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sa cour à Bruxelles; d'autre part Léon X, le pape lettré, venait d'être élevé au saint-siège : il y avait quelque chose à espérer de là. Mais il était écrit qu'Érasme ne se fixerait nulle part: il avait besoin de voyager pour ses travaux, de butiner dans toutes les bibliothèques ; sans foyer d'ailleurs, sans patrie, il n'était chez lui nulle part, pas même à Rotterdam où il ne demeura qu'en effigie après sa mort. Son plus long séjour fut à Bâle où le retint son ami l'imprimeur Froben: encore eut-il à quitter cette ville en 1529 et il y revint mourir en 1536; c'est là qu'on montre encore ses reliques : un anneau, un poinçon, une épée, un cachet, portant sa devise: nemini cedo, son testament autographe et son portrait peint par Holbein. De Bâle il rayonnait partout; ses écrits se répandaient dans toute l'Europe savante. Chose inexplicable: il n'écrivit qu'en latin, ne voulant savoir aucune langue moderne, et ses « Colloques, » son « Éloge de la Folie » étaient dans toutes les mains, même dans celles des rois. Charles-Quint le fit son conseiller et lui donna une pension de deux cents florins; François Ier voulut lui confier la direction du collège de France. Ces deux souverains ne se disputaient pas seulement l'Italie et l'Empire, ils se disputaient encore le prince des érudits; Charles-Quint l'emporta, mais Érasme osa plaider pour le vaincu après Pavie. Henry VIII envia toujours à l'empereur l'illustre protégé qu'il s'était laissé prendre ; d'autres souverains, Ferdinand de Hongrie, Sigismond de Pologne, firent de longs efforts pour attirer à leur cour l'incorrigible vagabond qui leur répondait avec un air de modestie: « Les gens de lettres sont comme les grands personnages des tapisseries de Flandres : ils ne font leur effet que vus de loin. » Après Jules II, Léon X

tâcha de s'attacher Érasme, accepta la dédicace du « Nouveau-Testament » qui paraissait pour la première fois en grec et qui n'était pas tout à fait conforme à la version consacrée; il ne craignit même pas de lire le fameux traité Moria encomium où la papauté n'était guère ménagée et se contenta de dire en le lisant : « Je crois qu'Érasme a aussi son grain de folie. » Adrien VI ne fut pas moins bienveillant envers l'humaniste émancipé qui avait été son élève en théologie: il voulut lui donner une chaire à Louvain et tâcha de l'installer à Rome, comptant sur lui pour la campagne contre les luthériens. Paul III, qui voulut le faire cardinal et lui donna la prévôté de Deventer, lui écrivit de sa main pontificale pour l'exhorter à défendre la religion : « Ce dernier acte pieux terminera dignement une vie passée dans la piété, confondra tes calomniateurs et justifiera tes apologistes. » Enfin, quand Érasme fut mort, on lui éleva un monument d'oraisons funèbres et d'épitaphes retentissantes:

Theutona terra suum cum miraretur Erasmum,
Hoc majus, potuit dicere, nil genui.

III.

Honneurs mérités par de vrais services littéraires : traductions d'Euripide, de Lucien, de Plutarque; éditions de Sénèque le philosophe, de Suétone, de Quinte-Curce, d'une partie de Cicéron, du grand ouvrage de Pline, puis de Tite-Live, de Térence (avec le commentaire de Donat), d'Aristote et de Démosthènes, le tout accompagné de tables, de lexiques et d'annotations; manuels et grammai

res pour les écoles: il y a là un travail qui fait peur. Érasme fut le plus prodigieux ouvrier de la renaissance classique en deçà des Alpes. Il avait non seulement l'érudition, mais la critique; il faut l'entendre persiffler les Italiens poussant jusqu'à la démence le culte de Cicéron. Toujours lui, lui partout: on ne lit que Cicéron, on n'a que son buste dans les bibliothèques, son image gravée sur les cachets, on possède trois ou quatre gros tomes, dont chacun fatiguerait deux portefaix, et dans lesquels sont consignés tous les mots de Cicéron, tous les sens de chaque mot, tous les accents, toutes les quantités qui battent la mesure et règlent la cadence de ses phrases. Sur quoi le critique ajoutait sans rire : « La perfection du latin consiste à parler comme Cicéron parlerait aujourd'hui ». Il y avait assurément beaucoup à dire contre l'élégante pédanterie de certains humanistes; l'auteur du Dialogus ciceronianus entendit à Rome un sermon latin où le Christ était comparé à tous les héros antiques, mais sans être nommé une seule fois, parce que son nom ne se trouvait pas dans les bons livres païens. On eût pu toutefois répondre à Érasme que Cicéron, s'il eût vécu vers 1520, aurait parlé français en France comme allait faire Rabelais ou italien en Italie comme faisait déjà Machiavel. C'était une singulière prétention que de forcer une langue morte à exprimer des idées vivantes. Érasme y réussit pourtant dans ses Adagia.

C'est un énorme recueil de dictons empruntés aux Latins, aux Grecs, aux Hébreux, groupés et rangés par ordre alphabétique, accompagnés de commentaires et de dissertations: la première édition, qui est de l'an 1500, montre déjà une érudition considérable. Les commentaires sont d'un esprit libre qui mord sans pitié les vices et

les sottises du temps. Ce recueil annonce l'« Éloge de la Folie, Moria encomium, dédié à Thomas More, dont le nom ressemblait à Moria (« Folie » en grec), bien que More fût le moins fou des hommes (1). Terrible petit livre qui vit encore, un peu grâce aux illustrations de Holbein, et qui dut faire un singulier effet au commencement du seizième siècle : toute la société y passait, comme sur le « Vaisseau des fous » de Sébastien Brant. Seulement ici la satire tombe de plus haut, c'est la Folie elle-même qui parle en bon latin et fait sonner son grelot avec une franchise superbe : « Bien qu'on parle partout de moi et que mon nom sonne mal même aux oreilles des plus fous, c'est moi, je vous le dis, c'est moi seule qui réjouis les hommes et les dieux (2). » Et le défilé des sots commence : « Ah! si vous pouviez une fois observer de la lune, comme fit autrefois Ménippe, les innombrables tumultes des mortels, vous croiriez voir un tourbillon de mouches et de moucherons qui se gourment, se battent, se tendent des pièges, se volent, s'amusent, font l'amour, naissent, déclinent, meurent. Et on ne peut croire quelles agitations, quelles tragédies remue un si mince animalcule, si vite écrasé. Quelquefois en effet un orage léger de guerre ou de peste en enlève ou en dissipe plusieurs milliers à la fois. Mais moi-même je serais ar

(1) Quæ Pallas istuc tibi misit in mentem? inquies. Primum admonuit me Mori cognomen tibi gentile, quod tam ad Moriæ vocabulum accedit, quam es ipse a re alienus. Es autem vel omnium suffragiis alienissimus (Erasmus Roterodamus Thomæ Moro suo).

(2) Stultitia loquitur. Utcumque de me vulgo mortales loquuntur, neque sum nescia, quam malè audiat stultitia etiam apud stultissimos, tamen hanc esse, hanc inquam esse unam quæ meo numine deos atque homines exhilaro.

chifolle et je mériterais que Démocrate fît sur moi des gorges chaudes si je voulais enumérer toutes les formes de folie et d'insanité (1). » Il faut donc choisir : voici le grammairien par exemple (2) : Quoi de plus misérable,

(1) In summa si mortalium innumerabiles tumultus e luna, quemadmodum Menippus, conspicias, putes te muscarum aut culicum videre turbas inter se rixantium, bellantium, insidiantium, rapientium, ludentium, lasciventium, nascentium, cadentium, morientium. Neque satis credi potest, quos motus, quas tragoedias ciat tantulum animalculum, tamque mox periturum. Nam aliquoties vel levis belli, seu pestilentiæ procella multa simul millia rapit ac dissipat. Sed ipsa stultissima sim planèque digna quam multis cachinnis rideat Democritus si pergam popularium stultitiarum et insaniarum formas

enumerare.

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(2) inter quos grammatici primas tenent, genus hominum profecto, quo nihil calamitosius, nihil afflictius, nihil æque diis invisum foret nisi ego miserrimæ professionis incommoda dulci quodam insaniæ genere mitigarem... Qui semper famelici, sordidique in ludis illis suis, in ludis dixi, imo in... pistrinis potius at carnificinis inter puerorum greges, consenescant laboribus, obsurdescant clamoribus, fætore pædoreque contabescant, tamen meo beneficio fit, ut sibi primi mortalium esse videantur. Adeo sibi placent, dum pavidam turbam minaci vultu voceque territant, dum ferulis, virgis, lorisque conscindunt miseros, dumque modis omnibus suo arbitratu sæviunt, asinum illum cumanum imitantes. Interdum sordes illæ, meræ munditiæ videntur, pædor amaricinum olet, miserrima illa servitus regnum esse putant, adeò ut tyrannidem suam nolint cum Phalaridis aut Dyonisii imperio mutare. Sed longè etiam feliciores sunt, nova quadam doctrinæ persuasione. Si quidem cum mera deliramenta pueris inculcent, tamen, dii boni, quem non illi Palæmonem, quem non Donatum pro sese contemnunt! Idque nescio quibus præstigiis mire efficiunt, ut stultis materculis et idiotis patribus tales videantur, quales ipsi se faciunt. Jam adde et hoc voluptatis genus, quoties istorum aliquis Anchise matrem aut voculam vulgo incognitam in putri quapiam charta deprehenderit, puta bubsequam, bovinatorem, aut manticulatorem, aut si quis vetusti saxi fragmentum, mutilis notatum litteris, alicubi effoderit: ò Jupiter,

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