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apparue peut-être par la volonté d'Amour pour donner quelque repos à ma vie. » La raison ou la conscience répondait : « Ah! quel penser est celui qui prétend te consoler d'une manière si basse et ne te laisse presque pas d'autre idée dans l'esprit. » Mais bientôt une autre réflexion venait à la traverse: « Maintenant que tu es plongé dans un si grand chagrin d'amour, pourquoi ne tâcheraistu pas d'échapper à tant d'amertume? Tu vois bien que c'est un souffle d'amour qui te vient de bon lieu, puisque cette gentille dame si charmante a pour toi tant de compassion. » Et le poète composait des sonnets sur tout ce va-et-vient de sa pensée.

Un jour enfin, Béatrice lui apparut à la neuvième heure, en robe rouge, enfant comme à leur première rencontre; aussitôt il revint à elle et se repentit du désir « dont il s'était laissé posséder si lâchement pendant quelques jours ». Alors il fit des vers pour rétracter ceux que lui avait inspirés la dame compatissante. Enfin, dans une dernière vision plus merveilleuse que les autres, il vit des choses qui le décidèrent à ne plus rien dire de Béatrice jusqu'au jour où il pourrait parler d'elle plus dignement. « Pour y arriver, dit-il, j'étudie autant que je peux, comme elle le sait véritablement. Si bien que, s'il plaît à celui par qui vit toute chose, que ma vie dure quelque peu, j'espère dire d'elle un jour ce qui ne fut jamais dit d'aucune femme. Et puis plaise à celui qui est seigneur de la courtoisie que mon âme puisse aller voir la gloire de sa dame, c'est-à-dire de cette Béatrice bénie qui regarde en face celui qui est per omnia sæcula benedictus. Laus Deo! » Ainsi finit la Vita nuova qui, par ces derniers mots, annonce la « Divine Comédie ».

VI.

Discutons un peu : cela repose et il en vaut la peine; la question regarde non seulement Dante et la principale inspiration de son œuvre, mais encore toute la poésie amoureuse du temps. Béatrice a-t-elle bien réellement existé, ou ne fut elle qu'une Iris en l'air, comme on disait au dernier siècle? Les critiques disputent là-dessus depuis plusieurs centaines d'années et la dernière histoire littéraire d'Italie (1) a repris vivement le débat. Entrons-y donc en simples témoins, et suivons les passes.

Non, dit l'un, Béatrice n'a jamais existé. La preuve, c'est que dans le récit de Dante, il n'y a guère que des visions. Le plus grand des poètes italiens n'aurait donc été qu'un halluciné? Portez plus de respect à sa gloire.

-Point du tout, répond l'autre, mais il avait des nerfs, le sommeil agité, des songes ou des cauchemars qu'il interprétait; c'était l'usage de son temps chez les lyriques. Il pouvait même rêver debout, ce qui arrive à tous les hommes d'imagination: beaucoup d'autres, même sans génie, ont vécu longuement dans le pays des chimères et des fantômes. C'est d'ailleurs ce que Dante a fait ouvertement dans son œuvre capitale la « Divine Comédie » n'est qu'une immense vision en 14,230 vers.

:

Il n'en a pas moins nié lui-même l'existence de Béa

(1) Storia della letteratura italiana du professeur Adolfo Bartoli; quatrième volume, 1882. L'auteur est un érudit plein de sagacité, de compétence et d'idées personnelles qu'il ne cache pas. Sur l'opinion contraire on peut consulter La Beatrice di Dante de M. le professeur Alessandro D'Ancona. (Pise, 1865.)

trice. N'a-t-il pas déclaré que la dame de ses pensées n'était qu'un calcul d'arithmétique : 3×3=9?

-Autreizième siècle, on avait la superstition des nombres. Dante en tenait et l'a prouvé plus d'une fois, notamment dans la division de son poème en trois parties, chacun de trente-trois chants, plus un chant d'introduction, en tête de « l'Enfer », pour faire la centaine. Il lui plut donc de marquer toutes les occasions où il pouvait placer un 9 dans la vie de Béatrice, mais il se garda bien de noter les dates où ce chiffre n'entrait pas. Ainsi, par exemple, elle naquit en 1266, elle n'avait que huit ans quand il la rencontra pour la première fois; elle ne comptait que vingt-quatre ans quand il apprit qu'elle était morte. Si la bien-aimée n'eût été qu'une création de sa fantaisie, il l'aurait fait naître en 1269 où entre 141 fois le nombre 9; il lui eût donné neuf ans à leur première rencontre; il l'eût menée au cimetière trois ans plus tard afin de lui laisser atteindre l'âge de 27 ans : 3X9=27. Ah! trois fois neuf: c'eût été le nombre idéal de cette arithmétique à mystères ! Si Dante ne l'a pas fait, c'est qu'il était assurément gêné par ses dates réelles et que, par conséquent, une Béatrice en chair et en os a dû exister.

- Vous avez beau dire, si cette histoire est vraie, je n'y comprends rien. Qu'est-ce donc que cet amoureux transi qui s'épuise en stratagèmes pour cacher son secret, compromet deux femmes du monde pour masquer celle qu'il aime et joue une comédie de paravent avec l'unique préoccupation de se cacher ? N'était-ce pas un amour très avouable que le sien et ne pouvait-il dire à Folco Portinari: « Je m'appelle Dante Alighieri, mon aïeul Cacciaguida est mort aux croisades, j'ai fait de bonnes études à Bologne, je me sens homme à m'illustrer comme poète,

comme savant, comme soldat, comme ambassadeur et à gouverner mon pays. Accordez-moi la main de votre fille. >> Dante ne l'a pas fait, donc Béatrice n'a point existé.

Vous oubliez que cette histoire est déjà vieille de six cents ans. Au début de sa carrière poétique, Dante était un fidèle d'amour et, par conséquent, son cœur battait à la provençale; il s'est inspiré des troubadours qu'il a souvent cités dans ses livres ; il savait leur langue et la maniait même en vers. Eh bien! dans les idées des Provençaux l'amour était incompatible avec le mariage : un mari qui se serait conduit avec sa femme comme un chevalier avec sa dame, aurait cru « faire quelque chose de contraire à l'honneur » Fauriel le dit formellement. Byron ajoute avec son impertinence ordinaire :

Si Laure avait été la femme de Pétrarque,
Eût-il passé sa vie à faire des sonnets (1)?

Ce secret même, qui vous étonne si fort, était de rigueur chez les Provençaux et chez leurs adeptes. Raynouard a donné les 31 articles du code d'amour écrits en latin à l'usage des fidèles de tout pays. Le deuxième article dit : « Celui qui ne se cache pas ne peut aimer. » Le treizième « L'amour divulgué ne dure guère. » En vertu de l'article 15 tout amant, à l'aspect de sa dame, est tenu de pâlir, et, s'il la voit tout à coup, l'article 16 veut que le cœur lui tremble. C'est exactement ce qui advint à Dante dans la fête nuptiale où il revit tout à coup Béatrice; jamais les prescriptions du code d'amour ne furent suivies plus ponctuellement. Ajoutez que, dans cette fête

(1)

Think you if Laura had been Petrarch's wife,
He would have written sonnets all his life?

nuptiale, Béatrice a quelque chose de très féminin: elle rit de son patito à qui elle en veut avec une petite cruauté point du tout séraphique; or ce ne sont pas les femmes idéales qui se moquent du monde : elles rêvent tout le temps, les yeux dans l'azur.

Vous oubliez qu'une foule de savants ont vu dans l'aimée de Dante une pure allégorie. Pour Philelphe, c'était une fabuleuse Pandore; pour d'autres, la théologie, ou la science divine, ou la grâce coopérative, ou la grâce qui sauve, ou la béatitude, ou toutes ces choses à la fois. Pour Rossetti, c'est la monarchie impériale.

Pour Byron, les mathématiques...

Byron est un mauvais plaisant qui n'a rien à faire ici. Pour nous, Béatrice est l'idéal de la femme, cet Éternel Féminin devant lequel se prosterne Goethe à la fin de son Faust.

Nous sommes parfaitement d'accord, s'il s'agit de la Béatrice qui éleva Dante au paradis; Faust y fut pareillement conduit par une sainte qui l'instruisit dans le pur amour. Mais, ne l'oubliez pas, cette sainte était une pénitente, cette pénitente était une pécheresse, « celle qu'autrefois on nommait Gretchen (1). »

Pareillement la Béatrice de la « Divine Comédie » avait été une petite fille qu'on nommait Bice. En ce temps-là les poètes montaient bien au ciel, mais partaient de terre : ainsi le voulait la doctrine platonicienne qu'ils suivaient avec une entière soumission. « Il faut que l'homme dont l'âme est féconde s'attache d'abord à la beauté matérielle appliquée à un seul corps : » telle était la prescription de

(1) Una Pænitentium, sonst Gretchen genannt. (Indication de Goethe.)

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