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celli, qui affine ses traits d'une mystérieuse mais presque inquiétante pensée; Masaccio, Fra Bartolomeo, Raphaël, qui lui font, en pleine humanité, une félicité certaine, mais où elle risque de s'oublier et où son inspiration déjà s'écourte; — Michel-Ange qui lui assure de haute lutte un incontestable empire, et pourtant ne réussit pas à écarter de son front je ne sais quoi de déçu.

Non, tout cet art persuasif et savant, toutes ces gageures du génie ne font pas redescendre du ciel la Beauté, ou du moins ne savent pas la retenir parmi nous. Sans doute, la Renaissance, et particulièrement la première Renaissance, est, à son insu, fille et héritière de l'alliance inaugurée par les primitifs entre la vérité humaine et la surnaturelle beauté; elle ne la répudie point d'abord; elle veut seulement, et de bonne foi, affirmer cette alliance dans toutes les provinces de la vie, dans tous les domaines de l'activité; elle ne veut point soustraire à l'influence de l'idéal chrétien la conscience artistique, mais elle tente de justifier tout. ce qui, à cette époque, fermente dans la personnalité humaine, en naturalisant le surnaturel, et elle espère y réussir. La preuve, c'est qu'elle s'attache de préférence à la représentation des objets et des souvenirs de la foi chrétienne; le Pérugin, cet incrédule, restait croyant en art, ne songeait point à renier Fra Angelico, lui devait peut-être l'adorable pureté de ses figures; et j'imagine que MichelAnge s'est souvenu de l'Angelico, lorsqu'il sculptait sa Pietà de Saint-Pierre de Rome, tant il a mis, en ce marbre virginal, de simplicité et de calme avec un peu moins de froideur, ce serait bien près d'être une merveille, la plus belle création de l'art, depuis l'antiquité.

Mais aucun de ces maîtres n'achève, à notre gré du moins, l'œuvre du Beato Florentin. Pourquoi? Pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas encore donné d'admirer le chef-d'œuvre intégral, où resplendit sans ombre et sans lacune, la vie divinement heureuse, où l'idéal divin élève jusqu'à lui l'homme vrai?

Autant se demander pourquoi saint Thomas d'Aquin n'a pas achevé la synthèse des vérités et des sciences; pourquoi, après l'épopée franciscaine de la charité et de la pauvreté, il existe encore un problème du paupérisme auquel nous tâtonnons à appliquer le remède divin'de l'amour!... La Beauté est sœur de la Vérité et de la Charité, et toutes trois sont filles de Dieu, et donc partici

pent de l'infini. Et c'est pourquoi l'on peut répondre que l'idéalisme, comme la foi et l'amour, implique ici-bas quelque chose d'inachevé, en ce sens que la vie surnaturelle, toujours grandissante et illimitée, submerge et déborde l'activité proprement humaine, et que celle-ci de son côté n'est jamais tout à fait digne ni capable de s'adapter pleinement à l'influence divine. Ainsi le problème de leur parfait accord recule toujours...

Quand toute ambition humaine se devrait borner à préparer pour une autre vie le chef-d'œuvre intégral, Fra Angelico serait encore un vrai maître d'idéalisme, parce qu'il démontre suffisamment la suzeraineté de l'idéal espéré et nous aide à y tendre, parce qu'il en a fixé le caractère supraterrestre, et que, par ce côté, son œuvre ne passera point. Il est vrai, à l'égard de cette œuvre, l'on passe par trois dispositions successives d'abord, l'admiration fervente, plutôt exclusive, ensuite une sorte de réaction du sentiment critique de ses lacunes; enfin, l'on revient à l'admiration profonde. irrévocable. C'est que, après la sympathie instinctive, sujette à défaillir, l'on a découvert le secret de cet art, qui est le secret même de la vie : l'Amour cherchant le Bonheur dans la Vérité.

Mais qui peut dire si l'humanité ne l'admirera point un jour, ce chef-d'œuvre intégral, puisque nul ne peut dire qu'elle ne verra jamais le règne harmonieux de la vérité divine sur la terre? Du haut de San-Miniato, l'on aperçoit au loin, à l'ouest, les massifs blanchissants de Carrare, où dorment, dans leurs formes captives, des milliers de chefs-d'œuvre futurs; à l'est, les hauteurs du Casentino, d'où se lèvent en foule les doux souvenirs franciscains de la Verna, et ainsi la vision pathétique qui surgit du passé de Florence s'achève en espoiret en douceur. Croyons donc qu'il paraîtra, l'artiste sublime, le père du chef-d'œuvre intégral, comme, nous l'espérons, il paraîtra, le génie qui doit achever la synthèse des vérités divines et humaines puissamment esquissées par Thomas d'Aquin, et le grand cœur qui fera triompher l'évangélique charité du poverello d'Assise. Ce ne sera peut-être qu'au dernier jour de l'histoire, afin que l'éternelle vie ait son aurore ici-bas. Mais peutêtre aussi nous, les croyants de l'idéalisme, pourrons-nous hâter cet avènement, en ne cessant pas de célébrer en nos âmes ces fiançailles de la vérité humaine et de la surnaturelle beauté. C'est une humanité transfigurée que voudra pour modèle le suprème artiste;

et c'est nous, en nos humbles vies anonymes, qu'il saluera comme les coopérateurs de son œuvre idéale.

Nous oublions que notre tâche est si belle, quand nous nous demandons devant les fresques de l'Angelico: Est-il donc vrai qu'en ces temps-là on goûtait ces joies surnaturelles dans les cloîtres?... Car, malgré la sincérité de notre foi, c'est une ame endolorie du contact de tant de souffrances et de doutes que nous venons y abriter aujourd'hui, et le ciel de nos contemplations et de nos rêves a si rarement de ces visions radieuses... Courage! les refuges de l'idéal, ce sont nos âmes, en qui s'élaborent déjà les éléments de l'œuvre de beauté...

Je plaignais, sur les insipides corvées de ses journées, le moine, cicérone obligé de la chartreuse d'Ema, aux portes de Florence. Se méprenant sur le sens de ma question et levant sa forte et belle tête dans un sourire que l'Angelico lui eût pris : No, dit-il, la nostra vita è bellissima...

Parole embaumée, qu'il faut se redire souvent, car elle est vraie de nous tous: la nostra vita è bellissima!

Fr. H. CLERISSAC,

des Frères Prêcheurs.

LA PENSÉE DE SAINT THOMAS

SUR

LES DIVERSES FORMES DE GOUVERNEMENT

(Suite) (1).

De ce qui a été dit précédemment il ressort avec évidence que « la monarchie absolue dégénère facilement en tyrannie (2) Or, comme de tous les régimes injustes « la tyrannie est la plus injuste (3), une société doit avant tout éviter ce fléau (4). Comment l'éviter? Un moyen radical s'offre tout naturellement à la pensée. C'est de remplacer la monarchie par la république et, pour éviter le despotisme d'un seul, de confier à plusieurs le soin de régir la société. C'est ce qu'ont fait, dans l'antiquité comme dans les temps modernes, tous les peuples qui, à tort ou à raison, ont vu des tyrans dans leurs rois. Le despotisme de ceux-ci a amené la révolte de ceux-là. Il ne pouvait d'ailleurs en être autrement. Saint Thomas a soin de le faire remarquer : « Tant que les bons rois s'appliquent de toutes leurs forces à promouvoir le bien commun, tant que par leurs efforts ils procurent à la société une foule d'avantages évidents aux yeux de tous, ils se font un grand nombre d'amis en se montrant les amis de leurs sujets, car le peuple est rarement assez méchant pour ne point aimer celui qui s'attache à lui et pour rendre le mal pour le bien. Aussi le trône des bons rois s'affermit par l'amour des sujets qui ne reculent devant aucun péril pour le maintenir au pouvoir. Nous en voyons un exemple dans ce que Suétone raconte de Jules César. Ce dernier aimait tellement ses soldats qu'ayant appris la défaite d'une légion, il ne se fit couper ni la barbe ni les cheveux avant d'avoir vengé la mort de ses légionnaires. Cela lui acquit tellement l'affection de son armée que quelques uns des siens, qui avaient été pri

(1) Voir Revue Thomiste, janvier, 1901.

(2) I IIao, q. 105, a. 1, ad 2.

(3) De Regimine principum, 1. I, c. ii.

(4) Cf. De Regimine principum, 1. I, c. vi.

sonniers et auxquels on offrait la liberté et la vie s'ils voulaient porter les armes contre César, refusèrent d'accepter cette condition. De même Octave-Auguste, dont le gouvernement fut si modéré, était tellement aimé de ses sujets que plusieurs citoyens demandèrent qu'après leur mort on immolât des victimes en actions de grâces, parce que leur souverain leur survivait. Il est donc bien difficile d'ébranler le trône d'un prince qui est entouré de l'affection du peuple. C'est pourquoi Salomon dit au chapitre Xxiv du livre des Proverbes : « Le trône d'un roi qui rend la justice est affermi pour toujours (1).

Il n'en est pas ainsi des tyrans. « Le pouvoir des tyrans, ajoute saint Thomas, ne peut être de longue durée parce qu'il est odieux à tout le monde. Or, ce qui répugne à la multitude ne peut se maintenir longtemps. En effet, il n'y a personne qui n'éprouve quelque adversité dans la vie. Mais l'adversité offre toujours quelque occasion de révolte contre un tyran, et dès que l'occasion se présente, il est bien rare que quelqu'un ne soit pas là pour la saisir. Le peuple approuvera cette révolte, et ce qui a l'approbation du peuple atteint toujours son effet. Il est donc difficile que le règne des tyrans soit de longue durée. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer sur quoi repose leur pouvoir. Il n'est point fondé sur l'affection, car les sujets n'éprouvent pour un tyran que peu ou point d'amitié... Reste donc la crainte pour fondement de sa puissance; aussi cherche-t-il avant tout à inspirer la terreur à ceux qu'il gouverne. Mais la crainte est un appui très faible, car dans les cas où il y a espoir d'impunité ceux qui obéissent à la crainte seule se révoltent avec d'autant plus de fureur que la terreur leur a fait plus de violence. Ainsi un torrent qui brise ses digues se précipite avec plus de force. Les effets de la terreur sont d'autant plus dangereux que souvent ses excès mènent au désespoir. Or il n'est pas de tentatives hardies que le désespoir ne puisse inspirer. Le pouvoir des tyrans ne peut donc durer longtemps. Les raisons et les exemples abondent pour prouver cette vérité (1). » Le Docteur Angélique est d'ailleurs loin de condamner toutes ces révoltes. Sans aller jusqu'à dire qu'elles constituent, « le premier des droits et le plus saint des devoirs », il reconnaît qu'elles peuvent être

(1) De Regim. principum, 1. I, c. x.

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