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cité moderne de l'Europe, » c'est l'Arioste qui domine tout. Ce pauvre diable qui se résignait, faisant de nécessité vertu, à une condition dépendante et subalterne, portant avec humeur, mais sans révolte, un collier en gros sous qu'il ne savait ni rompre ni utiliser, devint pour la postérité, non seulement le poète le plus heureux, mais le premier homme de Ferrare. A force de retoucher ses vers, il ne pouvait les retenir dans sa mémoire et il en perdit beaucoup; ceux qu'il regretta le plus devaient être inscrits sur une des deux colonnes de marbre destinées à supporter la statue équestre du duc Hercule Ier. Cette colonne se rompit en route, l'autre fut érigée sur une place publique où elle demeura sans emploi jusqu'en 1659 alors on hissa dessus la statue du pape AlexandreVII. En 1796, les républicains de la Cispadane abattirent le pape et mirent à sa place une Liberté en plâtre; le général Bonaparte assistait à la substitution. La liberté en plâtre fut enlevée en 1799 par les Autrichiens, et la colonne (toujours la même) n'eut rien à porter jusqu'en 1810; elle vit alors revenir les républicains de la Cispadane et fut coiffée par eux d'un général Bonaparte en marbre; seulement les républicains de la Cispadane n'étaient plus républicains et le général Bonaparte était devenu Napoléon empereur. Le tyran fut naturellement supprimé en 1814 et la colonne resta veuve jusqu'en 1833.

:

Depuis lors et jusqu'à présent, dit Carducci, sur cette colonne qui devait servir de piedestal au duc d'Este... et quí, au lieu du duc d'Este, subit un pape, une république, un empereur; sur cette colonne, depuis 1833 et jusqu'à présent, se dresse la statue de Ludovic Arioste sculptée par Francesco Vidoni. Et ni les papes, ni les empereurs, ni la Liberté même ne te chasseront de là

haut, ô poète divin! qui écrivis le « Roland » et qui te réjouissais, te consolais tant à voir pousser des sureaux en croyant que c'étaient des câpriers. »

IV.

Ce fut donc Roland qui éleva son poète sur cette colonne. Pourquoi Roland? D'où vient qu'un pareil sujet ait été choisi par un artiste pareil, au plus beau moment du seizième siècle? Voilà la première question qui se pose et sur laquelle la critique moderne en France et en Italie. a jeté de vives lueurs (1). Le lecteur le moins lettre sait fort bien ce que furent la chanson de geste et le roman d'aventures, les récits du cycle carolingien et du cycle breton. La France était déjà la conteuse par excellence, produisant et exportant une littérature narrative inépuisable l'Italie du nord en fut inondée dès le moyen âge et préféra longtemps les langues d'oïl et d'oc aux patois nationaux. Dante, qui ne ménageait pas ses expressions, reprochait comme une infamie à ses concitoyens pervers de vanter le « vulgaire des autres et de mépriser le leur. On eut donc dans la vallée du Pô, chez les classes privilégiées, des vers lyriques en provençal et des histoires en français que les jongleurs, dans un jargon franco-italien, répandaient déjà dans le peuple. Les chansons de geste réussirent d'emblée, non que Charlemagne eût jamais été regardé en Italie comme un héros national, mais il était le héros chrétien par excellence : une figure

(1) GASTON PARIS, Histoire poétique de Charlemagne (1866). PIO RAJNA, le Fonti dell' Orlando furioso (1876).

historique et idéale, politiquement perpétuée par la restauration de l'empire d'Occident, poétiquement enluminée par les mensonges naïfs de la légende. Les héros carolingiens furent pris au sérieux dans les contrées septentrionales de la péninsule où quantité de familles les voulurent pour ancêtres; les généalogistes eurent pour mission spéciale de faire remonter leurs patrons en ligne directe jusqu'aux douze pairs. Cependant l'Italie ne se contenta pas de reproduire nos fictions, elle y mit du sien, et eut bientôt sa chanson de geste à part dont voici le thème ordinaire: Un baron quelconque, de force ou de gré (secrètement en ce dernier cas) quittait la cour de Charlemagne et allait errer incognito en Paganie où il multipliait ses prouesses: batailles gagnées, monstres détruits, duels ou tournois brillants, etc., etc. Les jeunes filles sarrasines s'éprenaient du vainqueur et ne s'en cachaient point; les déclarations venaient d'elles. C'est alors que le traître, Gaine ou Ganelon, intervenait dans l'aventure et révélait le nom du chevalier inconnu qui, aussitôt mis en prison, subissait tous les tourments, attendait tous les supplices. Cependant d'autres barons étaient partis de France à sa recherche; nouvelles péripéties, nouveaux périls pour lui et pour eux ; ils arrivaient juste au moment voulu pour sauver leur ami et baptiser la Sarrasine. Entre temps, les chevaliers convertissaient quantité de peuplades et sauvaient la chrétienté en exterminant une armée formidable conduite par un païen au siège de Paris. Tel est le fond de ces premières histoires italiennes.

On en composa d'autres quand le roman de Charlemagne passa l'Apennin et quitta la Brenta pour se retremper dans l'Arno. La Toscane avait fait sa langue, elle y versa toute la matière qui venait du nord et en tira des

récits en vers ou même en prose, notamment cette fameuse compilation qui a tant servi, même à l'histoire, et qui est intitulée les Reali di Francia. En vers, les Florentins innovèrent assez promptement la tirade monorime, dont les Italiens du nord avaient pu se contenter, fut rejetée comme un habit trop étroit, étriqué, masculin, et remplacée par l'octave, robe plus ample où les désinences féminines étaient à l'aise. L'octave était d'ailleurs un vieux mètre populaire que Boccace, on s'en souvient, avait introduit dans sa « Théséide » et installé dans le monde savant. Cette octave semble une innovation sans valeur, mais sans elle on n'aurait eu ni le Boiardo, ni l'Arioste. Certes elle n'est point parfaite; il lui reste un ton lyrique dont elle ne peut se dégager tout à fait. Ce n'en est pas moins le costume narratif le plus heureux des littératures modernes. « Il fait des plis ou tire trop dans les autres langues, raison de plus pour l'aimer, ajoute M. Rajna. C'est qu'il est taillé pour la nôtre et nous habille bien. »

Ayant ainsi trouvé sa forme en Italie, le roman chevaleresque était maître de l'avenir, il fit souche, et la famille devint tribu en moins de rien. Mais il faut choisir dans cette foule. Citons d'abord le Morgante maggiore de Pulci, qui n'inventa pas sa toile; ce poète toscan se contenta de suivre, au début surtout, un rimeur obscur, le copiant mot à mot quand il put: ce fut un travail sans prétention, bâclé pour amuser Laurent de Médicis qui allait au peuple, en poésie comme en politique. On y suit toute l'histoire de Roland racontée en vingt-huit chants et poussée jusqu'à Roncevaux. Le narrateur gaillard égaie son sujet par des pantalonnades ou par les grosses aventures de deux géants bouffons, qu'il a inventés. Morgant, qui donne son nom au poème, est un terrible païen con

verti par Roland dont il devient l'écuyer, un SanchoPança grotesquement héroïque et formidable, coiffé d'un bonnet de fer, armé d'un battant de cloche fêlée « dont il frappe comme un sourd ». En France, il rencontre Margutte qui lui plaît par sa taille extravagante et aussitôt les deux Goliaths se mettent à causer religion. —( Es-tu chrétien ou Sarrazin? » demande Morgant. Margutte répond avec irrévérence :

<< A te parler tout franc, je ne crois pas au noir plutôt qu'au bleu, mais je crois au chapon soit bouilli, soit rôti, et quelquefois je crois encore au beurre, voire à la bière et au moût, quand j'en ai... (1). »

Le credo continue sur ce ton treize vers encore. Est-ce de l'irréligion? Point du tout, c'est de la gaîté seulement, la gaîté qui courait les rues. Pareillement quand Pulci commence ses chants souvent licencieux par des versets de l'Écriture (In principio erat Verbum, Gloria in exelsis Deo, Deus in adjutorium meum intende), il ne faisait que suivre la tradition des jongleurs toscans, des << chante-histoires » qui amusaient le peuple; ce latin d'église, qui prend un air sacrilège dans la traduction anglaise de Byron, n'était dans le Morgante italien qu'un effet de couleur locale, tout au plus une légère raillerie contre la naïveté populaire qui, dans ses poèmes, confondait ainsi le profane et le sacré. Pulci n'était pas chanoine, comme l'a cru Ginguené qui se trompe rarement, mais il ne se posait pas non plus en hérétique et paraît

(1)

Rispose allor Margutte: a dirtel tosto

Io non credo più al nero ch' a l'azzurro ;
Ma nel cappone, o lesso o vuogli arrosto,
E credo alcuna volta anco nel burro,

Ne la cervogia, e quando io n' ho, nel mosto...

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