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législateur, dans les temps antiques, n'avait ni à satisfaire ni à combattre cette liberté individuelle qui est notre droit et notre idole. Il réglait les détails et les circonstances de la vie, soumettait la famille à l'État, sans contròle et sans obstacle. Les sociétés modernes, au contraire, ne veulent pas laisser froisser l'individu; puis elles tendent, non pas à supprimer le législateur et le gouvernement, ce qui est impossible, mais de plus en plus à faire sortir la législation et le pouvoir de leur propre sein et à mettre ses mandataires au service de leurs intérêts généraux. Aussi, de nos jours, l'éducation publique devra être la conséquence des mœurs de la société, et non pas une discipline qui lui serait imposée de haut. Le mode en variera donc, mais la nécessité en est indestructible. Si la société est en révolution, l'éducation publique devient une arme; dans un temps calme, c'est un développement régulier d'où dépend la vie. Par quel moyen avait imaginé de résister à la réforme cette société puissante, milice guerrière de la papauté, qui s'offrit pour faire reculer le flot de l'insurrection religieuse, qui se multiplia, qui se montra partout, dans les cours, dans les cabinets des rois, dans les universités, dans les déserts du nouveau monde? Elle voulut s'emparer surtout de l'éducation de la jeunesse. L'idée était juste. Elle fut suivie avec persévérance, mais sans grandeur et sans originalité. La société de Jésus propage bien les doctrines faites et reçues; mais, destituée de ce qui fait vivre et durer, de l'esprit inventif, elle altère quelquefois la théologie plutôt qu'elle ne la féconde, reste indécise entre Gassendi et Descartes, et témoigne hautement son impuissance d'apporter une philosophie nouvelle (1). Quand Napoléon enrégimentait

(1) Dans quelques points, ce jugement sur les jésuites manque d'exactitude. Les jésuites n'avaient pas à créer une philosophie nouvelle, puisqu'ils venaient combattre au nom de la religion. Je n'ai pas rendu non plus une assez éclatante justice à leur incomparable talent pour élever la jeunesse, talent reconnu par des témoins non suspects, comme Catherine II et le grand Frédéric. (Note de la 3e édition.)

la jeunesse française et la faisait étudier en uniforme au son du tambour, la pensée d'une éducation générale et publique était vraie en soi; seulement des circonstances irritantes la poussèrent à l'exagération.

Aujourd'hui c'est la société qui doit surtout s'élever ellemême. C'est à elle à fomenter et à nourrir dans son sein un foyer de sentiments généraux, de pensées communes, d'intérêts solidaires où chaque citoyen puisse aller puiser force et patriotisme. Me trompé-je? mais n'y a-t-il pas depuis notre dernière révolution des gages d'espérance et d'avenir? Déjà on se réunit, on se connaît davantage. A mesure que l'électorat se mettant en rapport avec la moralité et la conscience du peuple, comprendra tous les citoyens. dont le droit se règle sur le mérite, ces vastes comices nous inspireront des passions publiques, vives et pures, sans lesquelles la société languit, abandonnée à l'égoïsme des ambitions petites et calculées. Si, pendant la Restauration, où il fallait prendre tant de ménagement pour avoir la permission de faire quelque chose, nous avons pu parvenir où nous en sommes, que sera-ce quand la nation aura vécu quelque temps dans la conscience et l'habitude des droits. et des mœurs de la liberté? Sans présomption comme sans défiance, elle peut s'ajourner à quelques années (1).

CHAPITRE IV.

DE LA PROPRIÉTÉ.

Je pense et je veux; donc je dois et je puis être libre. Mais comment puis-je être libre vis-à-vis de la nature sans tenter de la maîtriser et de m'en approprier quelque chose? La propriété sur le monde physique est le développement nécessaire de la liberté sans la propriété la puissance de

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(1) Telles étaient les espérances qui nous animaient après la Révolution de 1830. (Nole de la 3e édition.)

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l'homme ne serait pas prouvée. L'homme a besoin de s'abriter il construit une cabane sur un petit espace de terrain, et dit : « Cela est à moi. » Il voit passer devant lui un coursier rapide et sauvage; il le dompte, et le cheval reconnaît son maître. Améric vole à travers les mers; plus heureux et moins grand que Colomb, il donne son nom à tout un monde. Les pays qu'a découverts le génie de l'homme, le détroit de Magellan, la Colombie, attestent sa liberté, sa faculté d'appropriation; et la nature ne reçoit pour nous de sens et de valeur que lorsque nous l'avons nommée.

Mais dans ce monde qui n'oppose pas à l'homme une résistance morale et qui ne combat sa dictature que par des forces qui s'ignorent elles-mêmes, l'homme n'est pas seul. Il n'est solitaire ni dans sa faiblesse ni dans sa puissance. Ce n'est pas un naufragé jeté dans une île déserte; ce n'est pas non plus comme un immense individu qu'un empereur romain avait rêvé dans sa gigantesque folie, et auquel il souhaitait une seule tête pour la lui couper d'un seul coup. La même pensée qui anime l'homme, il la reconnait chez un autre; la même volonté qui le pousse, il est obligé de la confesser chez autrui, de telle façon que, rencontrant des ètres semblables à lui, il prononce ces deux mots éternels et indestructibles : le mien et le tien, mots qu'il ne prononcerait pas si, par une hypothèse de l'imagination, nous pouvions supposer le monde habité par un seul individu; mots dont il n'est pas convenu arbitrairement, mais qui lui sont arrachés par la nature, et par lesquels il fait en même temps sa part et celle de ses semblables.

Ce n'est plus là le rapport de l'homme à la nature; mais le rapport de l'homme à l'homme, d'une individualité avec une autre individualité. A côté de ma cabane et de la terre que j'ai cultivée, un homme a construit sa maison; nous avons la même raison l'un et l'autre pour qu'il n'empiète pas sur mon domaine, pour que je respecte le sien: cela était à moi, car je m'y étais déployé le premier; j'y avais mis mon

empreinte, mon travail, ma personnalité; et voilà la signification du droit du premier occupant. Ce que s'est approprié mon voisin, je n'y avais pas songé; ma personnalité n'avait pas paru sur ce théâtre; la sienne se montre, devient maîtresse à son tour; et voilà deux libertés qui s'acceptent sur un pied parfait d'égalité.

Mais n'y a-t-il pas autre chose? Nous avons saisi deux termes, rapport de l'homme avec la nature, rapport de l'homme avec l'homme. Est-ce tout? Cherchons bien. Voici quelque chose de nouveau; voici un troisième rapport différent des deux autres, qui dès lors aura d'autres lois et d'autres conditions c'est le rapport de l'homme non plus avec l'homme seul, isolé, mais avec les hommes réunis, avec l'association, avec la société; et c'est là le rapport le plus difficile à soutenir, le plus important à étudier, problème qui s'agite et se développe depuis l'origine du monde. Ne considérez l'homme que vis-à-vis de la nature; la dictature est incontestable prenez l'homme seulement en contact avec l'homme, le catéchisme de la propriété sera court; on stipulera des garanties et des droits réciproques, et tout aboutira à des convenances et à des débats de voisinage. Mais que l'individu soutienne un rapport vis-à-vis des masses, seul en face de tous; c'est sur ce point que s'est porté l'effort des révolutions et des théories.

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Un homme possède et se dit propriétaire. La société reconnaîtra d'abord et respectera le fait de la possession; mais s'y arrêtera-t-elle ? et de la possession concluera-t-elle au droit de propriété sans autre examen? Non; elle demandera à l'individu à quel titre il possède; et alors, suivant la réponse, la société pourra porter trois jugements différents. Ou elle reconnaîtra que le titre du propriétaire est complétement juste, et il y aura paix entre l'individualité et l'association. Ou, tout en reconnaissant que l'individu détient et possède, qu'il a pour lui la consécration du temps, elle trouvera néanmoins que sa propriété pourrait être plus utile à l'associa

tion si elle était réglée autrement; et alors elle intervient, ne pouvant se résoudre à rester impuissante à force de respecter le droit individuel. Ou enfin, malgré la possession constatée et certaine, la propriété de l'individu blesse tellement l'utilité générale, que la société arrive à nier le droit, l'efface et anéantit une individualité qui lui est hostile et funeste.

La théorie de la propriété consiste tout entière dans le rapport de l'homme avec la société. Si on s'enfermait dans les droits exclusifs de l'individu, le problème serait facile; car, une fois le droit personnel établi, les conséquences s'en déduiraient logiquement, et la déduction, ne rencontrant aucun obstacle, serait légitime à perpétuité. D'un autre côté, ne soyez frappé que de l'utilité sociale, et vous aurez des révolutions périodiques qui viendront à chaque instant déplacer la borne en écrasant l'individu. Je définirais volontiers, sans m'attacher aux termes, la propriété sociale: l'individualité combinée avec les besoins, les droits et les progrès de l'association. Ce principe peut nous conduire à travers l'histoire.

Lacédémone, après avoir triomphé d'Athènes, porta sur-lechamp la peine de sa victoire impie elle reçut dans son sein de l'argent, de l'or; noble récompense pour avoir affligé la cité de Minerve, et s'être montrée la complaisante du grand roi. La constitution de Lycurgue existait encore, mais de nom, mais éludée, mais trahie, quand un Spartiate puissant, appelé Épitadée, ayant eu un différend avec son fils, fut nommé éphore, et fit une loi (pña) qui permettait à tout citoyen de laisser sa maison et son héritage à qui il voudrait, soit par testament, soit par donation entre-vifs (1). Alors les riches, en dépouillant de leurs successions leurs héritiers légitimes, resserrèrent de plus en plus le nombre déjà petit des propriétaires. Aristote, dans sa Politique, signale

(1) Plutarque, Vie d'Agis et de Cléomène, chap, vi.

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