Sayfadaki görseller
PDF
ePub

combattre, mais s'entr'aider, substituant à l'hostilité qui les séparait l'hospitalité qui les eût fait vivre ensemble (1). Il lui déplut même qu'on l'eût désigné parmi les partisans de Reuchlin. « Quel savant, quel esprit droit, écrivait-il doucement, ne serait pas favorable à un pareil homme? » Mais ce qui l'ennuyait, c'est qu'on voulût l'engager dans une coterie, le mêler à une polémique. Il ne tenait nullement à jouer la partie; son affaire était d'y assister et de compter les coups. Erasmus est homo pro se, disaient avec raison les « Lettres des hommes obscurs ». Ce qui ne l'empêcha pas de parler amicalement au philologue, de s'employer pour lui auprès du pape et de chanter son apothéose. C'est une vision où Reuchlin apparaît vêtu de blanc, escorté d'un. bel enfant ailé, son bon génie; derrière lui volent des oiseaux noirs et fétides qu'il met en fuite en tournant une croix contre eux. Il passe un pont où saint Jérôme le reçoit comme un collègue et lui offre un manteau pareil au sien tout chamarré de langues à trois couleurs (le latin, le grec et l'hébreu que savaient Reuchlin et Jérôme); là se déroule une prairie émaillée d'anges, une colonne de feu descend du ciel et enlève les deux élus qui montent, enlacés l'un à l'autre, au milieu des célestes choeurs. Reuchlin ainsi canonisé, restera le patron des philologues. « O sainte âme, sois propice à ceux qui cultivent les langues, favorise les langues saintes et perds les mauvaises que la géhenne infecta de son poison (2)! »

(1) Qui favent melioribus studiis malunt ut hostes irrumpere quam ut hospites paulatim in societatem et amicitiam coalescere.

(2) O sancta anima, sis felix linguarum cultoribus, faveto linguis sanctis, perdito malas linguas infectas veneno gehennæ.

VI.

Érasme put donc garder en face de Reuchlin une sorte de neutralité bienveillante; il fut moins heureux avec Ulrich de Hutten. Ce gentilhomme, né en 1488 à Steckelberg, sur les limites de la Franconie et de la Hesse, dans une noble famille qui, le voyant chétif, le destinait à l'Église, fut envoyé tout jeune à l'abbaye de Fulda. Il put s'en évader à seize ans, et courut les universités d'Allemagne; à dix-huit ou dix-neuf ans, à Francfort sur l'Oder, il composa ses premiers ouvrages, les premiers du moins qui nous soient restés : c'est un éloge de la marche de Brandebourg et une « Exhortation élégiaque à la vertu (1). » Esprit inquiet, déréglé, aussi peu fait pour le cabinet que pour le cloître il y avait en lui du chevalier errant, dit son biographe et aussi du « pauvre étudiant en voyage» il mendiait son pain, même dans la maison des indigents, couchait souvent dehors, dans les nuits froides; il était de plus atteint d'un genre de peste dont on a beaucoup trop parlé (2). Ce fut en ce temps de misère et de vagabondage qu'il composa deux livres d'élégies latines (Querelarum libri duo), et un « Art poé

(1) Ulrici Hutteni adolescentis De rirtute elegiaca exhortatio, imprimée à Francfort en 1507.

(2)

Ore cibum petii peregrinas pauper ad ædes
Nec putuit luteas sollicitare casas.
Ante fores somnum gelidâ sub nocte petivi,
Vix raro surdas jussus inire domos...
More viros nostro potuissem quærere doctos :
Impediit cæptam pestis amara viam

Et quoties volui, toties magis illa furebat, etc.

tique » (De arte versificandi liber unus) qui le mit en vue : c'étaient ces traités-là qui se vendaient alors. Maigre poésie épluchant les voyelles et les consonnes, mesurant les brèves et les longues, s'attardant aux diphtongues et aux élisions (1), mais il fallait vivre. Encore si les nombreuses éditions de ce traité lui avaient rapporté quelque argent! Il rôda de Rostock à Wittenberg, de Wittenberg à Leipsick, de Leipsick à Vienne où on lui fit beaucoup de compliments, mais il lui fallait autre chose; aussi laissa-t-il la poésie pour se vouer à la « juristerie, métier plus lucratif. En 1512, il étudiait le droit à Pavie. Mais c'était en temps de guerre; Ulric, sujet de l'empereur, devint suspect aux Français qui voulaient garder la ville et eut pendant trois longs jours un siège à subir dans la petite chambre où assailli en même temps par la fièvre, il se crut mort. Les Français partirent, entrèrent les Suisses qui, prenant le pauvre étudiant pour un ennemi, le détroussèrent pour commencer, puis le jetèrent dehors. Impossible de rester à Pavie où sévissaient à la fois la famine, la guerre et la peste; Ulric se traîna jusqu'à Bologne où exténué de toutes manières et toujours sans argent, il eut beaucoup de peine à guérir. Ce fut alors cependant (ou peu après peut-être) que fut composé l'un de ses morceaux les plus exquis, celui qui est intitulé Nemo (Personne) (2). Il y raillait les univer

(1)

(2)

Quæ venit ante aliam vocalis corripietur :
Sic ria, sic Deus est, fio, producitur, usque
Dum subit r voci, fierem fierique notando.

Ille ego sum nemo de quo monumenta loquuntur,
Ipse sibi vitæ munera nemo dedit!
Omnia nemo potest; nemo sapit omnia per se,
Nemo manet semper, crimine nemo caret.

sités, les théologiens « les lettres illettrées » et déclarait qu'il aimait mieux être docte que docteur. Avait-il déjà composé cette satire à Vienne où on lui reprochait de ne pas même avoir le grade de bachelier? En tout cas ce fut en Italie qu'il porta ses premiers coups contre les indulgences: « Jules II le vendeur accapare le monde entier par la fraude: il vend même le ciel et cependant il ne l'a pas (1). » Aussi dissuadait-il son ami Crotus de venir à Rome : « là où est Rome, lui écrit-il, tu ne trouveras plus rien de romain (2). » Et il faisait des jeux de mots latins sur l'Italie noble autrefois meuble aujourd'hui (mobile) (3). Mais quand il écrivait ces épigrammes pour l'empereur Maximilien (qui, dit-on ne lui envoya pas d'argent) il avait abandonné ses études et s'était engagé dans l'armée, malgré la fameuse peste qui ne le quittait pas. Il rentra enfin chez lui et revit sa famille qui le reçut mal, parce qu'il revenait d'Italie nu-tête. Le bonnet de docteur qu'il y était allé chercher, n'était pas venu. Par bonheur, il retrouva un ancien protecteur, Eitelwolf de Stein qui l'avait déjà, dit-on, sauvé du cloître; Ulric put alors dîner tous les jours, se lier avec Érasme (en 1514) et se faire soigner à Ems. Mais Eitelwolf mourut, et un nouveau coup frappa le pauvre Hutten: un de ses cousins, nommé Jean, fut assassiné par le duc de Wurtemberg dans une partie de chasse. Derrière ce meurtre, il y avait un roman honteux et même ridicule :

(1) Fraude capit totum Julius mercator orbem; Vendit enim cœlum non habet ipse tamen.

(2) Desine velle sacram in primis, Crote, visere Romam, Romanum invenies, hic ubi Roma, nihil.

(3) Mobilis Italia est, nobilis ante fuit.

le duc aimait la femme de Jean. Ulric, justement irrité cria vengeance en cinq discours adressés à l'empereur et tout frémissants d'éloquence; il souleva en sa faveur l'Allemagne indignée et le duc, à la fin, dut quitter honteusement ses États. Cependant en 1515, Hutten était retourné en Italie où il tonna de nouveau contre les folies de Rome et se battit seul contre cinq Français qui disaient du mal de l'empereur : il en tua un, en blessa quatre et n'eut qu'une balafre à la joue: c'est lui qui le dit et rien ne prouve qu'il se soit vanté. On sait d'ailleurs qu'il ne manquait pas de bravoure. Il avait tiré l'épée pour l'Autriche et se fût distingué sans aucun doute au siège de Padoue, s'il n'avait pas eu mal au pied. Précédemment, à Vienne, il était entré le couteau à la main chez le recteur de l'université qui ne l'autorisait pas à faire un cours. Dans sa jeunesse vagabonde, il avait eu à se débattre contre les valets d'un bourgmestre qui s'étaient jetés sur lui pour le détrousser; plus tard il guerroya très bravement avec François de Sickingen et fut de l'expédition contre le duc de Würtemberg; plus tard encore, aux premières échauffourées qui devaient précéder les guerres de religion, il battit les grandes routes, dévalisa trois abbés et coupa les oreilles ou les laissa couper à deux moines dominicains. Voilà Hutten « le capitan, » comme l'appelait Érasme. C'étaient les mœurs du temps, les aménités des luttes confessionnelles en cachant ces traits-là, on ne connaîtrait pas l'homme tout entier. A la suite de son aventure avec les Français, Hutten dut quitter Rome et aller à Bologne d'où il fut délogé par une querelle d'étudiants; il se réfugia d'abord à Ferrare et repartit pour l'Allemagne (1517). Ce fut alors qu'il reçut. le laurier poétique des mains de l'empereur Maximilien.

« ÖncekiDevam »