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de plus affligeant et affligé, de plus mal vu des dieux, que cette race de pauvres diables, si moi, la Folie, je ne mettais un genre particulier de sottise parmi les misères de cette profession. Toujours faméliques et sordides, dans ces galères où ils massacrent les enfants, ils vieillissent à la peine, sont assourdis par le vacarme, dépérissent dans la puanteur et dans la saleté. Et pourtant, qui le croirait? Grâce à moi, la Folie, ils se croient les premiers hommes du monde. Il faut les entendre terrifier leurs sujets avec des éclats de voix; il faut les voir armés de fouets, de verges et de lanières de cuir, bourreler leurs victimes ils ressemblent à l'âne revêtu de la peau du lion. — Vous vous souvenez de maître Winkel et du collège Montaigu, mon pauvre Érasme! Et cependant les grammairiens se plaisent dans cette « pouillerie, »> ils la trouvent propre et elle sent bon; ils n'échangeraient pas leur tyrannie contre celle de Denys et de Phalaris. Ce qui les rend heureux surtout, c'est la haute idée qu'ils ont de leur science. Dieux bons! bien qu'ils n'enseignent que des insignifiances et des bagatelles, ils se croient fort au dessus des Palémon et des Donat. Comment parviennent-ils à en imposer à l'idiotisme des mamans et des pères? Ce n'est pas tout, s'ils viennent à découvrir, sur quelque vieux chiffon tout rongé des vers, le nom de la mère d'Anchise ou quelque vocable inusité comme bubsequam ou bovinatorem ou manticulam, ou s'ils ont la chance d'exhumer quelque fragment de pierre antique avec des lettres tronquées par dessus, « ô Jupiter, quels bondissements, quels triomphes! Ils auraient subjugué l'Afrique

quæ tum exultatio, qui triumphi, quæ encomia, perinde quasi vel Africam devicerint, vel Babylonas ceperint! etc.

ou conquis Babylone, qu'ils n'en seraient pas plus fiers! >> Voilà un morceau qui peut servir encore. D'autres sur les rois, les moines, les papes ont vieilli depuis lors, on les a éperdument répétés. Erasme avait trop souffert dans les couvents pour en penser trop de bien; même en parlant sérieux il attaquait la vie monastique. Aux moines de Stein qui voulurent le ramener auprès d'eux, lorsqu'il fut devenu célèbre, il répondait gravement : « Quoi de plus corrompu et de plus pernicieux que ces religions relâchées? Considérez seulement celles qu'on estime le plus, vous n'y verrez rien qui ressemble moins à l'esprit chrétien: c'est quelque chose de froid, ce ne sont qu'observances judaïques. Voilà sur quoi s'évaluent les ordres religieux, sur quoi ils jugent les autres et les méprisent. Ne vaudrait-il pas mieux, selon les doctrines de notre Sauveur, regarder toute la chrétienté comme une seule maison, une seule famille, un seul monastère, et tous les chrétiens comme une seule confrérie de croyants? » C'étaient des paroles déjà bien audacieuses. Cependant Erasme ne connut pas la persécution, désarma aisément ses premiers adversaires et put assister impunément au succès de l'« Éloge de la Folie » qui eut vingt-sept éditions de son vivant. Le critique ne se contenta pas de railler toutes les sottises et toutes les superstitions, comme il fit aussi dans ses « Colloques; » il publia encore le Nouveau Testament en grec et l'enrichit de notes et de paraphrases: il voulait que ce livre fût traduit dans toutes les langues << pour être compris même des Turcs et des Sarrasins. » Il imprima de plus, dans des in-folio couverts jusqu'aux marges et flanqués (Hilaire entr'autres) de préfaces qui firent du bruit, quantité de Pères de l'Église. En même temps il donnait des conseils de sagesse et de vertu

qu'on cite encore: il écrivait par exemple à un homme marié qui voulait se faire franciscain : « Quoi! tu envies une règle imposée par un simple mortel, toi qui as fait profession de la règle évangélique? Tu désires un homme pour patron, toi qui as pour patron Jésus-Christ? Quand tu t'es marié ne t'es-tu donc attaché à rien? Considère ce que tu dois à ta femme, à tes enfants, à ta famille, et tu te sentiras une charge plus lourde que si tu avais accepté la règle de Saint-François (1). » Voici encore une leçon qui peut servir: Erasme contestait la valeur des legs faits aux pauvres, estimant que l'offrande serait plus agréable à Jésus-Christ si on la faisait de son vivant. Ce qu'on offre en mourant n'arrive pas toujours à son adresse, « et même si cela parvient où tu veux, c'est le bien d'un autre qui est donné, ce n'est plus le tien (2). » Les passages pareils surabondent même dans ses Satires. Il était trop beau diseur pour traiter les sujets religieux, surtout en vers, avec la candeur, l'onction voulue, mais rien ne permet de croire qu'il ait jamais cessé d'être un croyant convaincu. Pétrarque avait osé attaquer l'ignorance même dévote; Erasme soutint qu'il ne comprenait pas « les lettres séparées du Christ (3). » Les deux opinions ne se contredisent pas, mais les deux humanistes différaient d'intention; celui de Rotterdam voulait retenir les lettres dans la foi, celui d'Arezzo voulait ramener Boccace aux lettres. L'auteur des « Collo

(1) Et humanam regulam desideras, qui regulam evangelicam professus sis? Desideras hominem patronum, qui patronum habeas Jesum Christum? Quum duceres uxorem, nihil professus es? Cogita quid debeas conjugi! quid liberis ! quid familiæ ! et senties te plus habere sarcinæ, quam si Francisci regulam professus esses (Colloquia).

(2)... et si perveniat, jam alienum est non tuum, quod impenditur. (3) Nam litteras alienas a Christo qui appellet litteras ?

ques», malgré ses libertés de langage et son penchant à la raillerie, était donc un homme tranquille et bien pensant, trop avisé pour tomber dans l'irréligion, trop latin pour donner dans la réforme; esprit d'ailleurs très ouvert, bien libéral, aimant ses coudées franches, mais aimant surtout la paix nécessaire à ceux qui lisent beaucoup. Il eut pourtant des ennemis, et dans tous les camps; l'un des plus acharnés fut Scaliger qui mérite une halte.

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IV.

Ce Scaliger est une des curieuses figures du temps. Écoutez-le voici son histoire. Il descendait des Scaliger de Vérone; son père était Benoît de la Scala, l'un des plus vaillants capitaines du quinzième siècle, mais qui eut le malheur de n'être cité par aucun historien. Sa mère, Bérénice, était la fille du comte Paris Lodronio. Lui-même, Jules-César (car il avait ajouté le nom de César à son prénom Jules) était né en 1484 au château de Riva, sur le lac de Garde. Les Vénitiens vinrent l'y chercher, car ils poursuivaient tout ce qui restait des anciens seigneurs de Vérone. Soustrait par sa mère aux perquisitions des Vénitiens, Jules-César eut pour précepteur le frère Giocondo, bien connu comme antiquaire et aussi comme architecte c'est lui qui recueillit deux mille inscriptions, trouva un manuscrit de Pline le Jeune, fit des ponts, des canaux, des travaux pour Saint-Pierre de Rome et peutêtre aussi la façade orientale du château de Blois. Après ses études, Jules-César Scaliger fut présenté à l'empereur Maximilien qui le voulut pour page et lui apprit noblement ce qu'on appelait alors « les exercices chevaleresques, >>

T. I..

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après quoi le jeune homme se couvrit de gloire à la guerre où son père et son frère aîné tombèrent morts à ses pieds; il les fit enterrer avec pompe à Ferrare où le duc, son parent, lui servit une pension digne de tous deux; mais Scaliger se fit cordelier pour devenir pape et reconquérir sur les Vénitiens sa seigneurie de Vérone. Le cloître l'ennuyant bientôt, il reprit les armes et servit la France dans la guerre de Piémont; tout en multipliant ses hauts faits, il étudiait les langues, la philosophie et la médecine. Enfin il avait dû céder aux supplications de l'évêque Antoine de la Rovère qui l'emmena dans sa bonne ville d'Agen. Il y vivait depuis lors bien tranquillement, mais il espérait bien reprendre Vérone.

Telle était l'histoire que racontait volontiers Jules-César Scaliger et que ses biographes ont recueillie avec soin. Il y avait là quelques inexactitudes : Jules était bien fils de Benoît, mais de Benoît Bordoni, peintre et géographe; il était né à Padoue (d'autres disent à Vérone, d'autres à Venise) et n'avait pas étudié sous le frère Giocondo. Son maître fut Cælius Rhodigianus de Padoue. Après ses humanités, il voyagea dans l'Italie du nord, devint amoureux d'une belle dame qu'il chanta en vers, étudia les sciences et la médecine et se rendit bien effectivement ensuite avec l'évêque Antoine de la Rovère dans la bonne ville d'Agen où il demeura longtemps, retenu par une nouvelle inclination. En même temps (1528) il se fit naturaliser français sous le nom de Jules-César de Lescalle de Bordonis ; à cette date, il ne descendait pas encore des princes de Vérone. Il se maria, eut beaucoup d'enfants, puis, à soixante ans, retourna poétiquement à son premier amour, la belle Constance, surnommée Thaumantia, qu'il chanta encore en vers médiocres. Scaliger n'en fut pas moins un

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