Sayfadaki görseller
PDF
ePub

CHAPITRE V.

ÉRASME.

I. Les lettres et les arts en 1500.
II. La vie d'Érasme.

III. Les œuvres d'Érasme.

IV. Érasme et Jules-César Scaliger.

V. Érasme et Reuchlin.

VI. Érasme et Ulrich de Hutten.
VII. Érasme et Luther.

I.

Nous voici à l'an 1500; cette fois la fin du siècle est bien, dans l'histoire littéraire, un point d'arrêt. Christophe Colomb avait découvert l'Amérique en 1492; en cette année même, Laurent de Médicis et Caxton étaient morts; de 1492 à 1500 moururent Boiardo, Politien, Pic de la Mirandole, Macias l'Amoureux, Pomponius Lætus, Savonarole, Marsile Ficin, Villon, tous ceux qui avaient fait parler d'eux depuis une vingtaine d'années; Christophe Colomb lui-même, qui nous appartient un peu puisqu'il écrivit ses Voyages, ne vivra que jusqu'en 1506. Quant aux autres, ceux qui devaient briller dans le premier tiers du seizième siècle, c'étaient des nouveau-venus. En 1500, Machiavel, âgé déjà de trente et un ans, et secrétaire des

Dix, n'avait encore donné que son « Discours sur les affaires de Pise ». L'Arioste, à peine connu par des vers latins et des ébauches de comédies, nous devait encore son « Roland furieux; » Michel-Ange en était à la Pietà de Saint-Pierre de Rome; la chapelle Sixtine, la chapelle de Saint-Laurent, Saint-Pierre aux liens ne le connaissaient pas. Léon X avait vingt-cinq ans, Titien vingttrois, Guichardin dix-huit, Raphaël dix-sept; le Corrège n'avait que six ans, Benvenuto Cellini venait de naître, le Tintoret et Paul Véronèse n'étaient pas encore nés. Tous ces hommes appartiennent au seizième siècle : ils seront l'Italie prochaine, la Renaissance accomplie, épanouie, en pleine sève et en pleine fleur.

Mais désormais l'Italie ne sera pas seule. Le nord a déjà son artiste, Albert Durer; son savant, Copernic; ceux qui doivent déplacer la science, émanciper la foi, les réformateurs, sont en train de préparer leurs armes. En 1500, Zwingle a seize ans, Luther en a dix-sept : il est venu au monde en 1483, année heureuse qui vit naître aussi Raphaël et peut-être Rabelais; l'Italien, l'Allemand, le Français par excellence entrent de front dans l'arène et là bas, en Espagne, en 1491, un enfant est né qui, les combattant tous les trois, comprimera longtemps la liberté de l'art, de la croyance et de la pensée : Ignace de Loyola.

Au commencement du seizième siècle, l'homme le plus en vue, dans le monde des lettrés, est un humaniste, un latin du nord, Érasme de Rotterdam: il garda pendant trente ans et plus la grande situation qu'avait eue Pétrarque. L'Allemagne, l'Angleterre, la France et l'Italie le saluèrent comme « le maître de ceux qui savent ; » il fut en rapport avec toutes les autorités spirituelles et tou

tes les puissances temporelles de son temps. En le suivant dans ses voyages, dans ses études et dans ses travaux, on assiste à toute l'activité littéraire de cette époque de transition et l'on marche avec lui, un peu malgré lui, de la Renaissance à la Réforme.

II.

Érasme naquit à Rotterdam, le 28 octobre 1467, fils naturel d'un bourgeois de Gouda, nommé Gérard, et de la fille d'un médecin, nommée Marguerite. Gérard s'était sauvé à Rome où il exerçait pour vivre le métier de copiste; le bruit courut que Marguerite était morte; dans son désespoir, il se fit moine et, quand on l'eut détrompé, ne jeta pas le froc aux orties, mais revint en Hollande et s'occupa de l'enfant qu'il éleva de son mieux. C'était un brave homme et de joyeuse humeur; on l'appelait «<le loustic (1) ». Il mit son fils à l'école à Gouda, chez un certain Pierre Winkel qui tint le petit Gérard pour un sot et qui devait l'être lui-même. Fut-ce dès lors que l'humaniste latinisa son nom en Desiderius pour le traduire ensuite en grec et se baptiser Érasme? Ce n'est pas probable, mais on ne saurait le nommer autrement. Érasme donc, âgé de neuf ans, fut conduit par sa mère à l'école de Deventer que dirigeait alors une confrérie religieuse non soumise à des vœux, opposée à la routine scolastique; un bon élève de Rodolphe Agricola, Alexandre Hegius, y enseignait les humanités. Cet Agricola fut le premier qui importa l'érudition italienne en Allemagne : il avait

(1) HENRY HART MILMAN. Life of Erasmus, 1859.

et en tous autres, princes que j'ai connu ou servy (sic), ai connu du bien et du mal: car ils sont hommes comme nous. A Dieu seul appartient la perfection. »

En même temps, au théâtre, nous brisions le vieux moule des mystères, des moralités, des soties, et avant 1470 nous entendions déjà la farce de Maître Pierre Pathelin, c'est-à-dire la comédie moderne. Enfin la poésie s'est dégagée des allégories et des miévreries; nous avons quelqu'un qui fraie sa voie, marche à son pas, chante à sa guise, rit de gaîté, crie quand il souffre, nous montre à nu son propre cœur, un cœur qui bat allègrement, ou tressaille et saigne pauvre Villon! Il s'attendait à être pendu, lui et ses compagnons, et chantait la potence « en forme de ballade >> :

Frères humains qui après hous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car si pitié de nous pouvres avez,
Dieu en aura plutôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés cinq, six :
Quand de la chair que trop avons nourrie,
Elle est pieça (1) dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.

De notre mal personne ne s'en rie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se vous clamons, frères, pas n'en devez

Avoir dédain, quoique fûmes occis

Par justice. Toutefois vous sa vez

Que tous les hommes n'ont pas bon sens assis,
Intercédez doncque, de cœurs rassis,
Envers le Fils de la Vierge Marie,

Que sa grâce pour nous ne soit tarie,
Nous préservant de l'éternelle foudre.

(1) Depuis longtemps.

Nous sommes morts, âme ne nous harie (1);

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués (2) et lavės,

Et le soleil desséchés et noircis ;

Pies, corbeaux nous ont les yeux cavės (3),

Et arrachés la barbe et les sourcils.

Jamais, nul temps nous ne sommes rassis,

Puis çà, puis là, comme le vent varie,

A son plaisir sans cesser nous charrie,

Plus béquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

ENVOI.

Prince Jésus qui sur tous seigneurie,

Garde qu'enfer n'ait sur nous la maistrie (4),

A lui n'ayons que faire ne que souldre (5).
Hommes, ici n'usez de moquerie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Cependant l'Espagne avançait lentement, attendait Charles-Quint, préparait son théâtre, commençait déjà la « Célestine, » un drame en vingt et un actes que nous verrons plus tard. L'Angleterre, dans cette seconde moitié du siècle, demeura plus inféconde encore que dans la première Caxton imprima des livres et ce fut tout. Il n'y eut de poètes qu'en Écosse Henri le ménestrel, l'aveugle Henri (Blind Harry), comme on l'appelait, rima douze mille vers décasyllabiques sur William Wallace, poème un peu abrupte, mais vigoureux; Robert Henry

:

(1) Tracasse. (2) Lessivés. (3) Creusés.

(4) Domination.

(5) Résoudre.

« ÖncekiDevam »