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D'autres, plus doucement, moins fortement, versifièrent aussi l'amour conjugal: Veronica Gambara, Vittoria Colonna qui aima tant son mari; elle le perdit à trentecinq ans et le deuil la rendit poète : elle attendait de ses larmes, non de ses poésies; de ses sombres soupirs, non de sa voix sereine, la gloire, non d'avoir bien chanté, mais d'avoir bien souffert (1).

C'est parmi les patriotes et à côté de Vittoria Colonna. que nous retrouvons Michel-Ange. Après la mort de Léon et d'Adrien, les deux papes qui le négligèrent, il reparaît à Florence, sur les remparts qu'il a construits et qu'il défend contre les Allemands de Clément VII. Dans une nuit, il couvrit de matelas du haut en bas le clocher de San Miniato que maltraitait fort l'armée ennemie. Il passa six mois dans le fort, pendant le siège; de temps en temps il descendait dans la ville et continuait le tombeau des Médicis. Républicain, citoyen de Florence, il combattait au péril de sa vie pour repousser la famille des usurpateurs, mais il n'avait pas oublié qu'un Médicis, le Magnifique, avait été son premier patron, et furtive

(1)

Colui ch'a pena cinque giorni ed otto
Amor legò pria della gran percossa?

Vorrei col fuoco mio quel freddo ghiaccio
Intepidire, e rimpastar col pianto
La polve, e ravvivarla a nuova vita,

E vorrei poscia baldanzosa e ardita

Mostrarlo a lui che ruppe il caro laccio

E dirgli : « Amor, mostro crudel, può tanto. >>

Amaro lagrimar, non dolce canto,

Foschi sospiri, e non voce serena

Di stil nò, ma di duol mi danno il vanto.

ment, au péril de sa vie encore, il travaillait à la gloire de cette maison. Florence exténuée, affamée et trahie se rendit, les Allemands entrèrent; malgré l'amnistie stipulée, les premiers citoyens de la ville furent tués, dépouillés ou proscrits. S'il ne se fût pas caché, Michel-Ange aurait été du nombre des victimes; le Saint-Père, sa colère tombée, promit de tout oublier, si l'artiste se remettait au tombeau de Laurent. Il s'y remit et fit le Pensieroso, le <«< Jour» et la « Nuit », « l'Aurore » et le « Crépuscule » ; ces chefs-d'œuvre qui restent gravés dans les yeux, dès qu'on les a vus une seule fois. Les gens qui ne savent pas admirer critiquent la « Nuit », une grande femme étendue, accoudée sur son genou, dormant dans une attitude tourmentée qui devrait l'empêcher de dormir. Mais c'est une attitude qui parle, et ce qu'elle dit, Michel-Ange l'a traduit en quatre vers, les plus beaux qu'il ait faits :

Dormir me plaît et plus encor d'être de pierre

Tant que

durent le mal et la honte ici-bas:

Ne rien voir ni sentir m'est chose douce et chère...

Ne m'éveillez donc point! Par pitié, parlez bas (1)!

Elle ne peut dormir en effet, elle souffre, et dans ce sommeil convulsif où la patrie couchée se souvient de ses misères, ses rêves ne peuvent être que des cauchemars.

Michel-Ange, fut donc poète et par conséquent amoureux (2); l'amour et la poésie lui vinrent au déclin de la vie. Dans son enfance il avait été de mœurs austères ; dans

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(2) A LANNAU-ROLLAND, Michel-Ange poète; 1860.

sa jeunesse il ne voulut pas se marier: « L'art est jaloux, disait-il, et veut tout l'homme. » Il disait encore : « J'ai une femme qui m'a toujours persécuté, c'est mon art (art est féminin dans la langue italienne) et mes ouvrages sont mes enfants.» Cela dura jusqu'à sa cinquante et unième année. Alors seulement il vit Vittoria Colonna, et Dante, Pétrarque qu'il avait beaucoup lus, lui montèrent à la tête il écrivit pour sa Béatrice quantité de sonnets, de madrigaux, de canzoni empreints du pathos qui régnait en ce temps d'imitation: exaltation du cerveau mêlée de mysticisme on s'embarquait pour Cythère et l'on s'arrêtait à Pathmos. Çà et là cependant vibrent dans ces vers quelques notes tendres et justes. L'artiste se demande un jour comment il se fait qu'une image de pierre dure plus que celui qui l'a faite et qui est sitôt frappé par la mort? L'effet l'emporte sur sa cause infirme et l'art est vainqueur de la nature : il le sait bien, lui, pour qui la sculpture est une amie et qui éprouve déjà la mauvaise foi du temps. Peut-être pourra-t-il, à sa dame et à lui, donner longue vie sur la toile et sur la pierre, en reproduisant leur affection et leurs visages « afin que, mille ans après le grand départ, on voie combien tu fus belle, combien je t'aimais, et que je ne fus pas insensé de t'aimer tant (1). » Vittoria Colonna était admirablement douée

(1) Com' esser, donna, puote, e pur se'l vede
La lunga esperienza, che più dura

Immagin viva in pietra alpestre e dura,
Che 'l suo fattor, che morte in breve fiede?

La cagione all' effetto inferma cede,
Ed è dall' arte vinta la natura;
lol so ch'amica ho sì l'alma scultura,
E veggo il tempo omai rompermi fede.

pour inspirer à un homme déjà mûr une passion de ce genre. Elle était savante, et par conséquent un peu froide et précieuse, non qu'elle manquât de cœur, mais parce qu'elle avait épuisé sa sensibilité dans l'amour le plus noble et le plus rare qu'il y ait au monde, l'amour conjugal. Quand elle vit Michel-Ange, elle l'admira sincèrement et alla même s'établir auprès de lui, mais ne lui adressa pas de vers elle en avait fait cependant pour le Molza et pour Bembe. Michel-Ange, en revanche, aima cette noble femme autant qu'il pouvait aimer, c'est-àdire que toutes les facultés, toutes les forces de son cœur, tout ce qui, de son âme et de sa vie, ne se traduisait pas immédiatement en peinture et en sculpture, tout cela tardivement, mais passionnément, devint amour. Quand elle mourut, il fut comme fou de douleur : il s'approcha de la morte et lui baisa la main, n'osant lui baiser le front il s'en repentit le reste de sa vie.

:

Ah! l'honnête homme ! et comme on voudrait s'arrêter longuement auprès de lui en quittant les cours de CharlesQuint et de Léon X, rappeler sa grande situation et sa vie frugale, le montrer en face des papes qui le faisaient asseoir à leur droite, des princes qui le recevaient la barrette à la main, et au chevet du pauvre Urbino, son domestique malade, qu'il veilla pendant plusieurs nuits sans se déshabiller, à quatre-vingt-deux ans ! Mais il est

T. I.

Forse ad amendue noi dar lunga vita
Posso, o vuoi nei colori, o vuoi ne' sassi,
Rassembrando di noi l' affetto e il volto;

Sicchè, mill'anni dopo la partita,
Quanto tu bella fosti ed io t' amassi

Si veggia, e come a amarti io non fui stolto.

32

temps de conclure et de lui assigner sa place et son rang parmi les maîtres de la Renaissance.

VI.

De quelle Renaissance? Il en est deux pour le moins : la première date de l'an 1300 et Dante en fut le plus grand poète; l'autre s'est épanouie deux siècles plus tard et nous donna l'Arioste et Raphaël. L'une et l'autre sont des retours à l'antiquité, des mariages entre l'antiquité et le christianisme. Mais, dans la première, c'est le christianisme qui domine et n'emprunte aux anciens que des formes et des grâces, tandis que dans la seconde, les formes et les grâces ont pris tant d'importance qu'elles sont devenues la chose essentielle, et qu'elles ont presque effacé l'idée et le sentiment chrétiens. La première touche encore au Moyen-Age; dans la seconde, il semble que le catholicisme, sa foi, son art, aient fait leur temps. Le paganisme est revenu, et, avec lui, toute une civilisation morte ou du moins disparue. Il s'est emparé, pour la policer et la rajeunir, d'une société demi-barbare et lasse de sa barbarie. Il la fait sortir d'un long jeûne pour lui rendre toutes les fêtes, toutes les folies du carnaval, pour l'enivrer de plaisir et de lumière; et tous à la fois, petits et grands, même les princes, même les papes, oubliant la religion qui leur avait dit : « Heureux ceux qui pleurent,» sont retournés avec un entraînement irrésistible à la sagesse heureuse et sereine des anciens dieux. Et, à l'image de ces anciens dieux, ils ont refait les divinités catholiques: l'immuable Jupiter est resté dans son Olympe, père universel de la création; la Venus genitrix, vêtue, il est vrai,

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