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Vittoria Colonna, il aimait Florence, et l'une après l'autre
il les vit mourir. Ajoutons à cela le pire isolement, celui.
de la vieillesse, l'incurable mélancolie de la longévité qui
se traîne, toujours plus lourde et plus seule, en laissant
derrière elle tous les êtres aimés dans la poussière du che-
min parcouru. Il écrivait dans ses vers et dans ses lettres :
« Je m'en vais peu à peu je vois chaque jour grandir
l'ombre et tomber le soleil; infirme et mourant, j'approche
de ma fin... Je n'ai plus une pensée qui ne soit empreinte
de l'idée de la mort, » ou encore, en apprenant la nais-
sance d'un petit Buonarroti, son neveu, et les fêtes du
baptême : « On n'aurait pas dû faire ces réjouissances;
ce n'est pas pour un enfant qui vient au monde qu'il faut
tant d'allégresse, mais seulement pour la mort de l'homme
qui a bien vécu. »>

Pauvre Buonarroti! ton seul bonheur au monde
Fut d'imprimer au marbre une grandeur profonde
Et, puissant comme Dieu, d'effrayer comme lui :

Aussi, quand tu parvins à ta saison dernière,
Vieux lion fatigué, sous ta blanche crinière,
Tu mourus longuement plein de gloire et d'ennui.

Auguste BARBIER.

CHAPITRE IX.

L'AN MIL CINQ CENT TRENTE-CINQ.

I. Luther et Vergerio.

II. Thomas More.

III. Genève protestante. Clément Marot et Jean Calvin. · La cour de Ferrare.

IV. Gargantua et François Rabelais.
V. Ignace de Loyola et les jésuites.

Conclusion.

I.

Michel-Ange nous a conduits trop loin, l'âge d'or littéraire de la Renaissance italienne finit au tiers du siècle, vers l'an 1535. On vit alors quelques faits importants qui marquent bien la fin d'un monde et le commencement d'une ère nouvelle. Celui-ci d'abord auquel on n'a pas assez pris garde en 1535 le pape Paul III envoya Vergerio en Allemagne, où Vergerio vit Luther.

Paul III, un Farnèse qui venait de succéder à Clément VII et qui était, disent ses biographes, un homme instruit, habile et bienveillant, avait une idée sage dans l'esprit, la convocation d'un concile. En ce temps-là on attendait encore la paix religieuse d'une entente entre les catholiques et les luthériens; même en Allemagne un certain nombre d'esprits conciliants croyaient la transaction possible. Voilà pourquoi le pape envoya Vergerio chez

les Allemands. Pierre-Paul Vergerio, né en 1498 à Capodistria, avait étudié le droit à Padoue avec le Bembe et deux Italiens qui devaient passer à la Réforme, MarcAntoine Flaminio et Pierre Martyr. Ses études achevées, après quelque séjour à Padoue, à Vérone, à Venise, il était devenu à Rome le secrétaire du pape Clément VII. Employé maintenant par Paul III, il va se trouver face à face avec le chef de la Réforme. Luther, en 1535, est, dans le monde de l'esprit et de la conscience, l'homme le plus en vue de la chrétienté. Depuis l'auto-da-fé public de la bulle qui le condamnait, il a marché à pas de géant dans son œuvre, toujours en lutte et en travail, traduisant la Bible, entonnant des chants religieux, combattant d'une main le catholicisme et la Renaissance, contenant de l'autre la Réforme, repoussant les paysans révoltés, réprimant les sacramentaires et les anabaptistes, excitant ou arrêtant à son gré, de sa voix de tonnerre, cavalier irascible et jovial, la révolution débridée, mais domptée qui se cabre sous lui.

Vergerio fut habile, insinuant, Luther ne croyait pas à la vertu du concile. « Je suis un peu comme saint Thomas, >> avait-il dit, mais il ajouta : « J'y serai, dût-on me brûler. » Il n'y fut pas cependant, car le concile de Trente ne devait s'ouvrir que dix ans après et, dans ces dix années de discussion, les deux partis s'étaient de plus en plus éloignés l'un de l'autre. Rome avançait des prétentions que ne pouvait accepter la Réforme. Luther s'écria enfin : « Quand le monde croulerait, nous ne céderons pas. » Quant à Vergerio, l'on peut croire qu'il ne sortit pas tout à fait pur de son entretien avec le terrible homme. Il prit cependant les ordres et devint évêque à la diète de Worms, en 1540, il parla encore

:

catholiquement. Mais on lui en voulait de ses rapports avec l'ennemi il fut tracassé de mille façons et désespéra de pouvoir se défendre au concile. D'ailleurs il avait vu Luther et il l'avait lu, pour le réfuter sans doute, mais on ne lit pas sans danger certains livres, fût-ce pour les réfuter. Un jour il vit un hérétique ramené, Francesco Spiera qui avait abjuré le luthéranisme, parce que l'Inquisition lui faisait peur : le pauvre homme était fou de remords et de honte. En le voyant, Vergerio prit un grand parti et se rendit à Bâle; l'excommunication le frappa en 1549. Il devint bientôt pasteur protestant dans les Grisons, puis chancelier du duc de Wurtemberg et mourut en 1565 à Tubingue. Ses écrits de polémique religieuse ont fort alléché ceux qui aimaient le fruit défendu « Ils plaisaient, dit un catholique, à ces palais dépravés à qui le fiel tient lieu des plus friands morceaux, comme autrefois la manne. » On les republie aujourd'hui (1).

:

II.

Ce fut aussi en 1535 que Thomas More, à Londres, mourut sur l'échafaud. Nous avons déjà rencontré cet ami d'Érasme il était né en 1480 d'un juge du banc du roi. Protégé par le cardinal Morton et bon écolier d'Oxford, il s'était si fort distingué au barreau, qu'il entra tout jeune au Parlement, puis, grâce à Wolsey, dans le conseil privé du roi Henry VIII. A cette cour, il monta vite en grade: chancelier de l'échiquier, employé aux

(1) Trattarelli di P. P. Vergerio (Biblioteca della Riforma italiana), 1883.

conférences de Cambrai, grand chancelier d'Angleterre, bien plus, magistrat intègre et incorruptible, il s'appauvrit dans la fortune et fut réduit, en quittant sa place, à cent livres de revenu. Un de ses gendres, qui le voulut pour juge, perdit un procès qu'il espérait gagner : « Si mon père et le diable plaidaient devant moi et que mon père eût tort, je condamnerais mon père. » Ainsi pensait Thomas More qui, avec ce caractère antique, était un homme fort avisé, bien plus, un esprit enjoué, sans emphase, très prudent, tout à fait dans les idées d'Érasme et méritant bien que « l'Éloge de la Folie » lui fût dédié. Dans sa jeunesse, il avait inventé cette île d'Utopie (1), dont le nom est resté dans toutes les langues, rêverie communiste où l'on ne vit alors qu'une « débauche d'esprit », et il avait rédigé plusieurs biographies de souverains dans lesquelles il donna « le premier exemple du bon langage anglais pur, clair, bien choisi, sans vulgarité ni pédantisme ». Cet éloge est de Hallam. Plus tard, en latin, il commenta « la Cité de Dieu »>, traduisit des dialogues de Lucien, défendit Érasme contre le Hollandais Dorpius et lut gaiement, sans y voir de mal, les « Lettres des hommes obscurs ». Ce fut un croyant qui voulait corriger l'Église, mais qui ne se laissa pas entraîner par l'hérésie, au contraire il se jeta sur elle pour l'arrêter avec un emportement qui nous étonne chez un homme si gai. On sait que Henri VIII écrivit d'abord contre Luther; More en fit autant, non sans violence (2): « Révérend frère, père, buveur, Luther, trans

(1) De optimo reipublicæ statu, deque nova insula Utopia (1516). (2) Reverendus frater, pater, potator Lutherus... Si... suas resorbeat et sua relingat stercora, etc.

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