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Mais, en mettant à part les anciens Romains, (si toutefois ils méritent l'honneur exceptionnel que leur fait saint Thomas!) où sont les nations sages et vertueuses? Où sont les sociétés ayant la bonne fortune de posséder une aristocratie d'hommes vraiment éclairés, indépendants, désintéressés, aptes à gérer les affaires publiques et capables de se dévouer au bien de tous, sans arrièrepensée d'intérêt personnel? « Lorsque Napoléon III, encore président de la République, organisa la Constitution, il établit - raconte M. Émile Ollivier que les fonctions de députés seraient gratuites, sauf les droits du président d'accorder des dotations individuelles de trente mille francs. -Personne ne voudra accepter d'être doté, s'écria Montalembert, lorsque Louis Napoléon lui communiqua cette disposition. Vous croyez, Monsieur de Montalembert? » dit le prince avec un imperceptible sourire et en caressant sa moustache.

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Tandis que Montalembert considérait les hommes «< tels qu'ils devraient être », Louis Napoléon les considérait «< tels qu'ils sont». Ce sont là deux points de vue bien différents, et lorsqu'on étudie les problèmes politiques et sociaux, on doit tenir compte de l'un et de l'autre. Saint Thomas n'aurait-il pas oublié de le faire, en énumérant les avantages de la république aristocratique? N'aurait-il pas, lui aussi, considéré les hommes uniquement << tels qu'ils devraient être »? Ne se serait-il pas placé dans l'hypothèse toute gratuite où les représentants du pouvoir, dans ce régime, seraient les meilleurs secundum virtutem?

Il a dû évidemment considérer ce point de vue, et il l'a fait en montrant les avantages possibles de l'aristocratie. Mais il en a signalé aussi les inconvénients les dangers et les désordres réels.

Ces désordres et ces dangers proviennent de deux causes. Lorsque plusieurs chefs gouvernent une société, ou bien ils sont unis ou bien ils sont divisés. De là deux sources d'abus.

Sont-ils unis? On doit craindre l'écueil signalé par Pascal : « L'unité qui n'est pas multitude est tyrannie ». La tyrannie y sera d'autant plus odieuse que, le pouvoir étant anonyme, chacun de ses représentants se considère comme irresponsable. « Je ne con

nais, disait Mirabeau en signalant le danger d'une assemblée souveraine, je ne connais rien de plus terrible que l'aristocratie souveraine de six cents personnes qui, demain, pourraient se rendre inamovibles, après-demain héréditaires et finiraient, comme toutes les aristocraties du monde, par tout envahir » (1). Cette tentation de «< tout envahir » est très grande; une aristocratie y succombe facilement et se transforme très vite en oligarchie. Saint Thomas note de la façon suivante les degrés de ce changement: « Les chefs s'emparent des biens communs, ils s'écartent des voies de la raison et s'adonnent aux plaisirs, ils gouvernent dans le but unique de s'enrichir » (2). Ils sont, d'après une comparaison qu'Aristote emprunte à Antisthènes, ce que seraient des lions dans une troupe de lièvres. « Il n'est pas bon pour ceux-ci d'avoir parmi eux des lions armés de dents, car les lions abusant de leur force dévoreraient les lièvres. Lepusculis... non est bonum habere leones cum dentibus in socios, quia leones, propter potentiam eorum, devorarent eos (3). Ainsi dans une société. Sic in civitate (4). Le gouvernement d'une oligarchie puissante aboutit à l'oppression.

Si, au lieu d'être unis, les chefs qui gouvernent sont divisés, le mal qui en résultera ne sera pas moins déplorable pour être d'une autre nature. Ces divisions, qui ont pour causes les jalousies, les haines, les ambitions, auront inévitablement au dehors des contrecoups dont les effets seront terribles: intrigues, rivalités, factions opposées, relâchement des liens sociaux, luttes sanglantes peutètre. Tel fut, aux derniers jours de la république romaine, l'état d'anarchie que Tacite a peint, en le flétrissant, dans une phrase d'une concision énergique : « Le gouvernement du sénat et du peuple faisait toujours craindre les divisions des grands et la cupidité des magistrats, qui n'était contenue que par des lois faibles, impuissantes contre la violence, la brigue, l'argent » (5). Telle fut,

(1) Séance du lundi 15 juin 1789 (Moniteur universel, p. 76).

(2) Isti principantes facti sunt divites de bonis communibus, et inclinabantur ad voluptates deficientes a ratione, et principabantur propter divitias et sic conversus fuit status optimatum in statum paucorum. (Comm. in Polit., 1. III, lect. 14.)

(3) Comm. in Politic., 1. II, lect. 12.

(4) Ibid.

(5) « Suspecto senatus populique imperio, ob certamina potentium et avaritiam magistratuum, invalidoque legum auxilio, quæ vi, ambitu, postremo pecunia turbabantur.» (TACIT., Annal., 1. I.)

au moyen-âge, la situation des républiques du centre de l'Italie. Les révolutions qu'elles subirent furent si fécondes en malheurs que Dante compare sa patrie désolée « à un fiévreux qui s'agite sur sa couche dans le vain espoir de trouver un peu de soulagement. »

Et ces malheurs, l'histoire en fait foi, furent toujours le triste partage des nations gouvernées par plusieurs chefs divisés entre eux. Ils sont si grands que saint Thomas, après avoir condamné le despotisme monarchique dans les termes énergiques que nous connaissons, n'hésite pas à dire que ce despotisme est encore un moindre mal. Après avoir remarqué que « les provinces et les cités qui ne sont pas gouvernées par un seul chef, sont travaillées par les dissensions et n'ont jamais de tranquillité (1) », il ajoute : « Entre deux maux, écrit-il, il faut choisir le moindre. Si un monarque devient despote, le malheur est moins grand que lorsque le gouvernement de plusieurs chefs devient mauvais. C'est que la division qui éclate souvent entre plusieurs chefs est plus opposée au bien le plus précieux de la société, au bien de la paix. Celle-ci, en effet, n'est point troublée par le gouvernement tyrannique d'un seul, à moins que le despotisme de celui-ci ne devienne exorbitant au point d'opprimer la société entière. Il faut donc préférer le gouvernement d'un seul maître à celui de plusieurs, bien que l'un et l'autre aient leurs dangers. De plus, on doit surtout éviter ce qui est ordinairement suivi de grands périls. Or, ces périls sont plus à craindre dans le gouvernement de plusieurs que dans le gouvernement d'un seul. Il arrive en effet souvent que les idées de plusieurs sont plus nuisibles au bien public, car l'opposition d'un seul membre du gouvernement suffit pour amener des dissensions qui causent toujours du trouble dans le peuple (2). »

Que si, malgré tout, nous étions encore tentés de préférer aux dangers de la tyrannie les inconvénients inhérents à un régime républicain, sous prétexte que ceux-ci sont moindres que ceux-là, saint Thomas a soin de dissiper notre illusion. Il nous prévient que les excès de la liberté ont pour conséquence ordinaire, en vertu d'une loi de réaction bien connue, d'amener un régime autoritaire et despotique. << Il arrive souvent à un gouvernement composé de

(1) De Regimine principum, 1. I, ch. 1.

(2) Ibid., 1. I, c. v.

plusieurs citoyens de se transformer en tyrannie; car, dans les dissensions populaires, on voit fréquemment un usurpateur s'emparer de l'autorité qu'on lui a déléguée et s'élever au-dessus des autres. Ce que l'on a vu de tout temps en est une preuve dente. Presque toujours, le gouvernement de plusieurs chefs aboutit à la tyrannie » (1).

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C'est que, dans l'histoire des peuples libres, il est souvent des heures de crise douloureuse où les désordres provenant des abus de la liberté font désirer «< une tête et une épée » pour mettre fin à l'anarchie. Il en fut ainsi au temps de la république romaine, au témoignage de Tacite : « Non aliud discordantiæ patriæ remedium fuisse quam ut ab uno regeretur ». Saint Thomas le remarque à son tour: « Les dissensions populaires, les soulèvements et les guerres civiles firent tomber la république romaine dans la main des plus cruels tyrans »> (2). On a pu constater bien souvent depuis que « toutes les révolutions, comme on l'a dit, sont grosses d'un César ». Aussi sommes-nous en droit de conclure avec l'Angélique Docteur : « Si l'on jette un regard attentif sur les événements passés et présents, on verra que les peuples gouvernés par plusieurs chefs ont été plus tyrannisés que les peuples soumis au pouvoir d'un seul. Si donc la tyrannie est plus à craindre dans le gouvernement de plusieurs que dans le gouvernement d'un seul, il s'ensuit que ce dernier régime est encore préférable au premier » (2.)

L'un et l'autre cependant, le régime monarchique et le régime aristocratique, ont leurs dangers. Saint Thomas l'avoue: Ex utroque sequantur pericula. Ces dangers, ne serait-il pas possible de les éviter par l'établissement de la république démocratique ?

(A suivre.)

Fr. H.-A. MONTAGNE, O. P., Professeur à l'Institut catholique de Toulouse.

(1) De Regim. principum, l. I, c. v. (2) Ibid.

UNE NOUVELLE EXPLICATION SCIENTIFIQUE

DE L'EUCHARISTIE

(1)

2.

II (Suite).

Les rapports sensibles de Jésus-Christ avec les hommes dans le Saint-Sacrement.

Les relations de la vie sensible peuvent toutes se ramener à deux catégories distinctes, suivant que l'on envisage le sujet comme principe ou comme objet de la sensation : comme principe, car il voit, il entend, il souffre; comme objet, lorsqu'il est vu, lorsqu'il est entendu.

D'où ces deux questions:

1° Pouvons-nous voir, toucher, manger le corps de NotreSeigneur dans l'Eucharistie?

2° Jésus-Christ peut-il dans l'Eucharistie exercer les actes de ses facultés sensibles, nous voir de ses yeux, nous entendre de ses oreilles?

Le corps et le sang du Sauveur étant présents dans le Sacrement, par mode de substance, nous devons leur attribuer les propriétés qui appartiennent à la substance en elle-même.

<«< Or la substance, en soi, d'après saint Thomas, n'est pas visible à l'œil du corps, elle échappe à la perception sensible, seule l'intelligence la connaît. Substantia in quantum hujusmodi non est visibilis oculo corporali neque subjacet alicui sensui, nec etiam imaginationi, sed soli intellectui, cujus objectum est quod quid est (2). »

Et cependant nous voyons du pain, nous palpons du bois, nous goûtons du vin. Cette manière de parler ne trahirait-elle pas une contradiction entre la vérité de vulgaire bon sens qu'elle exprime et le principe de saint Thomas.

(1) Voir Revue Thomiste, mars et mai 1901.

(2) III P., q. LXXVI, a. 7.

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