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de son regard. Mais, surtout alors, comme elle reste femme! Que d'humanité dans les reproches qu'elle adresse à Dante lorsqu'au sommet du purgatoire elle le revoit! Au commencement, ce n'est pas à lui qu'elle daigne s'adresser; elle parle aux saintes substances :

« Je le soutins un temps par mon visage, et, lui montrant mes yeux de jeune fille, au droit chemin le menais avec moi.

<< Mais, quand je fus au seuil du second âge et que j'entrai dans la vie immortelle, il me quitta pour se donner à d'autres.

« Quand de la chair à l'esprit j'eus monté, et qu'en beauté, qu'en vertu j'eus grandi, je lui devins moins agréable et chère.

« Et dans l'erreur il engagea ses pas... (1) ».

Puis elle s'adresse directement à Dante « en tournant vers lui la pointe de son parler ». Elle le somme de confesser ses torts; le pénitent n'a pas la force de balbutier une seule parole. Elle attend un peu et le presse; alors il pousse un oui si faible que, pour l'entendre, il faut le

(1)

Alcun tempo il sostenni con mio volto:
Mostrando gli occhi giovinetti a lui,

Meco il menava in dritta parte volto.

Si tosto come in su la soglia fui
Di mia seconda etade e mutai vita,
Questi si tolse a me e diessi altrui.

Quando di carne a spirto era salita
E bellezza e virtù cresciuta m' era,
Fui io a lui men cara e men gradita :

E volse i passi suoi per via non vera.
PURG., XXX, 121-130.

secours des yeux. Béatrice renouvelle ses questions et ses reproches. « La nature et l'art, dit-elle,

Ne t'ont jamais offert tant de plaisir que le beau corps où je fus enfermée et qui n'est plus maintenant que poussière.

« Et par ma mort si le plaisir suprême te fut ravi, quelle chose mortelle devait tenter encore ton désir ?

<< Bien devais-tu, dès le premier assaut des vains objets qui mentent et vous leurrent, venir à moi qui telle ne suis plus.

« Point ne devais, en abaissant tes ailes, attendre un nouveau coup de jeune fille ou d'autre vanité non moins frivole... (1) ».

Est-elle assez jalouse et peut-on douter encore de sa réalité? Quoi! elle parle ici de ses yeux d'enfant, du beau corps qui lui fut enlevé et qui maintenant n'est plus que poussière; elle est toute frémissante encore du dépit qu'elle avait éprouvé de son vivant; elle reproche au pénitent d'aimer trop les jeunes filles, elle dit même une

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petite fille (pargoletta) qui, selon Boccace, était de Lucques et ne passait nullement pour une abstraction. Quoi ! Béatrice parle ainsi, dix ans après sa mort, quand elle n'est plus qu'une âme lumineuse; elle a gardé jusque dans la gloire du ciel un souvenir si vif de la terre, un arrière-goût si piquant de rancune et de coquetterie; elle raille encore là-haut l'infidèle avec tant de malice, en lui disant, comme à un barbon qu'il est, non pas : « Lève la tête, » mais: Lève la barbe (1)! » et vous prétendez que cette vraie femme n'a pas existé? Ah! commentateurs, commentateurs ! ne pourrait-on pas vous adresser le mot de la Vénitienne à Jean-Jacques Rousseau : << Laissez les femmes et étudiez les mathématiques! >>

VII.

Tel fut l'amour de Dante, mais il y eut chez lui autre chose qu'un amoureux. Dès sa première jeunesse, tout en chantant Béatrice, il s'instruisait, devenait un des savants de son siècle. Un savant, en ce temps-là, connaissait les trois arts du trivium: la grammaire latine, la rhétorique de la décadence, la dialectique d'Aristote sophistiquée par les logiciens du temps (le diable en était); puis les quatre arts du quadrivium : l'arithmétique, la géométrie, la musique nécessaire aux érudits qui étaient encore gens d'église et devaient chanter la messe, l'astronomie de Ptolémée qui devait servir à la machine du « Paradis

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puis, les sciences naturelles. Le poète s'y appliqua sans doute avec intérêt, car il était né observateur, ayant la vue nette et longue aussi a-t-il décrit exactement le sommeil des plantes, la coloration des fleurs, la maturation des fruits, le magnétisme, le scintillement des étoiles; on croit qu'il a vu certaines constellations du pôle austral; on admire dans le deuxième chant du « Paradis >> (vers 97 et suivants) une expérience de catoptrique; on est même allé jusqu'à dire qu'il avait imaginé le principe de la gravitation et que son Ulysse, celui qu'il nous montre au vingt-sixième chant de l'Enfer, indiqua du doigt à Christophe Colomb le chemin de l'Amérique. Il est certain que Dante pressentit bien des choses, mais avant lui Roger Bacon en avait pressenti bien d'autres; nul pourtant ne regarde le franciscain anglais comme l'inventeur des chemins de fer, des bateaux à vapeur et de la poudre à canon. Alighieri avait peut-être plus d'imagination que les érudits de son temps, mais son savoir, comme le leur, n'était pas sans lacune et sans limite : il s'aventurait volontiers dans l'astrologie et croyait, on l'a vu, à l'influence cabalistique du 3 et du 9. Quant à ses lectures, elles n'avaient pu être conduites méthodiquement les manuscrits étaient rares et on en prenait ce qu'on pouvait, au hasard des rencontres. Dante s'était frotté à plusieurs de nos trouvères et surtout de nos troubadours qu'il cite en plus d'un lieu; il connaissait les Pères et les docteurs de l'Église, la « Somme» de saint Thomas; les anciens aussi, ou du moins quelques-uns, car la plupart d'entre eux étaient perdus ou égarés : c'est après lui seulement qu'on en retrouva un certain nombre. Assurément il avait pratiqué Stace, encore le confondit-il avec un rhéteur de Toulouse; il conversa de plus avec

Boëce, l'auteur de la « Consolation » ; il admira Cicéron, ou du moins les parties exhumées de ce grand homme et vécut surtout avec Virgile, « son auteur, son maître et son chef », auquel il disait avec une sympathie respectueuse : « C'est toi seul, de qui j'ai pris le beau style qui m'a fait honneur (1). » Savait-il du grec? Il y a des mots grecs dans ses ouvrages, cela prouve au moins qu'il savait ceux-là, mais il n'avait vu Platon qu'en esprit, disait Marsile Ficin, et ne s'était jamais entretenu directement avec Homère. Il plaça dans les Limbes, premier cercle de l'Enfer où la douleur n'est encore qu'un soupir, les grands hommes qui, nés trop tôt ou trop loin, n'avaient pu se convertir à la religion du Christ. Les poètes y occupent une place à part, ils ne sont que cinq; Virgile les domine tous : il est le maître du chant sublime et plane sur les autres comme un aigle (2). Puis vient Homère qui s'avance, l'épée à la main, comme un roi. Puis, Horace le satirique, Ovide, Lucain, et voilà tout; Dante se joint à eux, lui sixième (3). Ailleurs, parmi les savants et les sages, il place Aristote, « le maître de ceux qui savent; tous l'admirent et lui rendent hommage »; Socrate et Platon sont plus près de lui que les autres;

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