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flotté jusqu'ici entre Rome et nous, passe au vainqueur. C'est en vain que tu veux résister; leurs applaudissements, leurs flatteries, leurs présents peut-être t'entraînent. Tu es à eux, bon gré mal gré, instrument utile entre leurs mains, mais jamais aimé, jamais pardonné, car si tu te bats pour nos adversaires, tes livres, les meilleurs, sont avec nous. Quoi que tu fasses, tu nous as tous suscités; dans le camp ennemi, encore avec nous, tu combattras contre toimême, d'autant plus faible et plus à plaindre que tu auras affaire à la meilleure partie de toi, et que ton ambition luttera contre ta vertu. » Érasme eut la faiblesse de répondre et donna une « Éponge contre les éclaboussures de Hutten» (Spongia Erasmi adversus adspergines Hutteni), libelle virulent, ordurier même où le grand humaniste se donna tort en tombant de tout son poids sur un pauvre diable qui allait mourir.

VII.

Cependant en ses dernières années, Érasme rencontra un adversaire autrement puissant que Hutten, Luther luimême. Au commencement, le réformateur aurait bien voulu gagner l'alliance de l'humaniste; il lui écrivait bien doucement : « Je m'entretiens sans cesse avec vous, Érasme, ô vous, notre honneur et notre espoir. Est-il une âme qu'Érasme n'instruise, qu'Érasme ne gouverne, qu'Érasme n'occupe tout entière? » A ces avances, l'humaniste répondait prudemment : « N'allons pas trop vite; on gagne plus à être modéré que passionné. Écrivons contre ceux qui abusent de la papauté, non contre le pape luimême. Réformons l'école, ne la méprisons pas. >> La

correspondance en resta là; l'eau et le feu ne pouvaient s'entendre. Certes, Érasme estimait Luther; il sentait en lui une force, une puissance, un caractère capables de retrouver la vérité chrétienne et de la remettre debout (1). Cependant ce n'était pas son homme il lui reprochait « je ne sais quoi de farouche et d'austère qui ne rendait pas la douceur de l'esprit évangélique (2); » et qui en même temps mettait trop de feu, trop d'âpreté dans la lutte: tout cela risquait de finir en tumulte par le déchirement du monde entier (3). Puis il n'y avait pas assez d'urbanité dans cette prédication véhémente. Pas assez de douceur non plus; les mœurs mauvaises avaient peutêtre besoin d'être traitées par le fer et le feu; mais grâce au « médecin inclément » (inclementem medicum), le remède était parfois plus atroce que le mal. Érasme n'aimait point la guerre ; il eût volontiers fait la part du feu, sacrifié une partie de la vérité pour rester tranquille. D'ailleurs, jugeant Luther avec beaucoup de sens, il voyait en lui la colère d'Achille qui ne sait pas céder,

Pelidæ stomachum, cedere nescit,

une ardeur et une fureur qui le poussaient en avant, par dessus les obstacles, jusqu'au delà du but. Érasme eût voulu réformer l'Église pacifiquement, d'accord avec les

(1)... Ingenium, quod videbatur futurum insigne quoddam organum obveniendi veritates Ecclesiæ evangelicæ.

(2) Nescio quid sævum et austerum, nec satis referens mansuetudinem spiritus evangelici.

(3) Statim ad primum gustum opusculorum, quæ Lutheri nomine prodire cœperunt, plane verebar, ne res exiret in tumultum ac publicum orbis dissidium.

princes et avec les papes (1); une rupture violente avec la tradition répugnait même à ses idées de liberté. Bien plus, il croyait la transaction possible. Cependant ce qui l'éloigna le plus de la Réforme, ce fut la direction qu'elle ne tarda pas d'imposer aux esprits. Il sentait bien que Luther n'était pas un latin et ne serait jamais compté au nombre des humanistes. Les études classiques n'intéressaient déjà plus; les idées nouvelles se mettaient à parler allemand. Les moines disaient : Érasme a pondu l'œuf, Luther l'a fait éclore. Oui, répondait Érasme; j'ai pondu un œuf de poulet, mais Luther en a fait sortir un tout autre oiseau (2). »

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Encore une amertume : les progrès de la Réforme faisaient descendre l'humaniste au second rang. D'autre part, si les protestants tâchaient de le gagner à leur cause, les catholiques le pressaient de se déclarer pour eux, ce qu'il ne voulait point faire: il lui plaisait, comme aux sages, << d'entrer partout et de ne s'enfermer nulle part. » De là des tiraillements, des reproches venant des deux camps; les uns l'accusaient d'avoir peur, les autres de jouer le jeu de Luther, en simulant la dissension: pure fourberie. Aussi regardait-il toute cette agitation avec une extrême tristesse. De loin en loin, le spectacle le déridait quand, par exemple, il voyait tant de prêtres défroqués mener une femme à l'autel: la Réforme, disait-il, finit comme les comédies, par des mariages. Mais lorsqu'il voulut attaquer sérieusement Luther dans son traité « Du libre arbitre, »

(1) At ego libertatem ita malebam temperatam, ut Pontifices etiam ac monarchas ad hujus negotii consortium pelliceremus.

(2) Ego peperi ovum, Lutherus exclusit. Mirum vero dictum Minoritarum istorum... Ego posui ovum gallinaceum, Lutherus exclusit pullum longè dissimillimum, etc.

il s'attira une riposte effrayante (De servo arbitrio) qui le criblait de saillies dures et l'écrasait sous des citations. Il essaya de répliquer et compara la prose du réformateur à celle d'un homme ivre; mais il n'était plus de force, ne savait pas manier l'invective et n'avait pas d'ailleurs ces colères superbes qui donnaient tant de puissance à Luther C'est ainsi que la Réforme battit la Renaissance en Allemagne. On a dit que le réformateur était plus étroit que l'humaniste; cela est vrai, mais cela devait être (1): les esprits qui embrassent tout ne renversent rien. Quand le Rhône sort du Léman, c'est encore un lac en marche : il déploie largement ses eaux claires, lentes où se réfléchit, calme et bleu, tout le ciel. Voilà Érasme. Mais plus tard, quand le Rhône veut se frayer un passage à travers le Jura, il se rétrécit, se ramasse pour le grand choc; il ne réflète plus que des rochers et peu de ciel, mais il a fendu la montagne. Voilà Luther.

(1) STRAUSS, op. cit., vol. II, p. 300.

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