Sayfadaki görseller
PDF
ePub

L'Allemagne est entièrement partagée entre les communes et les princes qui sont ennemis entre eux, et ensemble ennemis de l'empereur auquel ils ne veulent pas donner trop de force, bien qu'il ne dompte pas leur pays, comme en France ont fait les rois. Et ceci est compris de tous; mais peu de gens comprennent pourquoi les villes libres de la Suisse se montrent si opposées, non seulement aux princes et à l'empereur, mais aussi aux communautés de l'Allemagne, avec laquelle elles ont pourtant des points communs, notamment l'amour de la liberté et le besoin de se défendre contre les princes. La raison vraie est que les Suisses sont ennemis, non seulement des princes et de l'empereur, mais aussi des nobles qui existent en Allemagne et non dans leur pays où, sans distinction d'hommes, excepté de ceux qui occupent des magistratures, on jouit d'une libre liberté. D'où il advient que les gentilshommes allemands font tout ce qu'ils peuvent pour tenir leurs communautés divisées de la Suisse. D'autre part, l'empereur qui doit résister à l'aversion des princes favorise les communautés qui sont le nerf de l'Allemagne ; il suit de là que les princes se trouvent faibles parce qu'ils sont doublement combattus et parce que leurs États sont partagés dans les successions. Ajoutez à cela les guerres entre princes, entre princes et communautés, entre princes et communautés contre l'empereur, et vous comprendrez comment en ce pays, bien que la force soit grande, elle est fort diminuée dans le fait.

Voilà ce que Machiavel a cru voir en Allemagne. En revanche, il n'y soupçonne pas la Réforme qui, en 1507, il faut le reconnaître, n'avait pas encore éclaté, mais qui était partout dans l'air. Les Italiens ne s'occupaient pas de ces détails et il y a cent à parier contre un que, si le fin diplomate eût vu Luther, il lui aurait prédit la mort de Savonarole. Sur la France qu'il connaissait mieux, il a parlé en ennemi, mais la haine chez lui n'était pas aveugle. Les Ritratti delle cose di Francia, écrits en 1510, contiennent quelques bonnes vérités. Machiavel reconnaissait la puissance croissante de la France, et l'attribuait justement à la centralisation qui soumettait de plus en

plus les provinces et les vassaux à la couronne. De là une grande force politique au dedans, une grande force militaire au dehors, plus grande que la force sociale et réelle de pays. C'était le contraire en Allemagne.

La noblesse est entièrement vouée à la vie militaire et les hommes d'armes français sont, par conséquent, les meilleurs de l'Europe. En revanche, l'infanterie est mauvaise, parce qu'elle est composée de canaille et de gens de métier soumis aux barons, et si bas dans toutes leurs actions qu'ils sont lâches. Il faut excepter pourtant les Gascons qui, voisins de l'Espagne, ont de l'Espagnol et sont un peu meilleurs que les autres, bien que, depuis quelque temps, ils se soient montrés plutôt voleurs que vaillants. Cependant ils font bonne figure dans l'attaque et dans la défense des forteresses; ils n'en sont pas moins mauvais en rase campagne. Même en ceci, ils sont le contraire des Allemands et des Suisses qui n'ont pas d'égaux en rase campagne, tandis que pour attaquer ou défendre des lieux fortifiés ils ne valent rien.

Voilà pourquoi les rois de France, ne se fiant pas å leurs fantassins, soudoient des lansquenets et des Suisses. En somme, les Français sont plus fiers que forts et adroits. Ils ne tiennent plus si l'on résiste à leur premier choc. César disait d'eux qu'au commencement du combat ils étaient plus que des hommes, et à la fin, moins que des femmes. Leur pays est riche en agriculture, pauvre d'argent : tout va aux gentilshommes et aux évêques; ces derniers possèdent les deux tiers des revenus du pays et ont en politique un grand pouvoir. Les peuples de France sont humbles et très soumis; ils ont une grande vénération pour leur roi. Ils vivent à très bon compte, vu l'abondance des vivres, et chaque homme a quelque bien à soi (déjà en 1510!) Ils s'habillent grossièrement et ne portent pas de soie, ce qui les noterait

mal aux yeux des gentilshommes... La nature des Français est friande (appetitosa) du bien d'autrui, mais prodigue du sien un Français happerait un bon morceau pour le manger ensuite avec celui qu'il aurait volé. L'Espagnol est bien différent : vous ne voyez jamais plus rien de ce qu'il vous vole.

Ces « légations » montrent combien d'attention Machiavel portait aux choses militaires : c'était en effet le grand point pour l'Italie d'alors où les petits États, toujours en guerre et forcés de lever à la hâte des bandes de partisans, des condottieri féroces et pillards, des meurtriers de louage, quand ils n'achetaient pas des Suisses ou que, malheur pire, ils n'appelaient pas chez eux des Français ou des Impériaux, ne pouvaient jamais devenir indépendants et libres. Pour constituer une Italie, ou seulement pour relever une Florence, il fallait, avant tout, une milice nationale; Machiavel passa une bonne moitié de sa vie active à la réclamer et à l'organiser. Cette partie de son œuvre est irréprochable. Il s'y montra patriote avec un zèle, une intelligence, un désintéressement qu'on n'a jamais songé à contester. Ses divers écrits sur l'art de la guerre eurent, pour le temps, une valeur considérable. On peut discuter aujourd'hui son opinion sur les forteresses et sur la poudre à canon, mais il faut se rappeler qu'il écrivait dans le premier quart du seizième siècle : à cette époque où la victoire était encore au plus brave, on ne pouvait pressentir les miracles des armes à feu. L'Arioste, en son « Roland furieux », tonnait contre « l'invention scélérate et brutale. » Machiavel eut aussi un moment de grandeur au temps où la république se défendit contre les Médicis. Bien qu'il ne crût pas aux lieux fortifiés, il travailla vaillamment aux travaux de défense, et quand il

quitta les affaires avec Soderini, les mains vides, mais nettes, il eût pu passer, avec un peu plus de tenue, pour un grand citoyen. Mais il manquait de tenue: ce fut là son tort, nous aurons à le redire. En revanche, il ne manquait pas de courage: accusé d'avoir pris part à une conspiration, lui qui avait toujours eu les conspirations en horreur, il fut mis à la torture, et subit quatre ou six fois l'estrapade avec tant de cœur « que je m'en aime, écrit-il à son ami Vettori. Je me parais à moi-même être quelque chose de plus que je ne croyais. >>

Il n'en voulut pas moins rentrer aux affaires, mais les Médicis le tinrent à l'écart et depuis leur retour (1512) jusqu'en 1521 il resta sans emploi ; c'est ce qu'il appelle ses « temps oisifs, les plus féconds et les plus glorieux de sa vie. En 1521 il fut employé de nouveau par le gouvernement florentin à des affaires sinon ridicules, comme on l'a dit, au moins peu importantes; plus tard Guichardin, son ami, lui confia des missions plus difficiles, notamment celle de veiller sur la marche du connétable de Bourbon. Mais les temps étaient mauvais; après le sac de Rome, les Médicis durent quitter de nouveau Florence qui se reconstitua en république; Machiavel y revint alors, mais il avait servi les << tyrans », lui républicain de vieille roche; il fut donc mal reçu, mal vu du moins dans la patrie qu'il avait aimée et servie avec tant de cœur. Il redemanda sa place de secrétaire au conseil des Dix qui venait d'être rétabli ; on lui préféra un Francesco Tarugi dont le nom aujourd'hui ne dit rien à personne. Fut-ce le coup mortel? on l'ignore; on sait seulement que Tarugi fut nommé le 10 juin 1527 et que Machiavel mourut le 22. Il s'était confessé à un frère Matteo qui l'assista jusqu'à sa mort : ce petit fait dément le conte du fameux songe qui courut le monde

longtemps après et qu'Étienne Binet de Dijon raconte en

ces termes :

On arrive à ce détestable point d'honneur où arriva Machiavel sur la fin de sa vie, car il eut cette illusion peu devant que rendre son esprit. Il vit un tas de pauvres gens, comme coquins, déchirés, affamés contrefaits, mal en ordre et en assez petit nombre (sic); on lui dit que c'étoit ceux du Paradis desquels il était écrit: Beati pauperes, quoniam ipsorum est regnum cœlorum. Ceux-ci étant retirés, on fit paraître un nombre innombrable de personnages pleins de gravité et de majesté on les voyoit comme un sénat où on traitoit d'affaires d'État et fort sérieuses; il entrevit Platon, Sénèque, Plutarque, Tacite, et d'autres de cette qualité. Il demanda qui étoient ces messieurs-là si vénérables; on lui dit que c'étoient des âmes reprouvées du ciel : Sapientia hujus sæculi inimica est Dei. Cela étant passé, on lui demanda desquels il vouloit être. Il répondit qu'il aimoit beaucoup mieux être en enfer avec ces grands esprits pour deviser avec eux des affaires d'État que d'être avec cette vermine de ces belîtres qu'on lui avoit fait voir. Et à tant il mourut et alla voir comme vont les affaires d'État de l'autre monde.

Voilà donc une anecdote à jeter au panier avec beaucoup d'autres; si nous l'avons citée, c'est qu'elle court encore et qu'il est grand temps de l'arrêter. Machiavel attaqua la politique de l'Église et des papes, mais il ne toucha jamais aux dogmes et n'inclina pas vers Savonarole qu'il entendit à peine, encore moins vers Luther qu'il n'eut pas même la curiosité de regarder. Il ne manqua pas sa fin, eût dit Châteaubriand, et mourut en bon catholique.

II.

L'œuvre de Machiavel est très variée : il y a une comédie, la Mandragore » que nous irons voir à la cour de

« ÖncekiDevam »