Sayfadaki görseller
PDF
ePub

LA PENSÉE DE SAINT THOMAS

SUR

LES DIVERSES FORMES DE GOUVERNEMENT

Suite (1).

La Démocratie.

Nous savons déjà avec quelle clairvoyance et quelle impartialité Saint Thomas signale les avantages et les inconvénients inhérents à la monarchie absolue et au régime aristocratique. Que penset-il de la démocratie?

On sait de quels sentiments contraires la démocratie a été et est encore l'objet. Les uns, saluant dans son triomphe l'avènement et le règne assuré de la justice, ne lui ont ménagé ni leurs éloges ni leurs acclamations. Les autres, la considérant comme une puissance d'anarchie intellectuelle, morale et sociale, se sont éloignés d'elle avec une sorte de terreur accompagnée de cette fierté dédaigneuse quifaisait dire à Renan : « Noli me tangere », c'est tout ce que l'on peut demander à la démocratie. » Et peut-être la démocratie ne méritait-elle

Ni cet excès d'honneur ni cette indignité.

D'où viennent donc ces sentiments divers qui nous paraissent des excès en sens contraires? Sans doute de ce que l'on considère exclusivement là les avantages, ici les inconvénients réels ou supposés que la démocratie entraîne avec elle; mais aussi de ce que parfois, d'un côté comme de l'autre, on néglige de définir d'une façon bien précise ce qu'est la démocratie et quels sont les sens divers qui s'attachent à ce mot. N'arrive-t-il pas souvent que

(1) Cf. Revue Thomiste, janvier et juillet 1901.

les choses nous inspirent une admiration imméritée ou une crainte injustifiée parce qu'on n'a pas d'elles une vision nette? Lorsque nous les apercevons de loin ou pour la première fois, elles nous apparaissent à l'état d'êtres prodigieux ou de fantômes aux contours vagues. Tels le chameau et les bâtons flottants de la fable. Combien, en face de la démocratie, ont imité « le premier qui vit un chameau » et «< s'enfuit à cet objet nouveau! » Que d'autres ont fait comme ces gens qui, apercevant des petits bâtons flottants sur l'onde,

Ne purent s'empêcher de dire.

Que c'était un puissant navire

N'aurait-il pas mieux valu, avant de porter un jugement, s'approcher et regarder attentivement pour bien voir? Bien voir, ici, c'est définir ce qu'est la démocratie.

On peut tout d'abord, en se plaçant au point de vue social et en donnant au terme démocratie une signification très large, appeler de ce nom tout gouvernement qui tend au bien-être du peuple. En ce sens qui est, on le voit, très étendu, tout gouvernement doit être démocratique. Nul ne saurait le nier; et c'est l'opinion de saint Thomas. Il pose en principe, - et ce principe est indiscutable << qu'un pouvoir devient injuste lorsque, oubliant le bien commun de la multitude, il n'a souci que du bien particulier des gouvernants (1) ». N'est-ce pas dire en termes très nets que tout gouvernement a pour mission de travailler au bien du peuple et de promouvoir les intérêts de ce dernier? Le saint Docteur le dit d'ailleurs d'une façon positive un peu plus loin : « La tâche du roi, c'est de faire le bonheur du peuple (2). » Et dans cette formule, pleine de substance comme toutes les formules thomistes, se trouve résumée toute une doctrine politique et sociale que les meilleurs esprits de l'antiquité avaient entrevue, que l'Évangile a promulguée et que l'Église conserve et défend

(1) Per hoc regimen fit injustum quod spreto bono communi multitudinis quæritur bonum privatum regentis. De regimine principum, 1. I, c. III.

(2) Regis est bonum multitudinis quærere. De regimine principum, 1. I, c. vii.

jalousement pour l'opposer à toutes les tentatives d'oppression et de tyrannie.

Les anciens, on le sait, ont établi une double échelle de régimes politiques, dans chacune desquelles se trouvent trois degrés qui se correspondent, suivant que le pouvoir appartient à un seul, à une minorité privilégiée ou à tous. Ce sont, d'une part, la monarchie, l'aristocratie, la démocratie. Ce sont, d'autre part, la tyrannie, l'oligarchie, la démagogie. Or, sur quoi repose cette division primordiale des gouvernements en deux catégories ? Sur cette distinction fondamentale que les uns, ceux de la première catégorie, sont bons et légitimes, tandis que les autres, ceux de la seconde catégorie, sont mauvais et illégitimes. Et à quelle marque reconnaît-on que ceux-là sont légitimes et bons, ceux-ci illégitimes et mauvais? A ce fait que les premiers agissent dans l'intérêt des gouvernés, les seconds dans l'intérêt des gouvernants. Le but poursuivi par ceux-là est le bien de tous (bonum multitudinis), et c'est là ce qui les rend bons; le but poursuivi par ceux-ci est le bien particulier des chefs (bonum regentis), et c'est pour cela qu'ils sont mauvais.

Telle est, d'après les anciens, la grande division générale des formes politiques. Or, cette division ainsi que la pensée fondamentale qui la justifie suffit pour montrer qu'à leurs yeux tout gouvernement digne de ce nom doit chercher le bien du peuple.

Ainsi d'ailleurs l'avait proclamé le vieil Homère lorsqu'il donnait aux rois le beau nom de pasteurs des peuples. Ainsi l'enseignait Platon lorsque, définissant la politique une science qui prend soin des hommes, il se la représentait sous la forme d'un gouvernement paternel (2). Et telle était aussi la pensée d'Aristote. Avec une méthode plus précise et plus sévère, il distingue deux sortes d'autorités et deux façons de gouverner (2). C'est d'abord l'autorité du maître sur les esclaves (deσroteía). Elle s'exerce en vue des intérêts du maître, et si l'esclave y trouve son profit, cela ne peut être qu'accidentellement et d'une façon accessoire (3). C'est, en second lieu, l'autorité du père de famille sur

(1) Politic., 276.

(2) Eth., 1. VII, c. 1; Politic., l. I, c. 2; 1. III, c. iv.

(3) Ἄρχει πρὸς τὸ τοῦ δεσπότου συμφέρον..., πρὸς δέ τὸ τοῦ δούλου κατὰ συμβεβηκός. Politic., III, c. iv. (Didot.)

Tépouse et les enfants (ή τέκνων ἀρχὴ καὶ γυναικὸς καὶ τῆς οἰκίας πάσης, qv dù xzhouμev oixovopixýv) (1). Il en est d'elle comme de l'art de guérir dans le médecin ou de la science pédagogique dans l'éducateur; elle doit avoir toujours en vue le bien des gouvernés, comme la médecine doit tendre à procurer la santé du malade et l'éducation la formation de l'élève; le bien personnel du père qui commande, comme le profit que le médecin et l'éducateur retirent de leur art, ne doit venir qu'en second lieu et comme par accident (2). Quant à l'autorité politique et civile, elle doit ressembler à l'autorité du père de famille sur l'épouse et les enfants. S'exerçant sur des personnes libres, elle doit poursuivre le bien des gouvernés. Aussi les régimes politiques, quelques formes qu'ils revêtent, ne seront légitimes que dans la mesure où ils tendront au bien commun (3). « Il en était ainsi autrefois, ajoute mélancoliquement Aristote. Et c'est pour cela que, regardant l'alternative du pouvoir comme naturelle, ceux qui étaient appelés à gouverner s'occupaient de procurer le bien des autres, comme les autres avaient à leur tour procuré le leur propre. Mais aujourd'hui, les avantages qui sont attachés à l'exercice du Gouvernement inspirent à tous les hommes le désir de se perpétuer en charge. On dirait que la continuité du pouvoir est seule capable de guérir les maladies dont ils souffrent » (4).

Cette apre recherche du pouvoir, dont parle le penseur grec, n'est pas certainement sans exemples dans nos sociétés actuelles. Ce fut le mal endémique des sociétés païennes. Il fut cause que le pouvoir, détourné de son vrai but, se transforma presque partout en une immense exploitation de la société par quelques-uns. L'idéal d'un gouvernement s'exerçant en vue du bien de tous fut un beau rêve qui, d'une façon générale, ne sortit jamais du cerveau des philosophes. Il fallut, pour le réaliser en le perfectionnant, les enseignements et les exemples de Celui qui est venu « non pour être servi, mais pour servir »(5).

(1) Politic., 1. III, c. iv.

(2) Καθ αὑτὸ μὲν τῶν ἀρχομένων, ὥσπερ ὁρῶμεν καὶ τὰς ἄλλας τέχνας, οἷον ἰατρικὴν κα γυμναστίκην, κατά συμβεβηκὸς δὲ κἂν αὐτῶν εἶεν. Politic., I. III, c. Iv.

(3) Φανερὸν τοίνυν ὡς ὅσαι μὲν πολιτεῖαι τὸ κοινῇ συμφέρον σκοποῦσιν, αὗται μὲν ὀρθα τυγχάνουσιν οὖσαι κατὰ τὸ ἁπλῶς δίκαιον. Politic., I. III, c. iv.

(4) Politic., 1. III. c. iv.

(5) MARC., X, 45.

Depuis lors « le monde, dit M. Toniolo dans un article magistral sur la notion chrétienne de la démocratie paru dans le Popolo italiano, le monde assiste à un spectacle nouveau et émouvant, celui de la hiérarchie sociale tout entière qui, malgré les résistances d'une nature orgueilleuse, s'abaisse de plus en plus pour servir les multitudes ignorantes, pauvres et souffrantes. Voilà la démocratie chrétienne! Au milieu de cette démocratie qui existait virtuellement, selon les traditions persistantes dans les idées et les usages des nations, même jusqu'aux temps dégénérés de l'ancien régime, tout le monde sert le peuple. Oui, le peuple, cette plebs christiana, les rois le servent en employant leur autorité à défendre les multitudes à leur service; les nobles emploient leur épée, les riches leur argent; les magistrats et les savants le servent en revendiquant la vérité et la justice; la vierge le sert dans les hôpitaux et les asiles; le missionnaire avec sa parole et son sang au milieu des sauvages; le prêtre avec son apostolat dans les humbles églises des Alpes, comme dans les paroisses tumultueuses des villes. Enfin, pour écarter tout doute sur l'universalité de cette loi qui ordonne de servir les faibles et de montrer qu'elle n'admet pas d'exception, le souverain pontife prend le titre de serviteur des serviteurs de Dieu... Ainsi le peuple devient, dans le fait historique, comme il l'était déjà dans les idées, le but suprême de l'activité unanime de toutes les classes supérieures et des gouvernants »> (1).

Et c'est bien dans ce sens que l'Église entend, accepte et prêche la démocratie. Il suffit, pour s'en convaincre,de lire les Encycliques du Souverain Pontife Léon XIII, et en particulier l'Encyclique Graves de Communi, parue le 18 janvier 1901. Après avoir distingué ce qu'il appelle la démocratie sociale de la démocratie chrétienne, Léon XIII condamne la première en ces termes très énergiques : « L'une (la démocratie sociale) est poussée par un grand nombre de ses adeptes à un tel point de perversité qu'elle ne voit rien de supérieur aux choses de la terre, qu'elle recherche les biens corporels et extérieurs et qu'elle place le bonheur de l'homme dans la poursuite et la jouissance de ces biens. C'est pour cela qu'ils voudraient que, dans l'Etat, le pouvoir appartînt au peuple. Ainsi les classes sociales disparaîtraient et les citoyens étant réduits

(1) Cf. Questions actuelles, mai, 1899.

« ÖncekiDevam »