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Lettres de sainte Thérèse de Jésus réformatrice du Carmel, traduites par le
R. P. GRÉGOIRE DE
SAINT-JOSEPH. Paris, Poussielgue, 1900,

3 vol. in-8°.

Il est peu de saints dont les écrits aient exercé sur la vie mystique et la spiritualité chétiennes une influence comparable à celle des œuvres de sainte Thérèse et dont l'action soit encore aussi vivante et efficace. Sans doute on peut, on doit même avant tout, attribuer ce résultat à la beauté, à la profondeur, à la rectitude théologique qui caractérisent les pages sorties de la plume inspirée de la grande réformatrice du Carmel. Toutefois, ce ne serait pas assigner la totalité des causes qui font que les écrits de sainte Thérèse trouvent encore un si bienveillant accueil auprès de beaucoup de nos contemporains que d'envisager exclusivement la valeur et l'autorité de leur enseignement. Nous avons en effet l'heureuse fortune de connaître la grande mystique espagnole non seulement par ce qu'on pourrait appeler les transcendances de son âme, le feu de son amour et la lumière de sa pensée; nous la connaissons aussi par son côté humain, c'est-à-dire par les mille manifestations qui traduisent l'activité d'une personnalité, placée au milieu des contingences ordinaires de la vie, en contact avec des réalités semblables à celles qui nous entourent. De là ce secret intérêt qui nous pousse à retrouver une grande âme de saint aux prises avec les mêmes difficultés de la vie ordinaire, analogues à celles qui remplissent la nôtre, à la voir se mouvoir au milieu de problèmes pratiques, qui pour être quelquefois fort importants, n'en sont pas moins de même ordre que ceux qui continuent à se débattre ou à se résoudre parmi nous.

Quelques-uns des grands écrits de sainte Thérèse nous mettent déjà en présence de la forme extérieure de son activité, tels le Livre de sa Vie et le Livre des Fondations. Cependant rien n'égale, au point de vue qui nous occupe, l'ensemble des données fournies par sa correspondance. Les lettres de sainte Thérèse sont comme son histoire au jour le jour, et nulle part l'on ne voit mieux la femme de tête et de cœur qu'était aussi la grande mystique. En les lisant, on sent à chaque pas que la sainte était doublée d'une maîtresse femme. On ne sait en effet ce qu'on doit le plus admirer chez elle de son solide bon sens, de la rectitude de ses idées, de la droiture de sa conscience, de sa connaissance des hommes, de son habileté en affaires, et de ce tact exquis qui est le revêtement d'une grande bonté.

La correspondance de la réformatrice du Carmel porte un caractère

d'ordre tout à fait pratique. On pourrait presque dire qu'elle est une correspondance d'affaires, ou au moins une correspondance administrative. Thérèse de Jésus fut en effet la tête et le bras de la réforme du Carmel en Espagne, et le renouveau merveilleux qui pénétra sa famille religieuse fut surtout son œuvre personnelle. Si elle trouva autour d'elle de nombreux et remarquables auxiliaires, elle sut les susciter, les intéresser et les mouvoir. Dans cette nécessité où se trouvait la sainte de toucher à tout et à tous, ses lettres ont dû atteindre des données très concrètes et prendre une forme parfois très humaine, nous dirions aujourd'hui très vécue. Ce fait est si manifeste que les anciens éditeurs de ses lettres ont cru devoir, avec les meilleures intentione du monde et, en leur temps pour de justes raisons, opérer des coupures plus ou moins notables dans sa correspondance, soit pour ne pas laisser paraître des préoccupations ou des sentiments qu'on eût pu croire trop humains, soit pour ne pas provoquer d'inutiles susceptibilités.

Ce point de vue auquel se plaçaient jadis les historiens des saints est de plus en plus éloigné du nôtre. Il ne nous déplaît pas aujourd'hui de voir que les héros de la sainteté, supérieurs par bien des côtés au commun des hommes, n'en étaient pas éloignés à tous les titres. Le sentiment qu'ils ont appartenu à l'humanité et ont participé à sa vie quotidienne ne les amoindrit pas à nos yeux, mais accroît, au contraire, notre sympathie et notre confiance. Pareillement, nous comprenons de moins en moins que l'histoire ne soit pas la vérité, et toute la vérité. Les progrès des sciences historiques sont d'ailleurs maintenant de telle nature que ce qui serait tu aujourd'hui serait révélé demain. Le mieux n'est-il donc pas de prendre ses avances et, somme toute, de montrer les choses telles que la Providence de Dieu les a conduites selon les lois de sa souveraine sagesse?

Ce sont ces idées, croyons-nous, jointes à un culte filial pour tout ce qui touche à l'admirable réformatrice du Carmel, qui ont présidé à la nouvelle traduction des Lettres de sainte Thérèse que vient de publier le R. P. Grégoire de Saint-Joseph des Carmes déchaussés. L'éminent religieux n'avait pas à justifier son entreprise, puisque sainte Thérèse appartient avant tout à ses enfants, et que nul ne peut avoir plus qu'eux le culte de sa glorieuse mémoire. Néanmoins, les progrès que le nouvel éditeur vient de réaliser est de telle nature qu'il est visible à tous les yeux que cette publication s'imposait.

Ce n'est pas ici le lieu d'écrire, même sommairement, l'histoire de la publication des Lettres de sainte Thérèse et de leurs traductions françaises. La collection de ces lettres, aujourd'hui fort importante bien qu'incomplète, s'est formée très lentement, par des efforts continus de patientes

recherches. Les Carmes déchaussés espagnols entreprirent, au XVIIIe siècle, un travail monumental dans le but de recouvrer le plus grand nombre de lettres en les accompagnant de tous les éclaircissements historiques, ou autres, capables de mettre dans le meilleur jour la correspondance de sainte Thérèse. Les vicissitudes politiques de la fin du siècle empêchèrent seules la publication de leurs savantes recherches. Leur œuvre manuscrite, déposée aujourd'hui à la bibliothèque nationale de Madrid, a fourni la base la plus sûre aux éditeurs et traducteurs récents des Lettres. Pourquoi faut-il que des mains rapaces aient profané ce monument en en dérobant des parties importantes, dans un dessein qui n'était évidemment pas de servir la vérité historique, ni la gloire de sainte Thérèse?

La meilleure et la plus complète édition du texte espagnol des Lettres fut celle que donna à Madrid, avec le reste des œuvres, le savant historien Vicente de la Fuente. La première édition est de 1862, la dernière de 1881.

En France, deux traductions ont surtout fait connaître la correspondance de sainte Thérèse. Celle publiée par Migne, avec les autres œuvres, pendant les années 1840-1845, puis en 1859-1860, et celle que le R. P. Marcel Bouix, S. J., donna, après la traduction des divers écrits de la sainte, en 1861, et dont la dernière édition est de 1882.

Comme on le voit, les deux dernières traductions françaises ont été exécutées antérieurement à l'édition de V. de la Fuente et n'ont pas pu utiliser les améliorations réalisées par ce dernier. Le P. Bouix toutefois, ayant, d'après ce qu'il nous apprend, fait des voyages de recherches et inspecté les originaux, était, semble-t-il, mieux armé que ses devanciers pour nous donner une édition française intégrale et plus correcte. Cependant, malgré les améliorations apportées à son travail, le nouveau traducteur, par un phénomène demeuré inexpliqué, n'a pas jugé à propos de traduire les fragments inédits qui lui étaient passés sous les yeux. Le procédé était d'autant plus surprenant que le P. Bouix n'avait pas ménagé les critiques, pour ne rien dire de plus, à ceux qui l'avaient précédé dans la carrière des études thérésiennes. « Toutes les œuvres de sainte Thérèse, écrit-il, demandent et attendent en Espagne une édition digne d'elle. Les éditions qui existent, déshonorent la sainte, son Ordre, Espagne et les lettres ». Mais alors, pourquoi le P. Bouix renonçait-il à contribuer à l'honneur de toutes ces choses en ne traduisant pas lui-même les fragments d'Alcala de Henares qu'il avait eus entre les mains, ou ceux de la collection de Valladolid qui lui était signalée par les Acta Sanctæ Theresiæ des Bollandistes? Mais ce qui est plus étonnant encore dans cet ordre d'idées, c'est qu'au moment où le R. P. Bouix achevait la réédition des Lettres, en 1882, il ait pu écrire dans sa préface (p. 28): « Nous

n'avons eu connaissance de la préface de M. de la Fuente qu'au moment où nous écrivions la nôtre et où l'impression de cette nouvelle édition des Lettres de sainte Thérèse était terminée. Nous sommes juste à temps pour réfuter l'attaque que cet écrivain dirige contre nous, et pour ajouter, à la fin de notre dernier volume de Lettres, les Lettres inédites qu'il a publiées. Mais quant aux lettres où il a rétabli les morceaux retranchés, nous devrons les publier dans un appendice à part. » On a peine à comprendre qu'un spécialiste en choses thérésiennes ait mis vingt ans à avoir connaissance d'une bonne édition des œuvres de la sainte qu'il avait lui-même, jadis, si impérieusement demandée, et qu'elle soit finalement arrivée à point pour permettre au R. P. Bouix de répondre aux critiques virulentes que le savant académicien espagnol avait depuis si longtemps dirigées contre lui. En tout cas, le R. P. Bouix reconnaissait que son œuvre était à compléter. L'appendice annoncé n'a toutefois pas été publié. Il ne faut peut-être pas le regretter. Des fragments sans suite, isolés des lettres où ils se trouvaient originairement, n'auraient présenté un intérêt véritable qu'à un petit nombre de lecteurs. Le mieux était de remettre le tout en place et de reconstituer dans son état primitif l'admirable correspondance de la réformatrice du Carmel.

Tout cela soit dit sans arrière-pensée de critique retrospective, mais afin d'établir l'état de la question et montrer aux personnes qui pourraient se demander pourquoi une nouvelle traduction des Lettres de sainte Thérèse, que cette œuvre était véritablement à faire. La chose est d'ailleurs évidente si l'on considère le seul fait que le nouveau traducteur des Lettres a ajouté à sa collection soixante-dix lettres et quatre cents fragments, grands ou petits, qui manquaient à la traduction précédente. C'est plus qu'il ne faut pour la justification de son entreprise, et c'en est ni le moindre mérite, ni le moindre charme.

La nouvelle traduction des Lettres de sainte Thérèse a été exécutée par le R. P. Grégoire de Saint-Joseph avec le souci scrupuleux de la rendre la plus parfaite possible. Dans ce but, il n'a rien épargné. Il a vérifié les textes connus sur les textes originaux qui subsistent encore ; il a utilisé avec soin les travaux antérieurs, surtout l'œuvre des Carmes déposée à la bibliothèque nationale de Madrid, et ses laborieuses recherches lui ont permis de découvrir des matériaux entièrement inédits. Aussi les lettres de sainte Thérèse, telles qu'elles nous sont maintenant présentées, forment-elles la collection la plus complète et la mieux ordonnée qui existe. De ce chef, elle se trouve notablement en avance sur l'édition de V. de la Fuente. Nous avons déjà dit combien elle dépassait aussi en importance la dernière traduction française, grâce à ses soixante-dix lettres et ses quatre cents fragments nouveaux.

Le R. P. Grégoire a publié les lettres dans leur ordre chronologique, les faisant précéder de leur date, des noms du lieu où elles ont été écrites et du destinataire. Un bref sommaire en indique ensuite exactement le contenu. Les lettres sont elles-même accompagnées de notes sobres et précises qui fournissent au lecteur les explications dont il pourrait avoir besoin. A la fin de chaque volume se trouvent le texte espagnol des lettres inédites et quelques autres documents intéressants et utiles. Une préface nous fait connaître brièvement l'histoire des éditions et des traductions des Lettres de sainte Thérèse et les améliorations réalisées par la nouvelle publication. Une table des noms cités dans la correspondance facilite au mieux les recherches que les historiens ou les curieux voudront y faire.

Quant à la traduction des lettres elles-mêmes, elle a été très soignée, soit pour l'exactitude, soit pour la forme littéraire. Le R. P. Grégoire a suivi fidèlement le texte tout en donnant à sa traduction une correction parfaite et une allure des plus naturelles. C'est vraiment sainte Thérèse que l'on entend avec son accent, son tour d'esprit et ses saillies spirituelles. L'habile et consciencieux traducteur des Lettres nous permettra-t-il toutefois une légère critique? Nous la présentons en toute simplicité, d'autant mieux qu'elle ne porte pas atteinte à l'ensemble de l'œuvre et que nous reconnaissons de bonne grâce qu'on peut sur ce point ne pas partager notre avis.

Le R. P. Grégoire, avons-nous dit, a accompagné les Lettres de sainte Thérèse de notes explicatives qui guident le lecteur dans l'intelligence du texte lorsqu'un supplément d'informations est nécessaire. Cet appareil critique et historique est suffisant, à la rigueur, pour la plupart des lecteurs. Les historiens et les érudits auraient aimé cependant trouver des renseignements plus abondants, voir discuter quelques points obscurs, dégager certaines positions prises par la sainte à l'égard des personnes ou des événements, et ainsi de suite.

J'en prendrai un seul exemple pour faire comprendre ma pensée, et je le choisis parce qu'il soulève la question de l'interprétation de toute une lettre et de l'authenticité même d'une seconde, ce qui n'est pas sans quel

que importance.

Tout le monde sait les services signalés que la Compagnie de Jésus rendit à sainte Thérèse et à son œuvre. La sainte, à qui la reconnaissance ne coûtait pas, s'en est exprimée de la façon la plus expresse et la plus flatteuse pour ses bienfaiteurs. Toutefois, vers la fin de sa vie, des tiraillements assez vifs se produisirent, et malgré sa bonté et sa modération coutumières, la sainte porta des jugements assez durs touchant les procédés de certains pères jésuites, même constitués en charge, à l'égard de

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