Sayfadaki görseller
PDF
ePub

IV.

Il y avait pourtant en Italie, particulièrement en Toscane, des poètes populaires sans prétention, ne s'inquiétant ni de la Provence ni de Bologne, joyeux lurons qui disaient tout franc ce qu'ils avaient sur le cœur. L'un d'eux au moins mérite d'être connu, Cecco Angiolieri de Sienne, qui peut-être eût compté dès lors en son pays autant que Villon, deux siècles plus tard, compta dans le nôtre, si ce pauvre Cecco n'avait pas dû vivre si près de Dante et pâlir, étoile fuyante, au soleil levant. Il n'en osa pas moins s'attaquer au maître et lui crier avec la liberté de la rue :

Car l'aiguillon, c'est moi; c'est toi le bœuf (1).

Cecco fut un malheureux très bouffon, très débauché, n'aimant que le dé, la femme et la taverne; avec cela profondément triste, acharné contre son père et sa mère qui le méritaient bien : il dépensa une verve féroce à exprimer le plus dénaturé de tous les sentiments, l'exécration filiale. Condamné au plus extrême dénuement comme son contemporain Rutebeuf, il partit en guerre, mais n'avait pas d'argent et tenait à vivre; aussi ne perdit-il pas ses armes à l'exemple d'Horace, il les mangea. Il vendit d'abord la lance et le heaume; restait le gorgerin, il n'en fit qu'une gorgée, et dut quitter le service avec une amende à payer pro absentia. Amoureux d'une cordonnière qui le dédaignait et le rançonnait, il

(1)

Ch'io sono il pungiglione, e tu se' il bue.

lui adressa des vers plus passionnés, plus déchirants que n'en ont jamais obtenu Béatrice et Laure. Il disait dans ses moments d'exaltation : « J'ai assis mon cœur sur une femme telle que, si quelqu'un me disait : Je te fais empereur, pourvu que tu restes deux heures sans la voir je lui répondrais va te faire pendre (1)! » Ce n'est pas le sonnet d'Oronte, c'est la chanson de ma mie et du bon roi Henri. Cecco disait encore : « La détresse fut ma mère... le deuil fut mon père... la mélancolie fut ma nourrice... J'ai le cœur si triste de cent choses que cent fois par jour je pense mourir... L'enfer n'a pas de tourment qui vaille un des miens, fût-ce le moindre (2). » Et il en riait pourtant, d'un rire souvent amer, parfois aussi d'un pessimisme burlesque annonçant de loin les boutades de Scarron :

Si j'étais le vent, j'abattrais le monde ;
Je le brûlerais, si j'étais le feu;

Io ho in tal donna lo mio core assiso,

(1)

Che chi dicesse : Ti fo imperadore,
E sta che non la veggi per due ore,
S li direi va che tu sia ucciso.

(2)

La stremità mi richer per figliuolo
Ed io l'appello ben per madre mia
E ingenerato fui dal fitto duolo

E la mia balia fu melanconia.

Io ho si tristo il cor di cose cento
Che cento volte il dì penso morire.

Chè nello 'nferno non son cosi forti

Le pene e li tormenti e li sconforti

Com' un de' miei, qualunque è 'l minore.

Voir sur Angiolieri ALESSANDRO D'ANCONA, Studj di critica e di storia letteraria.

[blocks in formation]

Si j'étais Cecco (je le suis, ma foi),

J'aurais bientôt pris les belles pour moi,

Laissant de bon cœur les laides à d'autres (1).

V.

Mais Dante, qui reprochait à Cecco d'aimer une cordonnière, ne voulut pas être un poète de la rue : il cherchait la « langue aulique » et commença par suivre

(1) S'io fossi fuoco, arderei lo mondo,

S'io fossi vento, io 'l tempesterei,

S'io fossi acqua, io l'allagherei,
S'io fossi Iddio, lo mandere' 'n profondo.

S'io fossi papa, allor sare' giocondo

Che tutti li cristian tribolerei ;
S'io fossi Imperador, sai che farei?
A tutti mozzerei lo capo a tondo.

S'io fossi morte, io n' andre' da mio padre,
S'io fossi vita, non stare' con lui,
E similmente farei a mia madre.

S'io fossi Cecco, com' io sono e fui,
Torrei per me le giovani leggiadre;
Le brutt' e vecchie lascerei altrui.

Sordel. Un amour d'enfance lui fournit une dame et un sujet de cansos, de sonnets, de ballades; ses premiers vers furent d'un écolier et d'un provençal. Arrêtons-nous ici, nous abordons Béatrice. Sur l'amour du poète, nous avons deux documents, la Vita nuova (la Vie nouvelle) qu'il écrivit lui-même et publia sans doute avant l'an 1300 c'est un recueil de poésies lyriques enveloppées dans des commentaires en prose; l'autre document est la « Vie de Dante » par Boccace, rédigée, estime-t-on, en 1354 ou 1355. Il importe d'examiner avec soin ces deux récits; nous entrerons par là dans les mœurs et dans les sentiments du siècle.

Dante avait neuf ans et la dame de ses pensées en avait huit, quand elle lui apparut en robe rouge, vêtue comme un enfant. « En ce moment je dis avec véracité que l'esprit de la vie, qui réside au plus secret recoin du cœur, se mit à trembler si fort qu'il fit battre horriblement mes moindres veines (1)... Depuis lors je dis que l'amour se rendit maître de mon âme qui tout aussitôt lui fut fiancée, et il prit sur moi tant d'assurance et d'empire par la vertu que lui donnait mon imagination qu'il me fallut faire entièrement tous ses plaisirs. Il me commanda bien des fois de chercher à voir cet ange très jeune, si bien que dans mon enfance je la recherchai bien souvent, et je lui trouvais des manières si nobles et si louables qu'assurément on pouvait dire d'elle cette

(1) In quel punto dico veramente che lo spirito della vita, il quale dimora nella segretissima camera del cuore, cominciò a tremare sì fortemente che apparia ne' menomi polsi orribilmente, etc., etc. Inutile de donner ici tout le texte de la Vita nuova; il suffit d'en traduire quelques fragments mot à mot pour montrer la langue et l'esprit du poète amoureux et philosophe.

parole du poète Homère : « Elle ne semblait pas née d'homme mortel, mais de Dieu. »

Boccace est plus humain, plus précis, moins extatique : « C'était l'usage dans notre ville entre dames et cavaliers, quand revenait le doux printemps, de se livrer à des récréations dans les divers quartiers, en compagnies distinctes. Suivant cette coutume, il advint que Folco Portinari, homme en ce temps fort honorable entre les citoyens, avait rassemblé chez lui des voisins pour leur donner une fête. Parmi lesquels était Alighieri (l'ancien), et comme les petits enfants, surtout aux lieux où l'on s'amuse, accompagnent d'ordinaire leurs parents, Dante, à peine âgé de neuf ans, avait suivi son père, et se trouva mêlé à une bande assez nombreuse de garçons et de fillettes, dans la maison de l'amphitryon. Les premiers plats servis, il se mit à jouer de son mieux avec la troupe enfantine, parmi laquelle s'ébattait une fille de Folco dont le nom était Bice (diminutif de Béatrice, les Florentins ont toujours aimé les diminutifs). Elle avait peut-être huit ans ; le charme et la beauté de l'enfance, un air plaisant et de bonne maison, des manières et des paroles beaucoup plus sérieuses et modestes que son âge encore tendre ne l'exigeait; avec cela les traits délicats, d'une régularité parfaite et empreints d'une grâce si honnête, qu'elle passait pour un petit ange aux yeux de beaucoup de gens. Cette petite fille donc, telle que je la décris et peut-être beaucoup plus belle, apparut dans cette fête aux yeux de notre Dante, je ne crois pas avant ses autres compagnes, mais plus puissante qu'elles toutes à se faire aimer. Bien qu'il fût encore enfant, il en reçut l'image au cœur avec tant d'affection que, tant qu'il vécut, elle n'en fut jamais effacée. »

« ÖncekiDevam »