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vie, et il remplace alors la démonstration rationnelle par l'irrésistible cri de la conscience et de la nature. Reconnaître, sans l'expliquer, l'existence du mal et du bien; s'armer de sa liberté pour combattre l'un et augmenter la sainte influence de l'autre ; se vouer à la vertu malgré les ellipses et les faiblesses de la science, voilà le devoir de l'homme. On peut affirmer que, depuis Kant (1), la question du bien et du mal n'a pas fait un pas. Le stoïcisme de Fichte aboutit au même résultat, en l'exagérant. Schelling n'a pas échappé au mysticisme. La dialectique de Hegel a voulu tourner les difficultés posées par Kant; elle a déplacé les mots, mais non pas les bornes.

Avant d'abandonner ce sujet, je ne puis m'abstenir de remarquer encore le triomphe du mysticisme dans la question du bien et du mal; non qu'au fond il la résolve, mais il sait la poser en perspective devant l'imagination et la foi des humains. Des philosophes ont dit que la création était nécessaire je le veux bien; mieux vaut qu'arbitraire; mais avec ce mot en savons-nous davantage? Or, pendant que la philosophie professe ses stériles formules, le mysticisme s'empare des esprits, les entraîne et les effraye, en promettant de les illuminer; il exerce à la fois sur l'homme une séduction inexplicable, et lui inspire uue secrète horreur. Je le comparerais volontiers à une ténébreuse forêt, pleine de fantômes et d'apparitions, d'où l'on ne sort que la raison troublée ; et cependant le voyageur qui en côtoie les bords éprouve la tentation de s'y engager, de la traverser, dût-il payer sa curiosité de sa destinée et de son bonheur.

(1) Nous avons sous les yeux la sixième édition de la Critique de la Raison pure; Leipzig, 1818. Ces trois questions, psychologique, cosmologique, théologique, sont traitées dans le second livre de la Dialectique transcendentale. Voy. aussi Prolegomena zu einer jeden Kunftigen Metaphysik; Riga, 1783. Dans cet ouvrage, Kant traite le même problème avec une admirable précision. L'étude des Prolégomènes, publiés deux ans après la Critique de la Raison pure, en facilite beaucoup l'intelligence.

Mais revenons à la conscience humaine. Quand l'homme s'interroge simplement et se saisit au moment d'agir, ne se trouve-t-il pas entre une bonne et une mauvaise action? Il a le choix, et il est appelé à l'élection dans cette lutte si bien décrite par un chrétien, par saint Paul, avec une profondeur douloureuse, inconnue à l'antiquité.

Le choix est fait; si nous avons opté pour le bien, notre conscience nous approuve; si pour le mal, elle nous condamne de plus, nos semblables nous louent ou nous blåment, écho répété de notre conscience; et, de notre aveu ainsi que de celui des autres, nous sommes responsables.

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L'homme n'est pas libre de plain-pied; mais avec beaucoup d'efforts il peut arriver à l'être; les passions, l'altération de nos organes, la disparition complète de la raison, sont autant d'obstacles à la liberté humaine.

D'où vient qu'entre le bien et le mal l'élection est si laborieuse et si méritoire, si ce n'est que, sollicités à chaque instant par notre nature orageuse, turbulente, ambitieuse, égoïste, avide de jouissances, nous penchons à nous satisfaire à tout prix dans les instincts les plus impérieux de notre ètre? Les passions ne détruisent pas notre liberté, mais elles la rendent plus difficile; elles en font à toute heure comme le siége et la circonvallation. Notre unique ressource contre elles est de leur trouver une diversion et un but qui nous honorent et nous relèvent, et d'en faire un instrument de progrès et de gloire. Voilà pourquoi aussi c'est un devoir sacré de répandre à grands flots la lumière sur ces classes malheureuses qui, dans la conduite de la vie, n'ont que leurs passions pour guides, pour conseillères, et que l'instruction et la moralité doivent réhabiliter un jour. Pourquoi ces tragédies si sanglantes qui se jouent si souvent dans les galetas de la misère? Parce que les passions n'y sont pas combattues et corrigées par les influences et les avertissements de l'éducation morale; elles règnent dans toute leur fougue sans trouver ni contre-poids, ni résistance. Toutefois, chez l'homme le

plus passionné, la liberté est encore possible, et la responsabilité persiste.

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Les passions nous remuent tellement, qu'elles nous rendent malades les organes s'affaiblissent et s'altèrent. Assailli par les passions, l'homme est en même temps désarmé par le trouble de ses forces physiques. Déjà vivement battue en brèche, la liberté morale est encore trahie par le tempérament, et la science médicale peut lire clairement sur la physionomie et sur l'organisme de l'homme le secret de sa faiblesse et de ses maux. Le malheureux alors a des manies, des penchants affreux qui le sollicitent au mal, des attractions épouvantables qui l'arrachent du milieu de ses bonnes intentions pour le mettre face à face avec la tentation d'un crime lésion cruelle de la nature physique qui diminue plus sensiblement encore que les passions l'action de la liberté morale. La médecine française, si savante, si ingénieuse, et qui tient en Europe le premier rang, a nié par une préoccupation tout à fait naturelle, la possibilité et la persistance de la liberté dans une forte perturbation des organes. Je crois que, dans l'esprit général de cette décision, et non pas dans telle ou telle espèce où il me serait impossible de suivre une science que je ne connais pas, il y a eu de l'entraînement et de l'exagération. Il est incontestable que les crises maladives du tempérament compromettent gravement la liberté; mais la conscience de la société se refuse à croire, malgré les théories médicales, qu'elles la détruisent tout à fait. Il faut avouer que, dans ces derniers temps, on a un peu abusé de la monomanie; on a voulu la reconnaître partout, et on a trop incliné à déclarer la liberté morte quand elle n'était que malade (1).

(1) Sur les maladies auxquelles peut être en proie la liberté humaine, je ne saurais mieux faire que de renvoyer le lecteur au livre vraiment remarquable des Hallucinations, par M. le docteur Brierre de Boismont, qui, dans une seconde édition entièrement refondue, vient de livrer, non

Je ne ferai que nommer la folie, pour laquelle toute responsabilité disparaît, et qui a l'absolution du genre humain : elle l'achète assez cher.

Quelle conséquence à tirer de cet examen rapide? Une fort grave: c'est que, si la responsabilité morale a tant de degrés et de nuances, la législation doit les suivre, les étudier, et mettre les différences de la peine en rapport avec les différences du délit. Il n'y a rien d'absolu dans la vie humaine : le bien et le mal s'y mêlent dans des détours et des détails infinis. La loi doit s'y engager sous peine d'insuffisance et de cruauté. Envoyer un homme à l'échafaud ou l'absoudre complétement, c'est placer le magistrat et le jury entre l'absurdité et la faiblesse (1).

En passant de la responsabilité morale au jugement public que porte la société sur les actions individuelles, nous allons de la morale à la législation proprement dite. Bentham a dit d'une manière tout à fait heureuse : La législation a le même centre que la morale, mais elle n'a pas la même circonférence. En effet, la société n'est pas obligée de punir toute action réputée mauvaise par la conscience individuelle; mais elle punit seulement quand cette action attaque et blesse les droits et l'existence de l'association. Je définirais volontiers le crime: une action en soi et socialement mauvaise, car il faut les deux termes; ôtez l'un d'eux, et les conditions nécessaires du crime vous échappent.

Il est vrai qu'en parcourant l'histoire des lois pénales, on voit disparaître certaines actions du catalogue des délits. Mais faut-il en conclure, comme Bentham et son école, que la loi seule crée les délits et les crimes? Non, mais que la

seulement aux médecins, mais aux philosophes et aux penscurs, les plus intéressantes observations. (Note de la 3e édition.)

(1) Depuis la Révolution de 1830, le gouvernement français est entré franchement dans la voie des améliorations en ce qui concerne la législation pénale, et s'est inquiété du soin de proportionner les peines aux délits,

société, qui abrége la liste des actions à punir, se règle sur cette considération : telle action est moralement mauvaise, toutefois l'association n'a plus intérêt à la châtier publiquement; elle désire même n'en pas divulguer l'immoralité, et en laisser le châtiment à la censure de l'opinion et des mœurs. Je parle ici des véritables délits qui survivent aux révolutions des idées et des habitudes. Ils pourront disparaître de la loi, mais non pas de la morale.

En outre, il est des actions dont la législation n'a pas suffisamment étudié le caractère, et qu'elle se hâte de condamner sur l'injonction d'une doctrine inflexible, ou sur le cri de la société qui se croit compromise; j'en donnerai pour preuves le duel et le suicide.

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Quand un homme dans un combat volontaire reçoit la mort d'un de ses semblables, il y a là quelque chose de fort triste. La société a perdu un de ses membres; un homme a tué son frère irréparable malheur ! Mais ce fait suffit-il pour condamner le duel d'une manière absolue, et ne faut-il considérer que la catastrophe et le cadavre? n'y a-t-il pas à mettre en compte le respect de l'individualité humaine, qui, appelée à un combat tragique, n'a pu s'y refuser sans perdre sa dignité vis-à-vis d'elle-même, et son honneur vis-à-vis des autres? Flétrissons le duel quand il n'est qu'un assassinat hideux et frivole qui trouble nos réunions, nos spectacles et nos salons; mais que le législateur sache bien que, dans le duel lui-même philosophiquement considéré, il y a quelque chose de plus grave que les petites satisfactions d'une vanité ridicule. L'homme n'existe socialement que s'il est estimé de luimême et des autres, et il doit toujours retenir le droit de venger lui-même ces outrages que la société ne vous permet pas de pardonner. La loi ne saurait désarmer à ce point l'individu, et, pour tout homme libre, ce droit inalienable est comme l'épée du gentilhomme qui ne le quittait jamais.

Il y a d'ailleurs des actions qui se dérobent à la justice des lois et que les mœurs peuvent seules punir. Qui n'a pas

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