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un tableau rapide et resserré doit nous donner la justification claire des principes et des destinées de la nature humaine. Je ne veux pas ici jeter quelques phrases superficielles sur l'Orient, et je ne gaspillerai pas en quelques traits mal ébauchés le magnifique trésor de la législation orientale. Pas davantage je ne désire prendre une prélibation, si je puis parler ainsi, sur cette Grèce, si vive, si gracieuse et si variée, où nous nous engagerons plus tard (1). Rome, qui participe à la fois de l'Orient et de la Grèce, nous suffira pour entrer dans l'histoire. C'est entre le mont Palatin et le mont Capitole que s'est dessinée en caractères ineffaçables l'opposition jusqu'à présent éternelle du pouvoir et de la liberté, de l'aristocratie et de la démocratie; tellement que tous les historiens l'ont saisie à des degrés différents, suivant la portée de leur intelligence. Nous traverserons la république, l'empire, ce célèbre droit civil qui sépare si profondément la vie privée de la vie publique, le christianisme qui donne au monde une liberté morale inconnue jusqu'alors. Cependant les barbares, apportant du sang nouveau à la vieille Europe, la reconfortent en l'envahissant. Et quel est le caractère de leur loi? Le redressement de la personnalité humaine. En voulez-vous la preuve? La loi suivait partout l'homme sur le territoire étranger; elle ne le quittait pas, tant elle était personnelle.

Voilà donc les barbares déchaînés sur le monde. Le christianisme lui-même serait impuissant pour calmer une domination si apre. L'ordre se rétablira par une institution originale entre toutes, la féodalité. Opposition tranchée avec la loi barbare, loin d'être personnelle, la loi féodale n'est autre chose que la terre élevée à la souveraineté. Le spiritualisme chrétien eût été sans force; il fallait un ordre matériel, et

(1) J'ai tenu cette promesse, par la publication récente de l'Histoire des législateurs et des constitutions de la Grèce antique. 2 vol. in-8°. Amyot, 1852. (Note de la 3e édition.)

en cela la féodalité fut utile au monde; nous pouvons sans danger lui rendre aujourd'hui cette justice. Mais la société féodalement constituée, le christianisme reprend l'empire des idées et la supériorité morale; il domine l'Europe par la papauté italienne, développe sa propre législation, le droit canonique, se réforme et se divise par Luther. Ainsi voici les éléments de la société moderne la législation barbare, la législation féodale, la législation canonique.

Sur cette triple base, la société européenne se développe sans relâche la France, par sa constitution monarchique. travaille la première à sa propre unité, par contre-coup à celle de l'Europe; sous le sceptre de Louis XI, de Richelieu et de Louis XIV, la monarchie royale, comme parle Bodin, réprime la féodalité et l'Église, abat l'aristocratie, élève le peuple, sert puissamment la liberté et rend une évolution nécessaire.

A la monarchie royale s'enchaîne un nouveau progrès, la monarchie représentative dont l'Angleterre est l'éclatant modèle, et qu'elle établit irrévocablement par sa révolution de 1688. Alors cette ile célèbre donne à l'Europe l'enseignement de la liberté politique; elle en fut l'école au dixhuitième siècle pour tout ce que l'Europe eut de penseurs ; Voltaire, Montesquieu et Rousseau l'explorèrent avidement et préparèrent pour la France un mouvement social qui devait aller au delà de cette transaction si belle en Angleterre entre l'aristocratie, le peuple et le trône, dont aujourd'hui une des parties contractantes demande à changer un peu les conditions.

Mais avant de commencer elle-même une révolution, la France jette la liberté dans un monde nouveau, dont les destinées ne sont pas encore accomplies. Elle envoie à Washington des soldats et un émule; et quand la république américaine aura plus tard porté elle-même les fruits d'une civilisation indépendante, elle ne devra pas oublier que, si l'Angleterre fut son berceau, la France fut son alliée; que, si l'une l'a fondée, l'autre lui a tendu la main pour s'émanciper, et que

la première action de la France, quand elle a commencé de tressaillir au nom de la liberté, a été d'envoyer en Amérique des Français pour y faciliter une république.

L'an 1789 ouvre pour la société moderne une époque nouvelle dont la seconde phase a commencé l'an dernier (1): révolution sociale, mise en jeu de tous les problèmes qui puissent troubler la tête humaine, elle est aujourd'hui le dernier progrès de la société européenne.

Si l'histoire n'a pu nous refuser cette inépuisable série de progrès et de conquêtes, la philosophie sera-t-elle plus avare? C'est à Athènes que s'ouvre l'histoire raisonnée des problèmes sociaux ; c'est au sein de la philosophie grecque, qui est, avec la législation romaine et le christianisme, une des faces les plus saillantes du monde intellectuel, qu'éclate, sous les auspices de Socrate, l'examen des lois de la sociabilité humaine deux esprits bien différents l'inaugurent, Platon et Aristote.

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Platon fut en continuelle opposition avec l'État et la constitution d'Athènes. L'État était démocratique Platon avait une intelligence aristocratique et orientale; les lois étaient populaires, parfois bavardes, et sentaient le rhéteur : la politique de Platon était immuable, car elle découlait d'une unité primitive. Le fils d'Ariston nous offre à la fois, dans sa République et dans ses Lois, la réminiscence des doctrines orientales, un choix de faits précieux pour l'étude de la Grèce, et un vague pressentiment du christianisme; vis-à-vis la légalité athénienne, Platon est un penseur factieux entre l'Égypte et le Christ.

Aristote a un autre esprit; il est tout grec et n'a rien d'oriental c'est à la fois le maître et le disciple d'Alexandre. Doué du génie positif des modernes, tandis que Platon est

(1) On voit que, comme nous l'avons dit dans la préface de cette troi-sième édition, l'ouvrage a été écrit sous l'impression toute vive de la révolution de 1830. (Note de la 3e édition.)

dans les cieux à la condition de s'y égarer et de disparaître à travers les nuages, Aristote observe ce qui se fait sur la terre, c'est comme un contemporain de Machiavel et de Montesquieu; il cherche les lois des faits, il veut en voir l'esprit et la raison, et nous a laissé dans sa Politique ce que nous pouvons savoir de plus net sur la législation de la Grèce.

De l'examen de ces deux philosophes, nous passerons au stoïcisme qui termine l'antiquité et précède le christianisme. Le stoïcisme n'a rien de progressif: le stoïcien se drape sur les ruines du monde, mais il ne marche pas; il élève la statue de fer du devoir, mais il ne sait pas l'animer. L'histoire du stoïcisme est comme une curieuse galerie de tableaux et de bustes antiques; mais demandez-lui ce qu'il a fait dans la civilisation historique du monde, il est muet (1). Je le sais, il a des disciples sur le trône, les Antonins; parmi les esclaves, Épictète; parmi les beaux-esprits, Sénèque tout cela est fort beau, fort noble, mais entièrement stérile; c'est un appendice plein de grandeur aux derniers moments du paganisme.

Tels n'étaient pas le sort et la mission du christianisme, dont la pensée sociale nous semble s'être développée en trois époques bien distinctes. Le christianisme, en face des Césars, a commencé par la résignation et une abdication complète de l'empire terrestre. Mon royaume n'est pas de ce monde : lisez saint Augustin, vous trouverez dans la Cité de Dieu ce sentiment profondément empreint : les penseurs chrétiens se livrent surtout à la spiritualité mystique de la plus haute théologie. Mais une fois accepté comme croyance et doctrine spiritualiste par la société, le christianisme songea naturel

(1) En relisant ce jugement porté sur le stoïcisme, je le trouve aujourd'hui trop sévère. Il est des temps tellement dominés par une force invincible des choses, que tout ce que l'homme peut faire, c'est de maintenir sa dignité personnelle; et cette attitude demande même, dans son impuissance, une énergie morale à laquelle sut s'élever le stoïcisme.

(Note de la 3e édition.)

lement à la gouverner, en vertu de sa supériorité même; les peuples adorèrent avec joie, et l'autorité du catholicisme se mesura sur sa vertu. Troisième époque la réforme éclate, Luther, Mélanchton en Allemagne, Hubert Languet en France, Sydney en Angleterre, s'arment du christianisme, de la Bible, et développent une philosophie politique qui revendique les droits et la liberté des peuples.

J'arrive aux philosophes modernes. L'Italie s'était mise à réagir contre le moyen âge, après avoir été le théâtre de sal gloire; et Machiavel nous donne à la fin du quinzième siècle le spectacle d'un Italien maudissant la papauté, la religion catholique et le moyen âge il a dans la tête les combinaisons de la politique moderne, il eût été parfaitement apte à devenir le ministre de Louis XI (1), si cela eût été possible; il représente tout à fait cette Italie du quinzième siècle, si brillante et si déchirée, si perfide, si factieuse et si lettrée.

Après l'Italie, l'Angleterre, qui a l'initiative dans la liberté politique, nous offre ses penseurs, Hobbes et Locke. Le philosophe de Malmesbury prend en ironie la révolution qui doit affranchir son pays; les excès et l'usurpation de la démocratie le passionnent pour le despotisme, et l'entraînent logiquement à la théorie sardonique du pouvoir absolu. Ce misanthrope est suivi d'un esprit plus serein et plus égal, d'une humeur tolérante, d'un cœur noble; l'influence philosophique de Locke fut immense en Europe, bien qu'il y ait eu de plus grands métaphysiciens que lui, et nous saisirons dans son Gouvernement civil, qui parut deux ans après l'avènement de la maison de Hanovre, le germe du Contrat social de Rousseau.

Dans la haute spéculation, la Hollande ne nous livre qu'un homme, mais si grand qu'il suffit : c'est Benoist Spinosa. Quelques années auparavant elle avait produit Grotius, homme de la science politique au dix-septième siècle, génie positif

(1) Louis XI mourut en 1483; Machiavel naquit en 1469,

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