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taire; que, dans ce siècle qui se débat pour s'enfanter luimême, et qui perce déjà de torrents de lumière les nuages qui disparaissent de plus en plus pour nous en laisser voir et la face et la cime, l'homme ne reviendra à l'intelligence efficace de la Providence que par sa propre liberté, de la religion que par la philosophie, de Dieu que par lui-même, de la vérité que par la force de l'esprit. Eh! que serait la vie, si ce n'est penser et vouloir? Autrement pourquoi l'espèce humaine ne se donneraitelle pas rendez-vous dans les cafés de Constantinople pour y boire l'opium à longs traits, et pour trouver le néant dans ces voluptés mortelles?

Je désirais ensuite, même dans un essai philosophique, m'autoriser de l'histoire. Non-seulement je l'ai appelée à mon aide le plus souvent que j'ai pu, mais j'ai consacré une des parties de cet ouvrage à tracer la suite directe de son évolution. L'histoire a été trop souvent commentée par les regrets du passé ou par une érudition apathique; il faut se hâter de la rallier à la marche de notre siècle, pour lequel elle ne saurait être un bagage inutile destiné à embarrasser sa course; elle indique les routes déjà parcourues: plurimi pertransibunt, et augebitur scientia.

Ce n'était pas simplement l'histoire de certaines révolutions politiques qu'il me fallait esquisser, mais aussi l'histoire des principales théories qui se sont produites sur le problème de la sociabilité humaine. J'avais, dans l'Introduction, fait connaitre les jurisconsultes ; il me restait à apprécier les travaux des philosophes, mais seulement les travaux efficaces des grands hommes. Il n'entrait ni dans mon but ni dans mon plan de m'arrêter à considérer certaines curiosités littéraires et bibliographiques; je ne poursuivais que le spectacle du génie utile à l'humanité. Ainsi on ne trouvera, dans cette Philosophie du Droit, ni l'analyse de l'Utopie de Thomas Morus, ni celle de l'Oceana d'Harrington, ni celle de la Cité du Soleil de Campanella; je n'ai pas non plus, dans une époque plus rapprochée de nous, rappelé l'estimable Essai sur l'histoire de la société civile, par Fergusson (1). Pourquoi? Parce que ces ouvrages n'ont exercé aucune influence sur le temps qui les a vus naître. C'est ainsi que dans le Musée du Capitole je me suis arrêté da

(1) An Essai in the history of civil Society, by Adams Fergusson. The fifth edition. London, 1782.

b.

vantage devant le buste de M. Brutus, de Thucydide ou d'Alexandre, que devant celui de Didius Julien ou de Pescenius Niger. Il ne sufât pas d'avoir vécu, écrit ou régné, pour mériter, comme disait Napoléon après Marengo, une demi-page dans une histoire universelle (1).

Je crois avoir recueilli quelques avantages du secours que m'a prêté l'histoire, tant politique que philosophique. Plusieurs théories en sont devenues plus sensibles et plus nettes; je pourrais citer la propriété, éclaircie par le récit des révolutions qu'elle a subies; l'éducation, plus claire dans les applications de Platon, d'Ari tote ou de Rousseau; mais je signalerai surtout la théorie de la souveraineté, que j'ai pu bien mieux définir en considérant la révolution française, et les théories contradictoires de Rousseau et de de Maistre, que si je l'eusse posée a priori dès le début de cette Philosophie du Droit. J'avais à cœur de mettre le principe de la souveraineté nationale hors de toute controverse, et je l'ai réservé pour le faire sortir plus lumineux et plus vif de l'épreuve de l'histoire et de la polémique.

J'avoue que j'aurais manqué mon dessein si sous la variété des objets on ne sentait pas quelque suite et quelque unité dans la pensée. L'aridité n'est pas la rigueur. Qu'a gagné Pufendorf en écrivant des Éléments de Jurisprudence universelle suivant la méthode des géomètres? Il n'a tiré de ce procédé qu'un livre sec et ignoré.

L'ouvrage que je présente au public est le résultat du cours que j'ai profes é au Collège de France dans le semestre d'été de 1831; mais il n'est pas le cours lui-même. J'ai refondu complétement dans le silence du cabinet les improvisations de la chaire, me rappelant cette parole de Buffon, que ceux qui écrivent comme ils parlent écrivent mal. Je ne sais quel effet produira sur l'esprit du lecteur ce mélange de diction et d'écriture produit par la plume et la parole. S'il veut le considérer comme un livre, il sera plus sévère; s'il veut le considérer comme un cours, il sera plus indulgent je m'abandonne à sa merci. Je n'ai pas le courage de défendre la forme de cet essai. Si nous

(1) Le premier consul, revenant à Paris après Marengo, répondait à son secrétaire, qui le complimentait sur la manière dont il venait de travailler à son immortalité : « Si je m'arrêtais là, je n'aurais pas une demi-page dans une histoire universelle. »

vivions dans une époque de repos et de stabilité, comme au dixseptième siècle, dans les longs et majestueux loisirs du règne de Louis XIV, où l'art d'écrire s'incorporait avec l'homme, occupait toute la vie, où un livre était une destinée, j'aurais sans doute élaboré lentement le sujet que j'ai choisi; mais, dans un temps où la pensée de l'homme est pour ainsi dire condamnée chaque matin à l'oubli des objets qu'elle avait considérés la veille, peut-on exiger de quelqu'un de s'assujettir à des disciplines académiques, de limer ses mots, d'attifer ses phrases et de pomponner ses périodes?

Être utile, si peu que ce soit, voilà ce qui importe. Le monde est devenu comme un vaste forum, où chacun peut ouvrir l'avis qu'il croit avantageux; s'il a raison, l'assemblée le récompense par quelques minutes d'attention; sinon, on ne prête pas l'oreille, et on passe à l'ordre du jour.

L'humanité et la patrie, voilà les deux objets raisonnables de passions énergiques, et ce n'est pas ici le cas d'appliquer cette parole qu'on ne saurait servir deux maîtres à la fois.

Les nations doivent se donner la main par leurs grands hommes; plus elles sont douées d'une originalité franche et d'un caractère distinctif, plus elles peuvent, sans danger et avec un vrai profit, s'aboucher entre elles, échanger leurs idées comme leurs richesses, et unir l'esprit cosmopolite au génie national. C'est ainsi qu'elles se complètent les unes les autres, et contribuent, par leur union comme par la guerre, aux progrès de l'humanité elles s'abordent et se visitent avec les armes; puis, pendant la paix, elles apprennent à se connaître et à s'aimer.

Ainsi ont fait la France et l'Allemagne. Leur lutte a été longue et acharnée; Napoléon occupa militairement la capitale du grand Frédéric, les grenadiers français tinrent garnison dans la patrie de Kant; et l'illustre continuateur du philosophe de Kœnigsberg, le stoïque Fichte, enflamma de ses harangues philosophiques la jeunesse allemande, qui partit pour nous demander bientôt, dans les plaines de Champagne, compte d'léna et d'Austerlitz. La paix vint enfin s'entremettre entre les deux peuples qui s'étaient joints sur les champs de bataille et dans leurs capitales.

Pendant quelques années, on s'examina en silence; les vieilles haines murmuraient encore; elles expirèrent enfin.

Une estime réciproque vint ouvrir les esprits et les cœurs à des idées plus larges, à des sentiments bienveillants. Les deux pays échangèrent alors les résultats de leurs dernières quarante années. La France avait eu sa révolution et offrait à nos voisins des leçons d'histoire toutes vives et toutes contemporaines; l'Allemagne était parvenue à l'âge d'or de sa littérature et de son intelligence sa philosophie, son érudition et sa poésie appelaient nos regards; notre curiosité fut vive, témoin la traduction des chefs-d'œuvre de nos voisins, de Schiller, de Goëthe, de Creuzer, de Herder, de Heeren, de Niebuhr et de Savigny.

Tout cela fut nécessaire et bon; l'Allemagne ne perdit pas son génie national en profitant de nos leçons politiques; la France n'oubliera pas sans doute la gloire et l'originalité de sa littérature pour avoir puisé quelquefois aux sources de l'érudition allemande. Comme les héros d'Homère, les deux peuples échangeaient leurs armes, mais ils gardaient leurs dieux domestiques.

Depuis la révolution de 1830, l'Allemagne a passé à notre égard de l'admiration à la défiance. Après s'être émue avec enthousiasme au spectacle de notre émancipation, elle a craint de voir de nouveau la France se déborder sur elle, avec ses bataillons et ses idées. Sans doute, il viendra le jour où nous pourrons redemander tout ce qui doit nous appartenir sur les rives du Rhin; mais l'Allemagne ne doit pas confondre cette pensée nationale avec les folies de la chevalerie errante. Nous n'avons jamais eu le dessein d'aller chevaucher à travers ses populations et ses villes en y distribuant des recettes de réforme sociale. Nous avons pour cette grande nation le respect que nous réclamons pour nous-mêmes; pour elle, comme pour nous, nous voulons l'indépendance de la pensée, et nous laissons à son génie le soin de son propre bonheur. Ce n'est pas, comme je l'ai écrit dans le cours de ce livre, « ce n'est pas à « une nation aussi originale et aussi grande de rien copier, pas « même la France. Elle ne nous copiera pas; mais, en vertu « d'elle-même, de sa propre pensée, de sa propre philosophie, << nous pouvons l'attendre à des conséquences politiques. »

C'est sans le moindre embarras que je me suis toujours exprimé sur le mérite de ses jurisconsultes, de ses philosophes et de ses historiens. J'ai dit sans détour ce que j'ai cru vrai. Ma

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haute estime pour les travaux de la jurisprudence historique, ou pour des spéculations métaphysiques, n'a pas étouffé (je l'espère, du moins), l'indépendance de l'esprit national.

L'Allemagne, dans un court espace de temps, vient de perdre Niebuhr et Hegel. Le premier représentait ce que l'érudition historique a de plus individuel, de plus vif et de plus délié; le second, ce que la pensée a de plus systématique et de plus abstrait. J'ai essayé l'appréciation du génie de ces deux hommes au moment même où chacun d'eux disparaissait. J'ai parlé avec une admiration presque sans réserve de l'historien, de cet homme d'une science si profonde et si naïve, et qui a semblé prendre soin lui-même de caractériser la candeur de son érudition dans une lettre qu'il m'écrivait quelques mois avant sa mort : « Une chose qu'il m'importe surtout de voir reconnue, « c'est que mon but est de communiquer aux lecteurs la même « certitude dont je suis pénétré. Le livre doit convaincre par << lui-même celui ui s'en occupe de bonne foi. Il n'y a pas un mot qui ne soi mis aussi exactement que possible, parce « qu'il exprime un. que et une conviction dont je suis péné« tré: rien n'est plus injuste que de m'attribuer le désir des « paradoxes. » Le chapitre que j'ai consacré à Hegel était entièrement imprimé quand le bruit de sa mort est parvenu à Paris. Cette triste nouvelle n'aurait pas changé ma conviction philosophique, mais elle m'eût suggéré d'autres paroles. Comment ne pas voir s'évanouir une intelligence aussi puissante que celle du professeur de Berlin sans une douleur mêlée de respect? Si quelques-unes des personnes qui révèrent sa mémoire et sa doctrine, se sentaient blessées de la vivacité de la réfutation, je désavoue tout ce que ma discussion peut avoir de trop impétueux. Je ne saurais vouloir passer sans m'incliner devant la tombe d'un homme illustre, dont le premier, en France, j'ai prononcé le nom et fait connaître quelques idées, mais en lui en renvoyant la gloire. D'ailleurs, rien de ce qui tient à l'Allemagne ne peut être par moi traité avec une indifférence légère; je ne puis oublier la bienveillance cordiale avec laquelle ses plus célèbres jurisconsultes, les Gans, les Mittermaier, les Savigny, ont accueilli mes premiers travaux; il n'y a pas de dissentiment qui puisse effacer ces souvenirs.

L'esprit cosmopolite n'est pas une philanthropie fade qui vous laisse l'âme sans amour et sans partialité pour la patrie.

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