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monie, en tenant les yeux fixés vers l'idéal de justice et d'utilité sociale qu'il faut avant tout satisfaire (pp. 581-582).

On objectera le danger de l'arbitraire, en faisant remarquer « qu'à défaut du terrain ferme de la loi et de l'appui solide des constructions abstraites, l'interprète sera livré à son sentiment subjectif ». M. Gény fait à cette objection cette réponse qui caractérise définitivement son entreprise : « L'objection pourrait nous arrêter si le système traditionnel donnait ici plus de garanties en faveur de la vérité objective. Il n'en est rien... En réalité, dès qu'on excède la pensée concrète du législateur, on ne trouve plus dans la loi que ce que l'on veut y mettre et les procédés classiques ne donnent qu'une sûreté apparente à l'élaboration juridique. Parlons net. De quelque façon que l'on s'y prenne, on n'arrivera pas, en présence de sources formelles insuffisantes ou s'adaptant inégalement aux faits, à ravir toute influence à l'appréciation subjective du juge. Ne vaut-il pas mieux, dès lors, chercher à limiter celle-ci par des éléments objectifs, tirés de la réalité des choses, plutôt que de dénaturer la plus sûre de nos sources formelles, la loi écrite, pour lui arracher par force des préceptes qu'elle ne saurait contenir ou d'abuser de la logique pour la substituer indûment à l'enseignement de la vie même ? » (p. 583).

Puisque nous avons cité saint Thomas au début de cette note, l'on nous permettra d'y revenir dans un but de comparaison avec ce que l'on vient de lire.

En commençant par la dernière et toute fraîche objection, on remarquera une divergence de solution, considérable à première vue. Saint Thomas (Ia IIa, q. XCV, a. 1, ad 2 et ad 3) maintient la nécessité de la loi écrite : « Ideo necessarium fuit in quibuscumque est possibile legem determinare, quid judicandum sit, et paucissima arbitrio hominum committere. » Et, dans le passage suivant, il semble restreindre ce paucissima à la question de fait et exclure celle de droit : « Quædam singularia quæ non possunt lege comprehendi necesse est committere judicibus, puta de eo quod est fac-. tum esse vel non esse et de aliis hujusmodi. » Cependant, si nous

examinons de plus près la réponse ad 2", nous voyons qu'il ne s'agit que d'une nécessité relative: «< MELIUS EST, dit-il avec le Philosophe, omnia ordinari lege, quam dimittere judicum arbitrio. » Melius est: voilà qui déjà éclaire singulièrement la conclusion. Que si nous descendons aux motifs de cette préférence, nous nous trouvons sur un terrain qui se rapproche beaucoup de celui qu'a choisi M. Gény. D'abord : « facilius est invenire paucos sapientes qui sufficiant ad rectas leges ponendas quam multos qui requirerentur ad recte judicandum de singulis. » Nous ne pensons pas que le savant professeur se refuse à l'objective évidence du fait d'expérience invoqué par saint Thomas. Sans vouloir diminuer le prestige de la magistrature, nous pensons sans doute à son sujet, d'un commun accord, que les qualités morales, judiciaires, intellectuelles, scientifiques, que requiert l'interprétation de la loi selon la méthode nouvelle, ne sont pas le fait du grand nombre. Et c'est là un premier écueil, de l'ordre pratique, que je me permettrai de signaler à son auteur. Dans une institution sociale, le facilius équivaut parfois au nécessaire, et le difficilius à l'impossible, quoi qu'il en soit de la théorie. Le second motif est tiré des garanties qu'offre le travail « de cabinet » et « à tête reposée ». <«< Illi qui leges ponunt ex multo tempore considerant quid lege ferendum sit, sed judicia de singularibus factis fiunt ex casibus subito exortis» voilà pour l'acte même du jugement. Voici maintenant ce qui concerne les matériaux d'information: « facilius autem ex multis consideratis potest homo videre. quid rectum sit quam solum ex aliquo uno facto. » Cette dernière considération rentre évidemment dans le sens de la thèse de M. Gény. La difficulté est de trouver les avantages dont il est question, séance tenante, alors que l'affaire presse et que l'on n'a pas comme le préteur romain le pouvoir de mettre à l'essai « pour un an»> une législation nouvelle. Cette difficulté s'accroît si l'on considère les passions personnelles du juge, troisième motif invoqué: « legislatores judicant in universali et de futuris: sed homines judiciis præsidentes judicant de præsentibus ad quæ afficiuntur amore, vel odio, vel aliqua cupiditate, et sic eorum depravatur judicium. » Ainsi, rareté et flexibilité du êíxatov ¤μyuyov, tels sont les deux titres invoqués par saint Thomas pour déclarer indispensable le code écrit. Nous soumettons ces deux défail

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lances, contre lesquelles l'humanité moderne n'a pas prescrit, que je sache, aux réflexions de M. Gény. Sans doute il y aurait moyen de s'entendre, d'abord en restreignant le nombre des « justices vivantes », des tribunaux où le système innovateur du droit aurait libre carrière. Une commission extra-parlementaire, un sénatusconsulte, où des membres des Facultés de Droit siégeraient chaque année à côté des représentants de la magistrature les plus qualifiés par leurs travaux (non par leurs services), dans le but de mettre le Droit au courant du Fait, répondrait sans doute aux desiderata de saint Thomas. D'ailleurs, aux juges ordinaires, il resterait toujours une certaine initiative dans les cas où le raccordement ne se fait pas facilement. La nécessité de la loi écrite comporte cette clause restrictive: in quibuscumque est possibile. Là où ce n'a pas été possible, à cause de la multiplicité des cas particuliers, court la clause : « et alia hujusmodi », qui, avec la question de fait, rentre, dans les attributions propres du juge. L'impossibilité d'appliquer la loi écrite fait la nécessité, et partant le droit, de la loi parlée (1). M. Gény étendrait sans doute beaucoup plus que saint Thomas, qui avait affaire à des besoins sociaux relativement simples, l'in quibuscumque est possibile et par suite l'alia hujusmodi, en raison de la complexité des besoins de la vie moderne, où le détail, c'est-à-dire le réel, devient impossible à comprendre dans la formule législative (2). C'est assez dire que l'on s'entend sur les principes et que le parti à adopter dépend en somme des circonstances, en sorte que, s'il est véritable qu'avec la théorie traditionnelle d'interprétation on aboutit nécessairement à un subjectivisme égal ou supérieur au subjectivisme qui résulte de l'initiative du juge, les motifs allégués par saint Thomas n'étant plus vérifiés par l'état présent, sa conclusion se retourne l'exception d'impossibilité est devenue, sinon la règle, du moins le cas ordinaire (3).

Car, ce qu'il importe de sauver avant tout, c'est que la loi est véritablement juste. C'est le principe qu'affirme saint Tho

(1) Cf. I* IIa°, q. xcvi, a. 6. Utrum ei qui subditur legi liceat præter verba legis agere. (2) Le droit international privé, par exemple, n'existe dans le Code qu'à l'état rudimentaire. Chaque jour cependant, les juges français ont à se prononcer sur des cas qui s'y rattachent.

(3) Cf. I II, q. xcvi, a. 6.

mas avec énergie dans l'article qui suit le passage que nous venons d'analyser : « Dicendum quod sicut dicit Augustinus in libro primo de libero arbitrio : Non videtur esse lex quæ justa non fuerit unde in quantum habet de justitia in tantum habet de virtute legis. In rebus autem humanis dicitur esse aliquid justum ex eo quod est rectum secundum regulam rationis. »

:

Avec saint Thomas, nous ne pouvons admettre la séparation de la justice et de la légalité. La position de ces juristes découragés, qui, constatant la possibilité de justifier légalement le oui et le non, le pour et le contre, dans n'importe quelle cause soumise à l'arbitrage des juges, grâce à la flexibilité et à l'infinie complexité de la jurisprudence dérivée du code Napoléon, concluent que la justice est une chose et la loi une autre, qu'il est nécessaire dans un État qu'il y ait dans l'intérêt du bien commun une légalité reconnue de tous, mais que l'existence de la justice est une autre affaire, parce que impossible; cette position, dis-je, est de celles que les anciens eussent qualifiées d'extranea scientiæ. Elle détruit les premiers principes de la science du Droit et supprime à la légalité son objet même. Nous augurons mieux de la force de la raison; et nous maintenons le principe intangible : « non videtur esse lex quæ justa non fuerit... dicitur esse aliquid justum ex eo quod est rectum secundum regulam rationis »>.

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Et nous sommes heureux de rencontrer ici en plein accord M. Gény et saint Thomas. C'est au fond pour sauver le Droit des étreintes étouffantes de la légalité syllogistique et factice qu'il a entrepris de fortifier ce secundum regulam rationis, qui est l'essence même du droit, par toutes les informations rationnelles objectives qu'offrent et la coutume et la science sociale. C'est pour arracher le Droit à l'arbitraire d'une jurisprudence devenue plus flexible que le « juste animé de saint Thomas. N'est-ce pas à cette proposition du Docteur angélique : «<lex in quantum habet de justitià in tantum habet de virtute legis », que fait écho cette déclaration « Directement inspiré par la justice et l'utilité générale, son essence (du droit) le place done fort au-dessus de ses sources formelles (p. 580). Et lorsque l'auteur assure que la législation légale tombe sous le coup du jugement rationnel, cette assertion, loin d'être anarchique, n'est-elle pas, en propres termes, affirmée par saint Thomas comme ressortant à la struc

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ture de la raison : « Dicendum quod judicare de aliquo potest intelligi dupliciter. Uno modo, sicut vis cognitiva dijudicat de proprio objecto, secundum illud Job. 12, nonne auris verba dijudicat et fauces comedentis saporem? et secundum istum modum judicii Philosophus dicit quod unusquisque bene judicat quæ cognoscit, judicando scilicet, an sit verum quod proponitur. Alio modo, secundum quod superior judicat de inferiori, quodam practico judicio, an scilicet ita debeat esse, vel non ita : et sic nullus potest judicare de lege æterna. » Il n'était question dans l'objection à laquelle répond ce texte que de la loi éternelle, mais la solution s'étend évidemment à la loi positive.

Aussi bien, selon M. Gény, n'est-il pas question de s'ériger en juge des sentences rendues, de se révolter contre elles, puisqu'il déclare que la critique rationnelle qu'il revendique a pour but << notamment une réforme future de la législation ». Ce n'est pas là détruire la légalité : c'est tenter de sauver le droit supérieur du fondement même du Droit, à savoir la justice, qui est tout entière dans sa conformité réelle avec la règle de la raison. C'est sauvegarder le droit imprescriptible et incontestable qu'a la conscience de se soustraire à une loi tyrannique, impérative du mal, comme sont les lois humaines en contradiction avec la loi naturelle, avec la loi divine, avec « un droit essentiel ». Et nous approuvons de toute notre énergie M. Gény d'avoir « réservé » la question de la résistance à la loi dans ces cas où, en réalité, la loi n'en est plus une, puisqu'elle n'est plus l'expression de la nature des choses, en même temps que nous le louons du sens délicat, de la modération dont il fait preuve, lorsqu'il se refuse à transformer en thèse universelle la position d'une semblable question qui ne peut être résolue « que pour un pays et à une époque donnée, en tenant compte de la rectitude générale du jugement commun, en matière de droit individuel, aussi bien que du sentiment profond de respect de l'autorité sociale, nécessaire pour contre-balancer le danger d'anarchie que recèle en germe cette doctrine (1) » (p. 581).

Après cela, quel jugement porterons-nous sur la méthode ellemême, sur le principe de l'adjonction à la loi écrite de sources parallèles, la coutume, la science sociale, synthétisant la nature

(1) I II, q. xcvi, a. 4,

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