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avoir flotté entre le catholicisme et le scepticisme qui étaient en même temps dans l'air : ni un athée, ni un croyant, mais un curieux aimant à rire.

Morgant et Margutte finissent mal. Un jour que Margutte avait trop dîné, il ne retrouva plus ses bottes et se fàcha d'abord, puis s'avisa qu'un singe les lui avait volées. Le singe les mettait et les ôtait si drôlement que le géant se prit à rire « tant que ses yeux en étaient tout gonflés et qu'ils semblaient jaillir hors de sa tête. Et peu à peu, se livrant tout entier à ce spectacle, il riait de plus belle; or il avait l'estomac très serré et se voulait dégrafer, mais en vain. L'homme était donc à la gêne et le singe ôtait toujours et remettait les bottes. Margutte rit, son rire a redoublé, tant qu'à la fin, plein d'angoisse, il en crève. Et l'on eût dit l'éclat d'une bombarde, tel fut le bruit de cette explosion... (1). »

Morgant meurt aussi, d'un genre de mort qui n'est pas sans prétention philosophique. Ce colosse truculent d'une

(1)

Non domandar se le risa gli smuccia
Tanto che gli occhi son tutti gonfiati,
E par che gli schizzassin fuor di testa;
E stava pur a veder questa festa.

A poco a poco si fu intabaccato
A questo giuoco, e le risa cresceva;
Tanto che 'l petto avea tanto serrato,
Che si volea sfibbiar, ma non poteva,
Per modo egli par essere impacciato :
Questa bertuccia se gli rimetteva :
Allor le risa Margutte raddoppia,
E finalmente per la pena scoppia.

E par che gli uscisse una bombarda,
Tanto fu grande de lo scoppio il tuono.

effrayante ossature vient de se battre avec les vents et avec la mer; il a sauvé un navire du naufrage et assommé une baleine avec son battant de cloche, quand tout à coup, du rivage, une petite écrevisse le pince au talon. Il ne s'en inquiète pas, cependant la douleur augmente; il n'en rit pas moins en disant à son maître : « Une écrevisse a voulu me tuer. Peut-être voulait-elle venger la baleine. » Voyez où la fortune mène ce malheureux. Il baigne plusieurs fois son talon et ne s'en inquiète pas, mais de jour en jour le mal s'irrite; enfin le tendon se durcit et il lui en vient tant de souffrances et de spasmes qu'il avait beau rire, c'est bien l'écrevisse qui a tué le geant (1).

Mais Margutte et même le terrible Morgant ne sont que des personnages secondaires; le héros du poème est bien Roland dont la vie entière est racontée d'après un certain troubadour, Arnauld, que Pulci a peut-être inventé.

(1)

Ma non potea fuggir suo reo destino.

E' si scalzò quando uccise il gran pesce :
Era presso alla riva un granchiolino,
E morsegli il tallon: costuifuor esce :
Vede che stato era un granchio marino;

Non se ne cura e questo duol pur cresce;

E cominciava con Orlando a ridere

Dicendo: «Un granchio m' ha voluto uccidere.

Forse volea vendicar la balena : »
Tanto ch' io ebbi una vecchia paura.
Guarda dove fortuna costui mena!
Rimmollasi più volte e non si cura,
Ed ogni giorno cresceva la pena,
Perchè la corda del nervo s' indura;
E tanta doglia e spasimo v' accolse,
Che questo granchio la vita gli tolse.

:

La catastrophe de Roncevaux semble empruntée à notre Chanson de Roland que nous étions loin de connaître encore ici l'Italien bouffon devient naïf et sérieux ; il se laisse prendre à la poésie des aventures, s'échauffe au cliquetis des épées, se livre à l'illusion et à l'émotion qu'il cherchait tout à l'heure à éviter. Il entend le son du cor, le bruit de l'épée Durandal qui brise les rochers, la prière du paladin mourant qui parle bien réellement à Dieu d'une voix grave et sainte. Roland plante en terre Durandal, puis l'embrasse en disant : « O Dieu, rendsmoi digne de connaître le droit chemin. Que cette épée tienne lieu du bois sacré où souffrit le corps du juste! » Et les yeux au ciel, il semble une chose transfigurée ; il parle avec son crucifix; il serre l'épée contre son cœur, met ses bras en croix et, penchant la tête, expire. Le ciel s'ouvre, et une voix, comme une nuée légère, monte au ciel : In exitu Israel de Egypto. Ce sont les anges qui chantent et on reconnaît que ce sont des anges au frémissement de leurs ailes (1).

(1)

Orlando ficcò in terra Durlindana

Poi l'abbracciò, e dicea: fammi degno,
Signor, ch' io riconosca la via piana :
Questa sia in luogo di quel santo legno,
Dove pati la giusta carne umana;
Si che il cielo e la terra ne fe' segno;
E non sanza altro misterio gridasti :
Eli, Eli tanto martir portasti.

Così tutto serafico al ciel fisso,
Una cosa parea trasfigurata,
E che parlasse col suo crocifisso :

O dolce fine, o anima ben nata !

O santo vecchio, o ben nel mondo visso!

E finalmente la testa inclinata

Tel est ce poème à la fois romanesque et burlesque, œuvre de caprice et de lubie où l'auteur passe d'une impression à l'autre avec une fantasque versatilité qui déroute et entraîne en même temps. Luigi Pulci travailla sur une étoffe connue et commune, mais il y mit une verroterie étincelante et des paillettes d'or; ce qu'il y a de nouveau chez lui, c'est l'attitude qu'il prend en face de son œuvre. On dirait parfois « un homme sérieux qui bâtit gravement un château de cartes; après quoi, pouffant de rire, il abat tout d'un revers de main ». C'est la Renaissance qui se moque du Moyen-Age.

V.

Il n'y avait là qu'un divertissement pour le Médicis : ses courtisans s'arrêtaient devant Roland comme nous nous arrêtons devant Guignol, pour nous amuser ou nous rajeunir un quart d'heure. En revanche, dans le nord de l'Italie, on prenait encore les chevaliers au sérieux : on se les partageait même, selon les goûts des villes et des

T. I.

Prese la terra, come gli fu detto,

E l'anima ispirò del casto petto.

Ma prima il corpo compose alla spada,

Le braccia in croce, e 'l petto al pome fitto :

Poi si senti un tuon, che par che cada

Il ciel che certo allor s'aperse al gitto;

E come nuvoletta che su vada,

In exitu Israël, cantar, de Ægypto,
Sentito fu dagli angeli, solenne,
Che si cognobbe al tremolar le penne.

26

cours; les uns étaient pour les paladins de Charlemagne, les autres pour les amoureux de la Table ronde : à Ferrare, à Milan, à Mantoue, on s'attachait particulièrement à Lancelot, à Genèvre, à Tristan, à Yseult. Nous savons même que ces noms étaient donnés très souvent aux nouveau-nés qu'on baptisait. Le nord avait prêté ses sujets à Florence et en retour lui prit l'octave; il fallait un poète qui, avec l'octave, composât un roman de chevalerie sans bouffonner. Ce poète fut un gentilhomme de Scandiano, le comte Boiardo (1430-1494), C'était aussi un humaniste qui avait traduit Hérodote et Xénophon, l'« Amphitryon» et l'« Ane d'or », et composé des églogues latines. Il construisit enfin un « Roland amoureux» (Orlando innamorato), poème énorme et inachevé où son exubérante imagination délaya en soixanteneuf chants tout le pittoresque et le merveilleux, toute la chevalerie et la fantasmagorie du Moyen-Age. Par malheur ce grand ouvrage était écrit en ferrarais; Berni devait le remettre en toscan; Arioste le continua de sa main divine; le « Roland amoureux » disparut dans la continuation de l'Arioste et dans le rifacimento de Berni. Ce n'était pourtant pas une œuvre médiocre. On y revient de nos jours et l'on fait bien. Boiardo avait compris qu'un poème, tel qu'il l'entendait, ne pouvait être emprunté qu'à la matière de France; Charlemagne était le plus grand nom historique qui eût retenti depuis Jules César. Le roi Arthur, auprès de lui, disparaissait dans les brumes de Bretagne. Fallait-il toutefois garder les Roland, les Renaud tels que la tradition les avait consacrés ? C'étaient là des figures grossières, nées dans le bon vieux temps où on quittait tout pour aller tuer des païens et délivrer le saint sépulcre, avec l'intime conviction qu'on

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