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«Comme elle pleure! ceux qui la voient en cet état devraient mourir de pitié. » Dante écrivit des vers sur cette mort, puis tomba malade et devint si faible qu'il ne pouvait plus remuer. Au neuvième jour, éprouvant une douleur insupportable et pensant à sa dame, il fit de tristes réflexions sur l'instabilité de la vie humaine et se dit en soupirant: « Il faudra donc que la très noble Béatrice meure un jour. » A ce moment il ferma les yeux et se sentit surexcité comme un frénétique. Dans son délire, il voyait courir des femmes aux cheveux épars qui lui criaient : « Tu mourras. » D'autres, au visage horrible : « Tu es mort. » Des figures effarées passaient en gémissant, le soleil s'était obscurci, lés oiseaux tombaient, les étoiles livides semblaient pleurer les morts, la terre avait des tressaillements furieux et, dans ce tumulte, une âme vint dire à Dante : « Ta dame est morte. » Alors le poète fondit en vraies larmes; puis levant les yeux, il vit une nuée d'anges qui montait au ciel en chantant: Hosanna in excelsis. Alors il se dit : << Cela est certain, ma dame est morte, » et il la vit morte en effet; des femmes lui couvraient la tête d'un voile blanc. Elle était si calme qu'elle semblait dire : « Je vois le commencement de la paix. » Dante aussi désirait la mort et l'appelait de toute son âme; enfin il fut réveillé par des femmes qui étaient dans sa chambre, au moment où il s'écriait : « Sois bénie, Béatrice! » mais des sanglots l'étouffaient, et nul n'entendit ce nom qu'il laissait échapper pour la première fois. Les femmes qui le veillaient causaient entre elles en chuchotant : « Il paraît mort. » Alors, il reprit ses sens et raconta son rêve, mais discrètement comme toujours, sans nommer Béatrice. Et son exaltation montait de jour en jour; il était heureux de louer sa dame, heureux de l'entendre louer, heureux de recueillir dans la

rue les paroles d'admiration qui, lorsqu'elle avait passé, bourdonnaient derrière elle : « Cette femme est une merveille; que le Seigneur qui a fait une si belle œuvre, soit béni!» Et il chantait de sa voix la plus tendre :

<< Elle a tant de noblesse et de décence, ma dame quand son front penché salue, que toute langue en est muette et tremble et que les yeux n'osent la regarder.

« Elle s'en va, quand tout haut on la vante, bénignement d'humilité vêtuc, et paraît être ici-bas descendue pour nous montrer un miracle du ciel.

«Plaisante à qui la regarde, elle donne à l'âme par les yeux une douceur que nul, sans la sentir, ne peut comprendre.

« Et de sa lèvre on dirait qu'il s'échappe comme un esprit suave et plein d'amour qui parle au cœur en lui disant Soupire! » (1).

Dante écrivit encore un sonnet où il montra Béatrice au milieu des autres femmes et répandant sur elles quelque

(1)

Tanto gentile e tanto onesta pare

La donna mia quand' ella altrui saluta,
Che ogni lingua divien tremando muta

E gli occhi non l'ardiscon di guardare.

Ella sen va sentendosi lodare
Benignamente d' umiltà vestuta ;
E par che sia una cosa venuta
Di cielo in terra a miracol mostrare.

Mostrasi si piacente a chi la mira
Che dà per gli occhi una dolcezza al core
Che intender non la può chi non la prova.

E par che della sua labbia si mova
Un spirito soave e pien d'amore
Che va dicendo all' anima: Sospira.

chose de sa grâce et de sa beauté. Puis il commença une canzone où il voulait exprimer la pieuse impression qu'elle produisait sur lui-même, et s'interrompit tout à coup pour jeter sur le papier ce mot douloureux de Jérémie : Quomodo sedet sola civitas plena populo! Facta est quasi vidua domina gentium. La plume lui tomba des mains, sa dame venait de mourir. « Il advint, raconte Boccace, que la très belle Béatrice étant à la fin de sa vingt-quatrième année, il plut à Celui qui peut tout de l'enlever aux temporelles angoisses pour l'appeler à sa gloire éternelle. Notre Dante supporta si impatiemment ce départ, que le plus grand nombre de ses amis pensèrent que ses soupirs et ses gémissements ne finiraient qu'avec sa vie. Long et abondant fut son pleur et, pendant longtemps, il tint ses oreilles fermées à toute consolation. >>

Il n'en est pas moins vrai que Dante, en sa Vita nuova, fait à ce propos un calcul qui étonne : il note que sa dame est décédée le neuvième jour du mois, le neuvième mois de l'année; que ce nombre 9 « l'accompagnait toujours très affectueusement », parce qu'il y a neuf cieux mobiles, et que le nombre 3, celui de la Trinité, multiplié par lui-même, produit 9: donc Béatrice « était un 9, c'està-dire un miracle dont la racine était l'admirable Trinité ». Tout cela est dans le goût du temps, ainsi que la lettre que Dante aurait écrite, pour leur annoncer la mort de sa dame, à tous les rois de la terre. Cependant il composa une canzone pleine de notes émues que ne pouvait inspirer une abstraction ou une illusion :

«Elle s'en est allée, Béatrice, dans le haut ciel, dans le royaume où les anges trouvent la paix; elle est avec eux et vous, femmes, elle vous a quittées... Et bien des fois, pensant à la mort, il m'en vient un désir si doux que mon

:

visage change de couleur... la honte m'éloigne de la foule; puis, pleurant seul, j'appelle Béatrice et je lui dis Tu es donc morte? Et, pendant que je l'appelle, je me sens conforté (1)...

«Toutes les fois, hélas, qu'il me souvient que je ne dois jamais revoir la dame dont je porte le deuil, ma pensée douloureuse amasse autour de mon cœur tant de chagrins, que je dis : Mon âme, que ne t'en vas-tu ? car les tourments que tu subiras dans ce bas monde qui déjà te cause tant d'ennui me rendent tout pensif de frayeur. Aussi j'appelle la mort comme un suave et doux repos, et je lui dis : Viens à moi, avec tant d'amour que je suis jaloux de tous ceux qui meurent (2)... »

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Et, pensant toujours à elle, il dessinait des anges sur ses tablettes. « Cependant, écrit Boccace, l'acerbité de sa douleur étant mûrie par le temps, et la passion ayant fini par laisser un peu de place à la raison, il parvint à pouvoir se rappeler, sans verser de larmes, que sa dame était morte et conséquemment à écouter les gens qui le consolaient. >> Ces distractions sont avouées par Dante en sa Vita nuova. Deux ans et demi après la mort de sa dame qui avait passé à meilleure vie le 9 juin 1290 (on a la date exacte), le poète, accablé par ses souvenirs, leva un jour la tête pour s'assurer qu'on ne le voyait pas, et aperçut à la fenêtre une jeune gentille dame qui le regardait avec tant de compassion, « qu'il semblait que la pitié tout entière habitât en elle ». Comme il arrive aux malheureux d'être prompts à pleurer quand on s'intéresse à eux, il sentit que ses yeux « voulaient se mouiller de larmes », mais, honteux de laisser voir son triste état, il se déroba en disant : « Il est impossible qu'avec cette dame compatissante le plus noble amour ne puisse pas exister. » Sur quoi il fit un sonnet pour elle, il en fit même deux et se laissa osciller quelque temps entre le regret et la consolation, entre Béatrice et la donna pietosa, la dame compatissante. Il l'avoue luimême à force de regarder celle-ci, il s'aperçut que ses yeux « prenaient trop de plaisir à la voir ». Il en eut du chagrin, condamna sa faiblesse et maudit la vanité de ses yeux qui se laissaient égarer; il n'en pensait pas moins à cette tendre pitié qui le regardait d'une fenêtre. « Elle est noble, se disait-il, elle est belle, jeune et sage et elle m'est

:

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