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D'UN TÉMOIN DE LA RÉVOLUTION,

OU

JOURNAL

DES FAITS QUI SE SONT PASSÉS SOUS SES YEUX, ET QUI ONT PRÉPARÉ ET FIXÉ LA CONSTITUTION FRANÇAISE.

MON témoignage et mes observations ne peuvent avoir de poids et de valeur que du moment où je suis entré dans la carrière politique, en assistant à la première assemblée des districts. Quand j'ai été appelé aux élections, je ne pouvais pas soupçonner la part qui me serait successivement donnée à l'administration publique, ni l'influence que j'aurais sur les affaires : cette part s'est agrandie, cette influence s'est étendue toujours d'une manière inopinée. J'ai bien regretté de n'avoir pas eu constamment auprès de moi un secrétaire pour recueillir les faits, les anecdotes, les traits, les pensées qui auraient mérité d'être conservés, pour peindre avec plus de fidélité et animer de ces souvenirs les grandes scènes dont j'ai été témoin. Réduit à ma mémoire pour les retracer dans ce moment à mon esprit, et les déposer dans ce journal, je proteste que ma mémoire sera fidèle. Je ne dirai que ce qui

sera vrai, et, lorsque l'imagination me retracera ces scènes dont j'ai été si vivement ému, il me suffira de m'y reporter en esprit; mes sensations se renouvelleront, je redeviendrai ce que j'étais alors, à tel jour et à telle époque. Ce sera le même homme, le témoin qui écrira, et je ne dirai que ce que j'ai senti. Si je parle souvent de moi dans cet écrit, on se souviendra que ce n'est pas une histoire, mais un journal. C'est le récit des faits publics, c'est aussi celui de mes sentimens et de mes pensées. La naïveté du détail en garantit la vérité, l'homme s'y développe et son ame y est nue; et d'ailleurs n'y a-t-il pas quelque charme à apercevoir l'homme dans son ouvrage? Le lecteur se reconnaît et se retrouve dans l'écrivain.

Le vendredi 29 décembre 1786, je dînai chez M. le maréchal de Beauvau; ce fut le premier instant où la nouvelle d'une Assemblée des notables me parvint. J'en fus frappé. Je prévis un grand événement, un changement dans l'état des choses, et même dans la forme du gouvernement. Je he prévis point la révolution telle qu'elle a été, et je crois que nul homme n'a pu la prévoir; mais le déplorable état des finances appuyait suffisamment ma conjecture. Le besoin d'argent rendait le gouvernement faible et dépendant. Les gouvernés avaient alors un avantage énorme, dont je présumais que l'on serait assez avisé pour tirer parti. Cette Assemblée de cent cinquante citoyens de

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toutes les classes, et les plus distingués, occupés des plus importantes affaires de l'État, ne pouvait manquer d'y opérer une grande réforme. Cette Assemblée, cette réunion était une figure de celle de la nation; c'étaient des citoyens délibérant moins sur les affaires de l'État que sur leurs propres intérêts depuis un nombre d'années les meilleurs esprits avaient tourné leurs méditations sur l'économie politique ; et l'Assemblée, convoquée pour donner des avis et des lumières sur l'administration du royaume, devait naturellement réunir tous les esprits sur ce point, et y porter l'attention de la nation entière. Or, quand, après un long sommeil, ou plutôt après une absence, on vient à songer à ses affaires que l'on trouve fort délabrées, il est difficile d'oublier qu'on a le droit d'y mettre ordre. Je prévoyais donc, non une révolution, mais un changement qui, sans en pouvoir déterminer l'espèce, devait être à l'avantage de la nation. Lorsque dans un siècle de lumières on appelle la raison à son aide, la raison doit finir par être la maîtresse.

L'Assemblée des notables ne produisit d'autre effet que de mettre le mal dans un plus grand jour, et de faire connaître l'urgente nécessité des remèdes. On ne pouvait en attendre autre chose, ils n'avaient que le droit de conseil et point d'autorité. Cette Assemblée commença à attaquer les ministres, et M. de Calonne fut renvoyé par les mêmes hommes qu'il avait choisis et convoqués.

Un de ces hommes, l'archevêque de Toulouse (1), connu par une réputation de talens et d'ambition, fut mis à sa place. Ce choix fut vivement applaudi. Il ne tint pas ce que sa réputation avait promis : il oublia le rôle qu'il avait joué dans l'Assemblée; il ne sentit pas que l'énormité du mal, la nécessité du remède, l'attention de tous les esprits à la chose publique, demandaient une réforme inévitable dans l'administration, et appelaient les étatsgénéraux. S'il les avait fait convoquer sur-le-champ, en même temps qu'il aurait acquis des droits à la reconnaissance publique, il aurait fait le trait d'un habile politique. Il ne fallait pas laisser le temps aux esprits de réfléchir sur la position où l'on se trouvait, et à la nation de connaître ses besoins, ses droits et ses forces. Les états-généraux alors assemblés auraient fait de grandes réformes; mais ils n'auraient ni osé, ni pu tout changer. On craignit ces réformes, on voulut éviter de réunir une nation qui pouvait se souvenir qu'elle est vraiment souveraine et maîtresse de tout ordonner : on essaya des palliatifs qui accrurent le mal au lieu de le guérir; et on laissa au parlement de Paris l'honneur de demander les états-généraux. Cette demande du parlement, quoiqu'il ait pu depuis s'en repentir, ne doit pas être oubliée. Quand on a recouvré la liberté, et fondé le règne de la loi, il est de la justice de se souvenir de tout ce qui a

(1) M. de Loménie-Brienne.

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