Sayfadaki görseller
PDF
ePub

L'INDIVIDUALITÉ

DES ANIMAUX SUPÉRIEURS (1)

Nous voulons établir l'individualité des animaux supérieurs. C'est assez dire que nous n'épuisons pas tout le problème, extrêmement complexe, de l'individualité dans le règne animal. Pour les embranchements inférieurs, les cœlentérés, les échinodermes, les vers, mille difficultés surgissent à chaque pas; et ce n'est point dans une leçon ou dans une courte note qu'on pourrait les considérer avec toute l'attention qu'elles méritent.

Nous ne parlons ici que des animaux possédant des organes et des tissus hautement spécialisés, tels qu'un chien, un cheval ou un singe, et nous devons démontrer que ces êtres ne sont point de simples associations plus ou moins intimes de réalités vivantes hiérarchisées, de simples collections sui generis de substances individuelles distinctes, mais de véritables êtres uniques, comprenant dans une unité vraiment substantielle et supérieure leurs parties innombrables et diverses, jouissant d'un seul principe actif fondamental et d'une existence indivise; bref, que ces mammifères sont des individus.

Et la question, quoique restreinte, ne manque ni d'importance ni d'intérêt. On n'ignore pas les différentes doctrines formulées à ce sujet. Il y a d'abord le polyzoïsme de Durand de Gros, se présentant sous une forme moins brutale et plus scientifique dans la « Rueckenmarkseele » (2) de Pflueger. L'expérience classique est connue on ampute complètement une grenouille des deux hémisphères cérébraux, de manière à abolir toute sensation consciente. Un liquide corrosif, une goutte d'acide acétique par exemple, est dé

(1) Leçon faite au collège dominicain de Louvain, en octobre 1901. (2) « Ame de moelle épinière ».

[blocks in formation]

posé sur la peau nue du dos, soit à droite, soit à gauche de la ligne médiane. Bien que l'animal n'en puisse rien sentir, la patte postérieure du côté intéressé se lève presque aussitôt, et d'un vigoureux effort rejette au loin l'irritante substance.

Si maintenant, après un soigneux lavage, nécessaire pour que les terminaisons nerveuses ne soient pas détruites, on recommence l'expérience du même côté, après avoir enlevé l'extrémité de la patte à l'articulation fémoro-tibiale, la bête fait des efforts répétés pour délivrer son dos de cette lente désorganisation par l'acide; mais le moignon restant, constitué par le seul fémur et les tissus mous qui le recouvrent, est impropre à cet usage. Trop court et maladroit, il n'arrive pas à la tâche apparemment douloureuse. Et tout à coup, comme si la grenouille insensible se rendait compte de l'inutilité de ses efforts, elle met en jeu la patte du côté opposé, l'allonge par une extension brusque au delà de son échine, et essuie la malencontreuse goutte d'acide.

Le fait est incontestablement suggestif. Les fonctions sensitives ordinaires, raisonne Pflueger, celles qui font partie intégrante du moi de la grenouille sont certainement abolies. L'âme cérébrale a disparu avec les hémisphères. Mais puisqu'à une excitation des nerfs sensitifs a succédé un mouvement coordonné, puisque après les essais infructueux une manière de raisonnement pratique s'est esquissée pour aboutir à l'emploi de l'autre membre, il s'ensuit qu'une perception et une activité mentales se sont accomplies, et qu'une autre âme se trouve logée dans la moelle épinière.

En rapprochant de ce fait admirable et de ce raisonnement, qui l'est peut-être moins, tous les phénomènes bien connus des réflexes courts, on aboutit sans grands frais d'imagination à loger une âme à chaque étage de la moelle, à considérer les vertébrés comme des assemblages plus ou moins intimes de métamères indépendants; en un mot, à formuler le polyzoïsme proprement dit.

Mais si une réaction appropriée à une excitation du dehors est un critère d'individualité, pourquoi s'arrêter en si belle voie? Chaque cellule ne manifeste-t-elle pas, en somme, à elle seule et pour son compte, tous les phénomènes essentiels de la vie? La nutrition, la seule vraie, n'est qu'un phénomène cellulaire; seul dans l'intimité de ces éléments communs à tous les tissus s'accomplit le cycle incessant de «< catabolisme» et d' « anabolisme », les

nombreuses réactions d'assimilation et de désassimilation, dont la simple somme constitue l'activité nutritive de l'animal. L'irritabilité, le mouvement protoplasmique ne se démontre même pas, tant le fait est banal. Et ce n'est point à une âme par métamère, c'est à une âme par cellule qu'il convient de s'arrêter. C'est la doctrine de l'autonomie cellulaire, vieille déjà, puisqu'elle se trouve, au moins en germe, dans les travaux de Schwann.

Et ce n'est pas tout: si chaque cellule se nourrit, c'est parce que leurs derniers éléments se nourrissent. Et si chaque grumeau protoplasmique, chaque «< plastidule » vit individuellement, pourquoi ne pas chercher la dernière étincelle de vie, et la véritable individualité dans les atomes inorganiques? Nous nous arrêtons parce que nous voilà au «< panzoïsme », sur le terrain de la fantasmagorie, qui appartient à Haeckel, Clémence Royer et Bourdeau.

On le voit, devant ces multiples et déconcertantes doctrines, il doit être intéressant d'établir l'individualité des animaux supérieurs, thèse qu'admet par instinct le sens commun.

Cependant il n'y a pas que des théories; il y a des faits extrêmement suggestifs. Dès 1892, Wilson soumet à des secousses prudentes et méthodiques des œufs d'amphioxus en voie de segmentation normale. Tous ne sont pas arrivés au même stade: les uns ne possèdent encore qu'une cloison, et n'offrent ainsi que deux blastomères; d'autres en ont quatre, d'autres encore huit. Et tous ces embryons vivants de se mettre en pièces, de se scinder en autant de parties qu'il y avait de globules de segmentation. Mais c'est ici que commence la merveille. Ces êtres apparemment individuels, pour avoir été coupés en quatre ou huit morceaux, ne s'en portent pas beaucoup plus mal. Chaque partie se met à évoluer et produit, à elle seule, une gastrula, une larve d'amphioxus entière. Elles sont un peu chétives, un peu petites, mais certainement complètes. L'année suivante, Driesch a réussi une expérience analogue avec des œufs d'oursins.

Voici maintenant des expériences plus récentes, intéressant des batraciens. Lorsque, au moyen d'une fine aiguille rougie au feu, on extirpe la moitié d'un embryon de grenouille ne comprenant encore que deux cellules, la partie intacte évolue normalement, et forme une moitié, droite ou gauche, d'un petit têtard. Puis arrivé à un certain développement et à une certaine vigueur, l'animal se

complète en formant pour son compte la moitié absente. Il n'acquiert jamais des proportions de grenouille herculéenne, mais sa santé reste, somme toute, satisfaisante. On est parvenu à séparer les deux premiers blastomères d'un œuf de salamandre au moyen d'un cheveu très fin. Chaque partie a formé une salamandre.

Quelle est donc cette individualité qui disparaît devant un cheveu ou quelques secousses?

Nous le répétons le problème vaut en lui-même un examen approfondi. Nous sera-t-il permis d'ajouter qu'il possède un intérêt spécial pour l'école thomiste. En effet, devant les recherches fructueuses de la biologie et les raisonnements des mécanicistes, le vitalisme aristotélicien, toujours debout, croyons-nous, — a dû cependant modifier un peu l'allure de ses preuves. On peut toujours établir que l'irritabilité nutritive, phénomène fondamental de la vie organique, se distingue de toutes les réactions chimiques par son irréductible immanence. Mais il importe alors de supposer que l'animal possède une véritable individualité. Appliqué aux cellules, et à plus forte raison aux plastidules, l'argument tombe à faux. Il est donc certain que du problème soulevé dépend, sinon la thèse elle-même, au moins la preuve rationnelle du vitalisme thomiste.

On comprend qu'on se soit efforcé de la résoudre. Mais il faut bien dire que la voie prise par plusieurs auteurs n'est pas précisément la bonne.

On pose en thèse que l'individualité de l'homme est attestée par la conscience, et partant indiscutable. Par voie d'analogie, nous pouvons donc étendre cette thèse, intuitivement évidente, au moins aux animaux supérieurs.

C'est très vite dit. Mais à supposer que la thèse elle-même soit à l'abri de toute discussion, un argument de pure analogie n'est jamais très frappant pour un esprit pondéré. Il implique toujours, - on n'en peut douter dans le cas qui nous occupe, une invérifiable présomption. Et devant les phénomènes positifs qu'on oppose à la thèse individualiste, nous croyons inutile d'y insister davantage.

Mais, en outre, la doctrine des individualités multiples s'applique à l'homme comme aux autres mammifères, et il faut bien dire

que le témoignage de la conscience est impuissant, par lui-même, à faire pièce à ce système. N'oublions pas que le polyzoïsme et la thèse de l'autonomie cellulaire ont soin d'affirmer que les perceptions des âmes métamériques, ou les vagues émois des consciences cellulaires n'entrent pas dans le domaine du moi central. Dès lors la difficulté reste entière, et il faut avoir d'autres armes pour la détruire.

Les trouve-t-on dans les sensations, que tout nous porte à attribuer aux animaux? On l'a cru, parce que certaines sensations impliquent un principe sensitif simple. La perception des formes extérieures, par exemple, ne se conçoit nullement si le sujet percevant n'est point simple. Or un chien, pour reconnaître son maître, doit évidemment percevoir les formes de celui-ci.

Nous passons sous silence toutes les réserves qu'appellerait ce concept de sensation simple, qui pourrait cacher une erreur ou une illusion. Mais, en prêtant aux réalités psychiques de l'animal et au principe qui leur sert de base la plus entière simplicité, aura-t-on vraiment établi l'individualité de l'animal chien? On pourra conclure évidemment que, dans le chien, il y a une réalité sensitive simple et individuelle. Mais, encore une fois, tel n'est pas le problème soulevé; car la plupart des polyzoïstes sont tout prêts à admettre l'existence de ce principe. La question est de savoir si l'animal tout entier, tel qu'il tombe sous les sens, depuis le museau jusqu'à l'extrémité de la queue, est un seul individu, un seul«< suppositum » comme parle plus exactement l'école. L'argument tiré de la sensation établit peut-être la présence de quelque àme sensitive dans une glande pinéale quelconque, il ne démontre en aucune manière que chaque étage de la moelle, chaque cellule, chaque plastitude n'est pas un individu à part, que tous ensemble ne constituent pas un milieu immédiat pour cette âme animale, comme l'atmosphère constitue, avec ses molécules innombrables et diverses, son milieu indirect.

Une autre voie doit donc être prise, et nous allons nous efforcer de la parcourir. D'ailleurs, quelle que soit la valeur des considérations précédentes, un argument de plus en faveur d'une thèse aussi contestée possède toujours une valeur propre.

Quel peut être l'indice objectif de l'individualité d'un tout? Il va sans dire que l'observation directe du tout lui-même est inca

« ÖncekiDevam »