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que nous avons perdu, auquel le liaient cinquante-six années d'une amitié intime, continue, inaltérée, à travers les péripéties, voire les contradictions de leurs deux destinées.

ANNÉES DE JEUNESSE

Paul Mansion naquit, le 3 juin 1814, au hameau de Belle-Maison, commune de Marchin-lez-Huy (Liége), Son père mourut jeune, laissant à sa femme dix enfants, dont Paul était le neuvième. Sa mère Fernande Deveux, du pays de Namur, l'entoura des soins éclairés que savent multiplier un esprit fin, une grande âme. Il la perdit, hélas! à l'âge de dix-sept ans. Ses aînés, en s'appliquant avec abnégation à l'exploitation du bien paternel, suivant les dernières recommandations de leur mère vénérée, l'assistèrent tout le long du cours de ses études. Il leur en garda, jusqu'à la fin, une profonde et effective reconnaissance.

Ardent au travail comme au jeu, il fit d'excellentes études primaires (octobre 1849-3 mai 1855), sous la direction d'un instituteur qu'il se plaisait, lui-même, à qualifier d'éminent, M. J. J. Blaise.

Dès alors, sa carrière se dessina. En arithmétique, il devançait ses condisciples de toute une année. Après avoir passé deux ans à l'Ecole moyenne de Huy, il aborda au Collège communal de cette ville, la section professionnelle, se consacrant exclusivement à elle pendant deux années (1857 et 1858); puis, au cours de deux années suivantes, il mena de front les études professionnelles et celles des humanités classiques ; il s'adonna enfin, tout entier, à ces dernières en 1861 et en 1862; par ce procédé, qu'il critiquait plus tard, il gagna une année sur les six consacrées, d'ordinaire en Belgique, aux Humanités.

Chaque jour, durant ces années de travail précoce

et acharné, il descend it des hauts plateaux du Condroz jusqu'au pied des rochers bordant la pittoresque et tourmentée vallée di Hoyoux. Dans toute l'ardeur juvénile d'un tempérament sanguin et ardent, il la suivait entre les bois de Sandron, de Barse et de Bailli dont les senteurs vivifiantes purifiaient tout son être, le rendaient dispos aux rudes exercices de la journée, le préparaient merveilleusement, dès alors, aux joutes intellectuelles qu'il allait entreprendre, aux victoires qu'il voulait remporter.

Et le soir, quand il refaisait le même chemin, long d'une lieue et demie, remontant d'un trait 190 mètres, il se recueillait au milieu de cette splendide nature, pour se préparer à revoir, à féconder, dans la retraite familiale, les leçons qu'une attention soutenue, fruit d'une volonté de fer, lui avait permis de recueillir sur les bancs de l'école.

Qu'il était donc bien armé, quand il se présenta à l'examen d'entrée de l'École normale des sciences annexée à l'Université de Gand! Il le passa, inaugurant avec maîtrise déjà la suite ininterrompue de ses succès universitaires. C'était en octobre 1862. En 1863, nous entrâmes, nous-même, à l'École du génie civil, qui, à cette époque, était la seule habilitée à la formation des ingénieurs des Ponts et Chaussées. Certains cours étaient communs aux élèves des deux Écoles. Les uns et les autres subissaient ce que l'on appelait le régime. Entrés, le matin à huit heures, dans les bâtiments universitaires, ils n'en sortaient que le soir, à huit heures aussi, sauf l'interruption de midi à deux heures, consacrée au repas principal et à la récréation ou promenade au dehors. Durant ces dix heures d'une sorte de clôture conventuelle, les élèves allaient aux cours, aux répétitions obligatoires, aux exercices de laboratoire et de dessin, entrecoupés d'heures d'études très sérieusement faites, sous le regard bénévole d'un surveillant

choisi souvent dans le cadre inférieur du corps des Ponts et Chaussées.

Les salles d'études, en ce temps-là, étaient voûtées, basses, établies dans un ancien cloître s'éclairant sur un préau qui n'avait rien de bien réjouissant: quelques vertes plates-bandes ; des arbustes de mince envergure; merles et moineaux y sifflaient ou piaillaient; cependant, les vitres étaient mates! Les normalistes et les aspirants ingénieurs se trouvaient séparés seulement par une cloison s'élevant à mi-hauteur des voûtes et s'ouvrant librement à l'une des extrémités. On pouvait s'entendre par-dessus la cloison et passer d'une section à l'autre sans franchir de porte.

On le conçoit quoique le travail fût, le plus souvent, silencieux et ininterrompu, l'une ou l'autre jeune tête se détachait parfois de dessus le livre ou la planche à dessiner. Il arrivait qu'on dût se lever, s'étirer les jambes et les bras, voire même faire quelques pas, en long et en large dans une section, jeter un regard indiscret dans la voisine et, pourquoi pas ? lâcher quelque propos saugrenu ou goguenard destiné à égayer ou à épater les camarades.

Ce fut dans une de ces rares occasions que nous fimes la connaissance de Mansion. Un de nos camarades du Génie civil que l'assiduité au travail fatiguait de temps à autre, repoussa sa planche à dessiner, bondit sur l'escabeau qui lui servait de siège et s'écria à l'ébahissement général : « Je ne suis pas plus sûr de l'existence de Dieu que de la mienne ».

Encore novice, nous prîmes l'incartade au sérieux et engageâmes avec l'interrupteur une discussion en règle, devant un auditoire heureux d'assister à une passe d'armes sur un sujet étranger aux préoccupations coutumières. Le surveillant lui-même suivait le débat. Celui-ci semblait trainer en longueur, lorsque, tout à coup, Mansion surgit dans le champ clos; il

assura notre victoire en terrassant l'adversaire sous les coups répétés d'une érudition empruntée à une théodicée déjà fort avertie.

Quand la paix fut rétablie, avant qu'il nous quittat pour aller se plonger dans quelque traité de calcul différentiel et que chacun des ingénieurs se fût remis. à son dessin, nous nous serrâmes la main, chaleureusement. Nous étions amis pour la vie. Il y a, de cela, cinquante-six années. N'était-ce pas hier? Un incident de ce genre n'était pas nécessaire pour que la personnalité de l'étudiant Paul Mansion s'imposât avec une autorité sympathique. Il était grand, sec, robuste, d'un abord décidé, d'une franche allure. Haut en couleur, avec des yeux au regard profond, dont les vives clartés s'atténuaient et dont la fatigue se cachait derrière des lunettes de myope, il portait barbe et moustache châtain clair. Des cheveux de même nuance, courts, découvraient un front haut dont les aspérités caractérisaient un cerveau fortement organisé. En rue, il marchait d'un pas rapide, penché vers le but; au repos, debout, le buste cambré en arrière. la poitrine apparaissait large. Dans l'ensemble, s'affirmait plus de volonté que d'aplomb. L'aspect assez dur de la physionomie s'adoucissait au premier contact, sous l'influence d'un regard qui savait être caressant, d'un fin et gai sourire irradié de bonté.

Mansion sortit de l'École normale des sciences en juillet 1865 avec la grande distinction et le grade de professeur agrégé du degré supérieur pour les sciences. Dès le mois de novembre de cette même année, il fut chargé, à titre provisoire, des répétitions d'algèbre supérieure, de géométrie analytique, de géométrie descriptive pure et appliquée; il enseigna ces sciences pendant deux ans. Cependant, il continua ses études, si bien que le 13 août 1867, il conquit, avec la plus grande distinction, le grade de docteur en sciences

physiques et mathématiques, devant le jury combiné de Gand-Bruxelles. Sur ces entrefaites, le cours de calcul différentiel et de calcul intégral et d'analyse supérieure de la Faculté des sciences de Gand étant devenu vacant par la mort prématurée de Schaar, professeur distingué et aimé, Paul Mansion en fut chargé le 3 octobre 1867. Cette élévation rapide ne modifia point la cordialité, l'intimité même de ses rapports avec les six ou sept amis auxquels il s'était joint, alors qu'il était étudiant et répétiteur. Ceuxlà, achevant à l'École du génie civil leur préparation à l'entrée dans le corps des Ponts et Chaussées, l'auteur de ces lignes jusqu'en 1868, les autres jusqu'à 1870, n'eurent plus avec Mansion, professant dans une autre Faculté universitaire, que des rapports d'affection.

Mais quels jours aimables ! La plupart d'entre nous se retrouvaient, à midi, à la table d'hôte de l'Étoile, vieil hôtel du Marché-aux-Grains, disparu à la suite des travaux qui ont substitué un ouvrage fixe au pont tournant de St-Michel. On y mangeait et buvait solidement, à bon compte. En 1863, l'un des amis s'y vint attabler le premier. C'est à peine s'il prenait part à la conversation des voyageurs, qui témoignaient souvent d'une ignorance foncière en bien des choses et, surtout, en matière philosophique et religieuse. Quand les autres amis y vinrent à leur tour, le cercle estudiantin se forma de lui-même et ne tarda pas à être le maître de la table d'hôte. Toute incartade irréligieuse, toute ânerie scientifique étaient relevées avec une précision, une vigueur qui se paraient de formes polies. La victoire était facile à des jeunes gens occupant les premières places dans leurs cours respectifs. Le chef de cette ardente jeunesse était incontestablement Mansion. Il ne la dominait point, parce qu'elle était d'une rare indépendance. Il en était le conseil, grâce à l'ascendant de ses connaissances, alors déjà vastes, et de sa situation de jeune professeur.

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