bertran Carbonel ou de Guiraut del Olivier que Barberino se soit borné à traduire servilement dans une gobola. C'est de la même façon, sans doute, qu'il a utilisé les œuvres perdues de Raimon d'Anjou, de Hugolin de Forcalquier et de Blanchemain. Cette originalité dans l'imitation est rare au moyen âge elle fait grand honneur à Barberino, en qui il ne faut pas voir un vulgaire compilateur, mais un écrivain et un penseur.

J'ai eu occasion de citer plusieurs fois, dans l'étude qui précède, une œuvre provençale considérable, dont le titre a une certaine analogie avec les Documenti d'Amore de Barberino: c'est le Breviari d'Amor de Matfré Ermengaut de Béziers. J'ai même fait remarquer que la conception de l'amour chez Barberino procède de la conception des derniers troubadours provençaux, dont Matfré nous offre comme un résumé. On pourrait se demander si l'auteur italien n'a pas connu la vaste encyclopédie d'Ermengaut, et s'il ne s'en est pas inspiré dans une certaine mesure. La question vaut la peine d'être examinée.

Rappelons brièvement comment est composé le Breviari d'Amor (1). Dieu, dit Ermengaut, a créé la nature; celle-ci a deux enfants droit de nature et droit des gens. Du premier viennent l'amour sexuel et l'amour des enfants; du second l'amour de Dieu et du prochain et l'amour des biens temporels. C'est de ces quatre sortes d'amour qu'il sera question dans le Breviari. Par l'amour céleste et l'amour terrestre, Ermengaut arrive à insérer dans son livre une véritable encyclopédie de la théologie et de l'histoire naturelle de son temps; toutes ces matières, qui forment une grande partie du Breviari, sont complètement étrangères aux Documenti. Mais où l'analogie commence, c'est quand Ermengaut arrive à traiter de l'amour de mascle et femne, de cet amour naturel dont ont tant parlé les troubadours. A grand renfort de citations habilement choisies, le poète provençal s'efforce de faire triompher la théorie de l'amour chevaleresque; il s'en acquitte si bien, - c'est lui-même qui se décerne ce témoignage, que dames et seigneurs viennent tour à tour lui demander des règles de conduite en la matière. Aux dames il répond en citant de longs fragments de Garin le Brun; aux fins amadors il détaille les qualités qu'ils doivent acquérir: largesse, hardiesse, courtoisie, humilité et domnei.

(1) Voyez l'introduction placée par M. Gabriel Azais en tête de son édition.

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