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Le marquis de Santillane a laissé encore un Centiloquio, recueil de cent proverbes rimés; il fit, de plus, un « Art poétique » et fut, deux siècles avant Boileau, le législateur du Parnasse; on venait le voir de loin ; il mourut en 1458. A cette époque appartient aussi Juan de Mena (14111446) qui, né plus bas que Villena et Santillane, parvint à monter très haut. Il était de Cordoue et avait fait de bonnes études à Salamanque et à Rome; quand il revint dans sa ville natale, il fut des « Vingt-quatre » notables qui la gouvernaient. Juan II le voulut pour historiographe et l'informa franchement des qualités nécessaires à l'emploi : « Le roi, lui fit-il dire, est aussi avide d'éloges que d'entreprises ardues (1). » Juan de Mena raconta les faits comme le roi voulait qu'ils se fussent passés. Il composa encore un poème sur les « Sept péchés mortels >> (Siete pecados mortales) et une Coronacion, voyage imaginaire au Parnasse pour assister au couronnement du marquis de Santillane. Son œuvre de résistance fut le « Labyrinthe (Laberinto), poème allégorique aussi embrouillé que son titre, et si bizarre que Dante y semble parodié plutôt qu'imité. En 1446, une chute de mule occit fort à propos l'auteur et l'empêcha de continuer son œuvre.

L'Espagne imitait donc l'Italie; quant à l'Angleterre, après avoir produit Chaucer, elle se recueillit, épuisée, pendant un siècle ou deux. On vivait alors sous les trois Henry (IV, V et VI, 1399-1461), règnes désastreux agités par des guerres injustes et des tumultes populaires. Le poète du temps fut John Lydgate, un moine de Bury, qui resta moine après avoir étudié à Padoue et à Paris. Il tâcha de suivre Chaucer et d'imiter Boccace: on lui at

(1) El rey es codicioso de loa, como de meterse en arduos feches.

tribue deux cent cinquante poèmes, littérature de fabrique bâclée pour gagner de l'argent. Plus sincère et mieux inspiré fut un prince écossais, Jacques Ier, le Charles d'Orléans de la poésie anglaise : tous deux de sang royal, tous deux prisonniers, tous deux amoureux, et dans la captivité chantant leur dame avec une grâce émue. Le poème de Jacques Ier, le « Livre du roi » (King's quair ou quire) de quatorze cents vers en septains, est une allégorie dans le goût du temps, mais plus vraie que les autres, plus tendre et plus triste; cette Jeanne Beaufort, que Jacques avait vue pour la première fois d'une fenêtre de sa prison, a bien réellement existé. Le King's quair est un livre où l'on aime. Cependant, toute cette poésie de chevaliers finissait ; le peuple commençait ou continuait à chanter son Robin. Hood, le bandit populaire, celui qui, pour fuir la prépotence des nobles, s'était mis hors la loi et sauvé dans la forêt où il vivait librement. Il ne tuait que les forestiers, les sherifs, les juges, au besoin le portier de la ville, avec une audace joviale et bien nourrie qui lui gagnait tous les cœurs; il prenait aux riches, pour donner aux pauvrės; même de nos jours, en temps ou en pays de misère, les esprits simples aiment cela. Aussi que de complaintes sur Robin Hood, que de ballades! Les complaintes ressemblaient à toutes les autres : « Écoutez-moi, braves gens, si vous êtes de sang libre, je parle d'un bon yeoman, dont le nom fit Robin Hood. Robin fut un preux bandit tant qu'il marcha sur la terre, un bandit aussi courtois nul ne l'a jamais trouvé (1). » Les ballades commençaient souLithe and lysten, gentylmen That be of free-bore blode :

(1)

T. I.

I shall you tell of a good yeman,
His name was Robyn hode.

14

vent par des gaietés champêtres, comme les vieilles chansons des troubadours : « Quand les champs sont beaux, quand les prés sont verts et que la feuillée est bien longue et large, il fait bon marcher à travers les bois, écoutant chanter les petits oiseaux (1). » Ces débuts ne promettant rien de bon, il y aura des coups d'épée ou des coups de trique. Tant mieux et vive la joie! Robin Hood qui tape si dru, boit si sec, a si bon cœur!·

A la même époque, en Allemagne, poussait la chanson bourgeoise que nous verrons bientôt dans sa fleur, mais le pays, ou plutôt la Bohême, qui s'y trouvait enclavée, avait autre chose à nous offrir que le Meistergesang: elle nous donna Jean Huss.

III.

Une belle figure, longtemps effacée et qu'on remet de nos jours en lumière (2); il est curieux de la regarder, en la replaçant à son jour et à sa date, en face des latinistes d'Italie qui ne surent voir dans le Tchèque réformé qu'un vieux Romain.

(1)

Robyn was a proude out-lawe
Whiles he walked on grounde,

So corteyse an outlawe as he was one

Was never none yfounde.

When shaws beene sheene, and shradds full fayre,

And leaves both large and longue,

It is merrye walking in the fayre forrest

To heare the small birdes songe.

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(2) ERNEST DENIS, Huss et la guerre des hussites, 1878. LOUIS LEGER, Jean Huss et les hussites d'après de nouveaux documents, 1879.

La Bohême était donc un pays slave enveloppé par les races allemandes : ce fut un grand malheur pour elle que ses voisines, la Saxe, la Prusse, naguère peuplées de Slaves, eussent été germanisées si rapidement. La Bohême n'en résista pas moins à l'étreinte : quand elle fut assujettie à l'Église latine, elle garda tant qu'elle put l'ancienne liturgie écrite dans l'idiome qu'elle comprenait. Au milieu du quatorzième siècle, l'empereur Charles IV, un des meilleurs rois de Bohême, établit dans la capitale du royaume un monastère slave, celui d'Emmaüs, qui subsista un siècle et demi. C'est de là que sortit un manuscrit fameux, le << Texte du Sacre » sur lequel les rois de France ont prêté serment jusqu'à la révolution. Ce manuscrit avait été transporté à Constantinople et vendu au cardinal de Lorraine qui le donna en 1574 à la cathédrale de Reims. Comme il n'y avait alors personne en France qui le pût déchiffrer, on le prit pour un évangile syriaque ayant appartenu à saint Jérôme et on le révéra comme une relique sacrée qui figurait avec la sainte ampoule au sacre de nos souverains. En réalité, c'était un évangile slavon écrit en 1395; les rois très chrétiens juraient sur un livre schisma

tique.

Il y avait donc chez les Tchèques une certaine aversion contre l'Église romaine, parce qu'elle leur avait été imposée par les Allemands. Allemands étaient les prêtres qui déshonoraient la soutane on les haïssait non seulement parce qu'ils étaient corrompus, mais surtout parce qu'ils étaient étrangers. Tous les fléaux venaient d'Allemagne : invasions violentes, immigrations plus redoutables encore; les Tchèques finirent par se trouver « isolés dans leur propre pays ». A l'université de Prague, l'étranger était le maître; dans l'église il prenait tout. « Les Allemands font

d'abord les humbles, mais dès qu'ils se multiplient, ils se soucient peu du pays qui leur donne l'hospitalité, ils cherchent un prince de leur patrie. Si j'apprenais même d'un oiseau que vous vous attachez aux Allemands, je vous ferais mettre dans un sac de cuir et jeter dans la Moldau. J'aimerais mieux avoir à vous pleurer que de pleurer la honte de ma langue. » Qui dit cela? Une chronique rimée antérieure d'un siècle à Jean Huss.

Il y eut donc dans l'insurrection religieuse des Tchèques un grand mouvement patriotique; il s'agissait pour eux non seulement de réformer l'Église, mais d'y rétablir la vieille langue et d'y replanter l'ancien drapeau. Nous voyons ici une nation qui « cherche à se retrouver ellemême ». L'Anglais Wiclef n'y était pour rien; quand ses livres arrivèrent dans le pays, ils tombèrent dans des sillons ouverts. Chose étrange pourtant, le premier réformateur ne fut pas un Tchèque; ce fut un moine autrichien, Conrad Waldhauser, qui, appelé à Prague par Charles IV, bâtonna rudement les ordres religieux. Il souleva contre lui des colères qui ne purent le renverser ni même l'ébranler, et mourut tranquillement en 1369 curé d'une des meilleures paroisses de Prague. En même temps, le Morave Milicz, qui prêchait trois fois par jour, soulevait les masses et annonçait la fin du monde, laquelle devait arriver, selon ses calculs, entre les années 1365 et 1367. Il voyait partout l'Antechrist et ne se gênait pas pour dire où il le voyait un jour qu'il prêchait devant Charles IV, il s'écria tout à coup en montrant du doigt l'empereur : « Voilà l'Antechrist! » Il ne craignit pas d'aller prêcher ces choses à Rome. Cependant il ne fut ni pendu ni brûlé : c'était d'ailleurs un homme de foi et un homme de bien qui édifiait les gens par la parole autant que par l'exemple. Un

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