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légendes venues plus ou moins directement de la Bretagne, les compositions morales et didactiques naissent de tous côtés et trouvent un accueil favorable dans le public des villes et des châteaux. Le fleuve dont les eaux se grossissent ainsi de nouveaux affluents et dont le lit s'élargit sans cesse semble devoir couler éternellement. Mais il n'en est pas ainsi. Tout à coup le niveau s'abaisse, le courant se ralentit; le fleuve majestueux se réduit peu à peu à un maigre ruisseau qui ne tarde pas luimême à se tarir complètement. Quelle est la cause de ce changement si inattendu? Il ne faut pas le chercher ailleurs que dans la croisade des Albigeois : cette invasion du Midi par les gens du Nord, en modifiant profondément l'état social du milieu où s'était jusqu'alors développée la littérature provençale, a porté à celle-ci un coup fatal. La littérature provençale est morte au moment où naissait l'unité française: ce sont là deux faits si étroitement liés qu'il faut croire que le premier était la condition indispensable du second; celui-ci, à son tour, vaut bien que l'on oublie celui-là.

Cette histoire si courte de la littérature provençale a quelque chose de touchant; il s'en dégage je ne sais quelle impression douce et mélancolique qui nous pénètre intimement. Les troubadours sont comme ces poètes morts jeunes ou malheureux auxquels la postérité se montre tout particulièrement sympathique, et dont les œuvres bénéficient de la pitié qu'excitent leurs malheurs. La littérature provençale a produit des œuvres qui peuvent se passer de considérations de ce genre; elle n'a pas besoin de notre pitié pour éveiller notre admiration. Mais la sympathie que nous éprouvons pour elle avant même de la bien connaître doit avoir au moins un résultat : c'est de nous faire rechercher et étudier avec une pieuse curiosité les moindres monuments qu'elle nous a laissés.

On n'aurait qu'une idée bien incomplète du mouvement littéraire dont le provençal a été l'expression si l'on se bornait à étudier ce mouvement dans les pays où il s'est produit, développé et éteint. Son influence a franchi non seulement la Loire, mais les Pyrénées et les Alpes; en Espagne et en Italie, l'étude et le culte de la littérature provençale ont précédé la naissance des littératures nationales, et l'on a pu dire justement (1): « Ce ne

(1) Leçon d'ouverture faite au collège de France (27 avril 1876), par M. Paul Meyer De l'influence des Troubadours sur la poésie des peuples romans (Romania, V, 257-268).

sont pas seulement des sujets ou des formes poétiques que la poésie provençale a transmis à la poésie de l'Espagne et surtout de l'Italie, c'est l'existence même. »

Les relations entre la France du midi et le nord de l'Italie ont toujours été très étroites: Fauriel, qui a été le premier à saisir dans son ensemble cette influence de la poésie provençale à l'étranger, a donné beaucoup de preuves de ce fait (1). Rapports commerciaux entre les villes du littoral, rapports féodaux entre les seigneurs, résultant d'une suzeraineté commune des empereurs d'Allemagne, tout contribuait à resserrer les liens qui unissaient les deux régions. Il est donc tout naturel que quelques troubadours et quelques jongleurs aient songé de bonne heure à aller faire entendre au delà des Alpes les chants qui retentissaient en deça. Le brillant accueil qui leur fut fait les y retint et leur valut de nombreux imitateurs, si bien que des dernières années du douzième siècle au milieu du treizième, le nord de l'Italie fut pour les troubadours une seconde patrie (2). De nombreuses cours seigneuriales et princières leur offraient à l'envi une somptueuse hospitalité : les Malaspina, Alberto, Corrado et Guglielmo, dans la Lunigiana (3); les marquis de Montferrat Bonifacio (1207) et Guglielmo II, à Chivasso et à Montevico; les marquis d'Este, Azzo VI († 1212) et Azzo VII (1215-1264), à Este et à Ferrare (4); les comtes de San Bonifacio, Lodovico († 1212) et Rizzardo, à Vérone; l'empereur Frédéric II, soit dans le nord de l'Italie, soit en Sicile; les comtes de Savoie, à Turin, tels furent leurs principaux protecteurs.

(1) Dante et les origines de la langue et de la littérature italiennes, cours fait à la Faculté des lettres de Paris en 1833 et 1834 (Paris, Durand, 1854), tome I, vije leçon. Tout en rendant justice à Fauriel, il ne faut pas oublier qu'il n'a fait que développer éloquemment des considérations déjà nettement indiquées par Raynouard et par Diez.

(2) Le travail d'ensemble le plus complet sur les troubadours en Italie est, jusqu'ici, celui de M. Bartoli, p. 48-92, de son ouvrage intitulé: I primi due secoli della letteratura italiana (Milano, 1872-1880). M. Gebhart a finement analysé le rôle de la poésie provençale en Italie dans ses Origines de la Renaissance en Italie.

(3) Voyez Raccolta difalcuni monumenti storici e letterarj per servire a la vita del marchese Alberto Malaspina, trovatore, dans l'Annuario storico modenese, 1851, p. 38-47, par le comte Galvani.

(4) Voyez dom Al. Cavedoni, Delle accoglienze e degli onori ch' ebbero i trovatori provenzali alla corte dei marchesi d'Este nel sec. XIII, mémoire compose en 1828, remanié en 1844 et publié en 1858 dans le tome II des Memorie della reale Accad. di sc., lett. ed arti di Modena, p. 268-312.

A ces différentes cours, passant souvent de l'une à l'autre, séjournèrent plus ou moins longuement plus de vingt troubadours dont quelques-uns comptent parmi les plus remarquables : Raimbaut de Vaqueiras († 1207), dont deux pièces célèbres contiennent le plus ancien échantillon que l'on possède de poésie italienne, Peire Vidal, Gaucelm Faidit, Aimeric de Péguillan, Elias Cairel, Uc de Saint-Circ, Augier Novella (1), Guilhem Figueira (2), l'auteur d'un terrible sirventés contre la Rome papale, etc. On a cru longtemps que Bernart de Ventadour, le plus grand peut-être des lyriques provençaux, avait séjourné en Italie (3); mais les dernières recherches ont montré qu'il n'y avait aucune vraisemblance en faveur de cette opinion (4). La Toscane elle-même fut visitée par les troubadours, et la poésie provençale se fit entendre à Florence: une pièce de Raimon de Tors, de Marseille, est là pour en témoigner.

Cet état de choses prolongé ne tarda pas à donner les résultats que l'on pouvait en attendre. Apôtres inconscients, les troubadours eurent de nombreux disciples; la poésie qu'ils avaient apportée d'outre-monts, trouvant un terrain favorable, s'y acclimata en peu de temps; le provençal devint la langue littéraire de la haute société cultivée, et l'on vit surgir une école de troubadours italiens qui ne fut pas sans éclat. Le plus célèbre et le plus remarquable de ses représentants est Sordello, de Mantoue; à côté de lui on peut citer jusqu'à une vingtaine de noms parmi lesquels chaque région, on pourrait presque dire chaque ville de l'Italie du nord, a des représentants. Nous retrouvons là le marquis Alberto Malaspina qui, avec le Bolonais Rambertino Buvalelli (5), est peut-être le premier à avoir composé dans la langue des troubadours; les Génois sont nombreux : Lanfranco Cigala, Jacopo Grillo, Simon Doria, Luchetto Gattilusio (6); le Piémont fournit

(1) Le même que Augier de Vienne; Fauriel le regarde comme le premier troubadour qui ait passé en Italie, mais Cavedoni a montré (op. cit., p. 281) que la pièce où Fauriel avait vu une allusion à Frédéric Barberousse se rapporte en réalité à Frédéric II.

(2) Voyez l'édition de ses œuvres complètes publiée récemment par M. E. Lévy (Berlin, 1880).

(3) M. Bartoli le croit, à la suite de Fauriel.

(4) Voyez Carducci, Un poeta d'amore del secolo XIIo, dans la Nuova Antologia, tome XXV, p. 201 et suiv.

(5) Voyez sur ce troubadour, mort vers 1225, et dont le nom a été défiguré de mille manières, une étude de M. T. Casini dans le Propugnatore (XII2, 1879, p. 82-107 et 402-449).

(6) Voyez sur lui une note de M. Casini, sous ce titre : Un trovatore ignoto

Pietro della Caravana et Nicoletto da Torino; Venise a Bartolomeo Zorzi; Ferrare, maestro Ferrari; la Toscane enfin peut revendiquer Paolo Lanfranco, de Pistoia, et Dante da Majano (1).

Avec Dante da Majano, Ferrari da Ferrara et Luchetto Gattilusio (encore vivant en 1295) (2), nous arrivons à la fin du treizième siècle. Mais alors un fait nouveau s'est produit: tandis que dans le nord de l'Italie on avait paru croire longtemps que la poésie des troubadours était inséparable de leur langue, et que pour s'inspirer d'eux il fallait écrire comme eux en provençal, dans le midi on s'aperçut de bonne heure que la langue vulgaire que parlait le peuple était aussi capable d'exprimer les sentiments poétiques qu'une langue étrangère; du jour où l'on avait fait cette remarque était née la lyrique italienne, et l'on peut dire que c'est la poésie provençale qui a contribué par-dessus tout à hâter cette naissance (3). Là ne s'est pas borné son rôle : après avoir facilité l'enfantement, elle a fourni presque à elle seule la nourriture de la lyrique italienne pendant les premières années : les poètes de la cour de Frédéric II n'ont guère été que de serviles imitateurs des troubadours provençaux. On a donné à cette première période, qui peut aller approximativement de 1225 à 1260, le nom d'école

del secolo XIII, dans la Rassegna settimanale, V (1880), p. 391; cf. Romania, 1881, p. 324.

(1) Il ne faut pas oublier un poète italien plus modeste dont M. P. Meyer a publié récemment une œuvre inédite, Terramagnino de Pise (Romania, VIII, p. 181). Cet auteur a composé, dans la seconde moitié du treizième siècle, une Doctrina de cort en vers provençaux, qui n'est qu'une paraphrase souvent peu intelligente des Razos de trobar, de Raimon Vidal. L'œuvre de Terramagnino mérite cependant l'attention, parce qu'il y cite beaucoup de troubadours et qu'il a eu à sa disposition des recueils de poésies provençales aujourd'hui perdus.

(2) Voyez Romania, 1881, p. 324.

(3) Ce rôle de la poésie provençale en Italie a été si bien mis en lumière que la simple énonciation en est presque devenue un lieu commun pour quiconque connaît un peu l'histoire des origines de la poésie italienne. C'est donc avec une surprise extrême que nous voyons un critique historique aussi distingué que M. Marco Tabarrini, ayant à faire l'éloge funèbre du comte Galvani, prononcer, le 23 novembre 1873, devant l'Académie de la Crusca, des paroles comme celles-ci : << Ne deve dimenticarsi come il favore grande che ebbe in Italia il poetare dei provenzali si deve in gran parte alla supremazia di Carlo d'Anjou, il quale nella seconda metà del secolo XIII, vencitore degli Svevi, padrone dei reami di Napoli e di Sicilia, senatore di Roma, vicario imperiale in Toscana e fautore della lega guelfa, come falsò l'indirizzo politico e nazionale della parte guelfa, così ne falsò lo spirito letterario, promovendo l'imitazione dei poeti provenzale. » Arch. stor. ital., série 3o, tome XIX, tiré à part sous le titre de Commemorazioni di Italiani illustri (Firenze, 1874, p. 43),

sicilienne; c'est le nom que portait, dès l'époque de Dante, la plus ancienne poésie lyrique italienne (1), et la critique moderne a cru pouvoir le lui conserver, en faisant remarquer qu'il faut comprendre dans cette école non seulement les poètes de la cour de Frédéric II, comme le chancelier Pier delle Vigne, Frédéric II lui-même et son fils Enzo, Jacopo da Lentino, Mazzeo da Messina, etc., mais aussi les plus anciens poètes toscans, Bonagiunta Urbiciani, de Lucques; Meo Abbracciavacca, de Pistoia; Guitton d'Arezzo, etc. (2).

Cette école manque presque complètement d'originalité; on voit que la poésie italienne a à peine conscience de son existence propre; elle n'est pas sûre d'elle-même et n'ose guère sortir des sentiers battus et rebattus où l'a précédée la poésie provençale. Mais elle ne tarde pas à s'affranchir. Avec Guido Guinicelli et Guido Cavalcanti elle acquiert une individualité bien tranchée; Dante consacre définitivement l'avènement du dolce stil nuovo et trouve ces paroles admirables pour caractériser son génie :

Io mi son un che, quando

Amor mi spira, noto, ed in quel modo
Ch'ei detta dentro, vo significando (3).

A cette époque la littérature provençale est bien morte en Italie; elle a fait place à une littérature vraiment nationale, appelée à son tour à de brillantes et plus longues destinées. Mais la mort n'est pas l'oubli, et la nouvelle génération poétique ne peut pas oublier les générations qui l'ont précédée et dont elle reste, bon gré mal gré, l'héritière. On continue donc, non plus à imiter servilement, mais à étudier et à relire les troubadours, comme on pourrait le faire pour les auteurs classiques de la littérature latine.

Dante nous fournit le plus illustre exemple que nous puissions invoquer pour caractériser la nouvelle phase par laquelle passe la littérature provençale. Nul plus que lui n'aime la langue italienne, ce volgare illustre, auquel il doit imprimer un sceau ineffaçable, le

(1) De vulgari eloq., I, 12.

(2) Voyez, sur cette école, le travail de M. Adolf Gaspary: Die sicilianische Dichterschule des XIII Jahrhund., Berlin, 1878, petit in-8° de 232 pages. On y trouvera, démontré par de nombreux exemples, le caractère de cette première littérature italienne, déjà bien vu et bien indiqué par Diez et Fauriel.

(3) Purg., XXIV, 52-54; c'est à Urbiciani, un des représentants de la vieille école, que Dante adresse ces paroles.

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