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viennent après pêle-mêle, Démocrite « qui livre le monde au hasard », Diogène, Anaxagore et Thalès, Empedocle, Héraclite et Zénon; « le profond observateur de la qualité », Dioscoride, auteur d'un traité sur les propriétés des végétaux, et encore Orphée, Cicéron et Tite-Live, Sénèque le moraliste, Euclide le géomètre, Ptolémée, Hippocrate, Avicenne, Galien, Averroès qui avait commenté Aristote (1) on dirait un étalage de bouquiniste, un rayon de bibliothèque chargé de volumes dépareillés.

:

Voilà les auteurs non chrétiens qui étaient connus de Dante au moins de nom; ce qui tire l'œil dans ce catalogue instructif, ce sont les vides. Évidemment le passé ne lui était venu que par bribes: on est surpris de la quantité de choses, aujourd'hui élémentaires, qu'il ne savait pas. En littérature, par exemple, il n'était pas exactement renseigné sur les genres et, bien qu'il eût cité quelque part un trait de Térence, on pourrait croire que le vrai sens

(1)

Vidi il Maestro di color che sanno
Seder fra filosofica famiglia.

Tutti lo miran, tutti onor gli fanno.

Quivi vid' io e Socrate e Platone

Che innanzi agli altri più presso gli stanno,

Democrito che il mondo a caso pone,

Diogenes, Anassagora, e Tale,

Empedocles, Eraclito e Zenone :

E vidi il buon accoglitor del quale,

Dioscoride dico, e vidi Orfeo,
Tullio, e Livio, e Seneca morale,

Euclide geometra, e Tolomeo,

Ipocrate, Avicenna, e Galieno,

Averrois che il gran comento feo.

INF., IV, 131-144.

du mot comédie lui fut inconnu. Un de ses traducteurs français, Pierre-Ange Fiorentino, fait de lui un romantique de 1830 qui aurait intitulé son poème comédie, parce que la tragédie était un genre classique et rebattu. Fiorentino n'avait pas lu l'épître à Can Grande où Dante a bien voulu nous expliquer son titre. Il Ꭹ est dit que la tragédie finit mal et parle en style noble, tandis que la comédie a le verbe moins haut et finit bien. Or le poème est écrit en langue vulgaire et n'a pas une catastrophe tragique, puisqu'il se dénoue au paradis. Voilà pourquoi il est appelé comédie (1). On peut s'étonner de voir le paradis traité de dénouement comique, mais c'est l'auteur lui-même qui se commente, il n'y a donc qu'à s'incliner.

Telle était la science de Dante; il connaissait de plus la scolastique et même la théologie qu'il alla sur le tard étudier à Paris. Le titre de théologien était celui auquel il tenait le plus theologus Dantes nullius dogmatis expers. Mais, en ceci même, il n'alla pas plus loin que son siècle. On a voulu faire de lui un wiclefiste, un hussite, un précurseur de Luther; on a torturé tel de ses vers pour lui arracher une prédiction de la Réforme; les commentateurs qui se sont livrés à cette rude besogne y ont perdu

(1)... Differt ergo à Tragœdiâ in materiâ per hoc, quod Tragoedia in principio est admirabilis et quieta; in fine, sive exitu, fœtida et horribilis. Comoedia vero inchoat asperitatem alicujus rei, sed ejus materia prosperè terminatur. Similiter differunt in modo loquendi : elatè et sublimè Tragœdia, Comoedia vero remissè et humiliter, sicut vult Horatius in suâ Poeticâ. Et per hoc patet quo Comoedia dicitur præsens opus. Nam, si ad materiam despiciamus, a principio horribilis et fœtida est, quia Infernus; in fine prospera, desiderabilis et grata, quia Paradisus ; si ad modum loquendi, remissus est modus et humilis, quia locutio vulgaris, in quâ et mulierculæ communicant. Et sic patet quare Comoedia dicitur.

leur peine et leur temps. Dante était catholique et bon catholique: il rendait hommage à l'Église, admettait la puissance des clefs, la valeur de l'excommunication, la pénitence, les indulgences, les œuvres satisfactoires, le culte des images, les âmes du purgatoire, l'intercession des vivants pour les morts, des saints pour les vivants, même l'inquisition; il célébra non seulement saint François, mais encore saint Dominique, le premier maître du sacré palais qui fut chargé du ministère de la censure. Comme beaucoup d'autres, sans toucher aux dogmes, il eut l'ambition de réformer moralement l'Église; or on ne réforme pas ce qu'on veut détruire; il ne songeait qu'à la relever. S'il mit certains papes en enfer, ce fut par respect pour la papauté qu'il eût voulue sans tache. En tout ceci l'école d'Ozanam a parfaitement raison.

Seulement Dante attaqua le pouvoir temporel du saintsiège et osa dire avec beaucoup d'autres catholiques : « Rendons à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » On raisonnait alors beaucoup sur ces questions; il y avait deux théories en présence. D'après Thomas d'Aquin et son disciple Egidio Colonna, l'Église et ses prêtres devaient commander, la société laïque et ses chefs devaient obéir. L'homme ne fait rien ici-bas qu'en vue de la vie future. La cité des hommes est soumise, sacrifiée à la cité de Dieu. L'histoire, comme la nature, est l'œuvre de Dieu dont la main conduit les peuples à la grandeur ou à la ruine sans que la volonté humaine puisse arrêter ou détourner le cours prédestiné des événements. Le pouvoir temporel est au spirituel ce que la matière est à l'esprit, le corps à l'âme. Les deux épées, symbole des deux pouvoirs, sont portées par le vicaire du Christ qui les tient directement de Dieu; au vicaire du Christ

doit obéir aussi l'empereur, représentant du droit, de la loi, de la force purement humaine et terrestre. La lune n'est pas lumineuse par elle-même, elle reçoit la lumière du soleil cette figure plaisait fort au moyen âge. L'empereur est la lune et le pape est le soleil.

A quoi Dante répondit en latin, dans son traité De monarchia: La société repose sur le droit qui a sa valeur propre, indépendante et qui, lui aussi, est divin parce que la justice est un attribut de Dieu. C'est donc aussi de Dieu que dépend le pouvoir de l'empereur entièrement séparé de celui du pape. Celui-ci n'a d'autorité que dans les choses spirituelles et ne doit avoir d'autre souci que la religion. L'empire résidant à Rome et représentant l'indépendance de la société laïque, voilà le passé, voilà l'avenir c'est un miracle perpétuel opéré par Dieu pour faire triompher sur la terre un nouveau peuple élu. On ne peut comparer le pape au soleil et l'empereur à la lune (voici un argument qui sent bien la scolastique), parce que l'empire et l'Église sont deux faits accidentels dans l'histoire du genre humain. Or, comme l'homme fut créé au sixième jour, tandis que le soleil et la lune l'avaient été dès le quatrième, il faudrait que Dieu eût mis la charrue devant les boeufs, en créant d'abord l'accidentel et puis le substantiel. Dante a beaucoup d'arguments de cette force. En somme, à son avis, l'empereur représente l'unité du genre humain, la justice et le droit universels: il doit être le maître absolu du monde entier afin que, n'ayant plus rien à désirer, il ne lui reste aucune raison, aucune tentation d'être injuste. La restauration de l'empire romain, l'omnipotence et l'universalité du saint-empire, tel fut le rêve des Gibelins, notamment de Cino de Pistoie qui, retournant l'image en vogue, osait dire :

c'est le pape qui est la lune, c'est l'empereur qui est le soleil.

Un autre contemporain de Dante, Marsile de Padoue, alla plus loin que lui. Cet ecclésiastique acheva en 1324 un écrit intitulé Defensor pacis où, pour soutenir les droits de Louis de Bavière, il étudia les fonctions sociales, distingua le pouvoir exécutif du pouvoir législatif qu'il commit au peuple, imagina une monarchie ou plutôt une république parlementaire avec un président élu par le suffrage universel qui pourrait aussi le déposer. Pareillement l'autorité suprême de l'Église résiderait dans l'universalité des croyants et dans les saintes Écritures, et tout pouvoir coercitif, non seulement sur l'État, mais même sur les hérétiques, lui serait absolument dénié. Tout ce que l'autorité spirituelle eût pu faire contre les mécréants, c'eût été de leur annoncer les peines éternelles. Mais sur cette terre le monarque seul, c'est-à-dire l'empereur électif, aurait le droit de les châtier. Enfin, ce que Marsile réclamait, c'était la soumission du sacerdoce à l'empire : idée hardie sans doute, mais abstraite, autant que celle de Thomas d'Aquin dont elle n'était que le contrepied. Faire de l'Église une fonction de l'État ou de l'État une fonction de l'Église, c'est presque tout un

pur moyen âge.

C'est ainsi qu'en amour, en érudition, en théologie, en politique, Dante est bien l'homme de son temps. Et avec cette politique, cette théologie, cette érudition, cet amour, il voulut composer un monument qui fût l'encyclopédie du siècle : une cathédrale savante montant de la terre aux étoiles, et pour couronnement Béatrice debout dans le ciel. A cet effet, il lui fallait une vision, stratagème poétique fort employé de son temps, et un voyage dans l'autre monde, lieu commun souvent emprunté aux épopées an

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