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dévotion il le guette, de quel soin il le garde, de quelle ferveur il le tient, de quelle prudence il l'entomme, de quelle affection il le brise et de quelle diligence il le suce. Qui le induit à ce faire ? Quel est l'espoir de son étude ? Quel bien prétend-il? Rien plus qu'un peu de moëlle. Vrai est que ce peu plus est délicieux que le beaucoup de toutes autres : pour ce que la moëlle est aliment élabouré à perfection de nature, comme dit Galen, ij facu. natural. et xj. de usu parti. A l'exemple d'icelui vous convient être sages pour fleurer, sentir et estimer ces beaux livres de haute graisse, légers au prochaz (ou pourchas, poursuite) et hardis à la rencontre. Puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moëlle. C'est-à-dire : ce que j'entends par ces symboles pythagoriques, avecques espoir certain d'être faits escors (avisés) et preux à la dite lecture. Car en icelle bien autre goût trouverez et doctrine plus absconse (cachée), laquelle vous révélera de très hauts sacrements et mystères horrifiques tant en ce qui concerne notre religion que aussi l'état politique et vie économique. >>

Quelle langue et quelle œuvre ! nous avons ici une encyclopédie (c'est Rabelais qui a introduit ce mot en littérature) où s'entasse toute la science, la sagesse, la folie, l'audace, l'obscénité du temps; un éclat de rire énorme, où entrent la bouffonnerie de Berni, la polissonnerie de l'Arétin, l'atticisme d'Érasme et la jovialité de Luther, une forêt touffue, fouillis de feuillées et de ramures, enchevêtrement de ronces, d'épines, de broussailles, avec de larges éclaircies au soleil où poussent des fleurs exquises, où pendent des fruits savoureux; puis le fourré encore, des houles d'ombre abattues et relevées par un grand vent; un sol bossué, fait de boue, de roche, de mousse, où l'on

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marche sur des limaces en écoutant chanter le rossignol; un monde confus, tumultueux qui rit, sifle, miaule, glapit, hurle, gronde on sort de là étourdi de bruits, envahi d'idées, l'âme en joie et la tête prise, ensorcelé, haletant, rompu. D'un seul bond Rabelais a franchi Calvin et l'a laissé bien loin derrière lui une nouvelle Renaissance jeune, chaude, ivre, folle, regorgeant de sang, vient de sauter par-dessus la Réforme.

V.

C'est ainsi que s'émancipaient partout dans le nord, la pensée et la conscience; en même temps, dans le midi, commençait la réaction. En 1535, un décret de l'Inquisition espagnole (et ce n'était pas le premier) ordonna que tout possesseur d'écrits luthériens fût excommunié et soumis à des peines dégradantes; les mêmes châtiments frappaient ceux qui n'auraient pas dénoncé les détenteurs de ces produits incriminés. De pareilles rigueurs n'étaient pas chose nouvelle en Espagne. Dès 1490, Torquemada avait fait brûler à Séville quantités de bibles hébraïques, par l'unique raison que c'étaient des ouvrages de juifs. Plus tard, à Salamanque, il condamna au feu plus de six mille volumes imprimés qu'il accusait de magie et de sorcellerie. Rien d'étonnant à cela; l'Inquisition, avant de toucher aux livres, s'était fait la main sur les hommes. En Andalousie, dans l'année qui suivit l'établissement du Saint-Office, dix-sept mille juifs avaient subi des peines plus ou moins dures, deux mille étaient morts sur le bûcher.

En 1534, le jour de l'Assomption, à Paris, dans la chapelle

souterraine de l'abbaye de Montmartre, quelques Espagnols ayant avec eux des écoliers français, même des maîtres, s'étaient assemblés pour fonder une association destinée à la conversion des infidèles, à la correction des hérétiques et, en général, à la sanctification du prochain. Un prêtre, Pierre Favre, dit la messe, les autres communièrent ; tous prirent l'engagement solennel d'aller prêcher en Palestine ou, si c'était impossible, de se donner corps et âme au pape et de courir aussitôt où il les enverrait. Le promoteur de cette association était un Espagnol de quarante-trois ans qui sortait du collège parisien de Sainte-Barbe ; il se nommait Ignace et il était né d'une famille noble dans le château de Loyola. D'abord soldat, très galant et très brave, il s'était distingué à Najare, à Pampelune où il avait eu la jambe droite cassée par une pierre et la jambe gauche froissée par un boulet. Pendant qu'on le soignait à Loyola, il lut une légende des saints et une vie de Jésus : aussitôt, touché par la grâce, il jeûna, pria, prononça un vou, puis, dans un monastère, s'offrit pour chevalier à la sainte Vierge après avoir fait la veillée d'armes sur l'autel, et, suspendant son épée à un pilier, il renonça au monde. Depuis lors, il subit volontairement toutes les mortifications, mendia son pain, se retira dans une caverne où il faillit périr, se rendit à Jérusalem où il vécut d'extases, après quoi il apprit la grammaire, la philosophie et la théologie pour mieux lutter contre les hérétiques et les païens. C'était un vrai saint, tout à sa tâche et enivré de foi; il mourut à la peine, mais son institut, approuvé par le pape en 1540, les « Clercs de la compagnie de Jésus » durent toujours. Aveuglément, impérieusement, ils servent l'Église, et souvent ils la mènent.

Voilà ce qui se passait vers 1535, et il importe de mar

quer ce point: parmi les hommes de pensée alors en vue et à l'œuvre, à l'exception de Vergerio, il n'y eut pas un seul Italien. Luther, Thomas More, Marot, Calvin, Rabelais, Loyola, tous étrangers, même la duchesse de Ferrare. Le grand intérêt n'était déjà plus la Renaissance, c'était la Réforme et cette Réforme, en Italie, n'eut rien d'indigène c'est la principale raison pour laquelle elle ne réussit point. Bien loin de reprendre, comme on l'a dit, l'œuvre de Savonarole, elle vint d'Allemagne avec un libraire qui importa les premiers ouvrages luthériens, puis d'Espagne avec Valdes qui fit école à Naples, puis des vallées vaudoises du Piémont qui envoyèrent des martyrs dans les Calabres, et de France avec Mme Renée, élève de Marguerite et brebis de Calvin. En ce moment ce n'est plus l'Italie qui conduit la pensée, elle va désormais la suivre ou la refouler en arrière. Politiquement, elle n'est déjà plus qu'une « expression géographique ». Florence est tombée en 1530; la même année Charles-Quint a reçu des mains du pape, qui avait été son prisonnier, la couronne de fer des Lombards et la couronne impériale. Finis Italia, même en littérature. En 1535, l'Italie ne possède plus un seul écrivain de premier ordre, sauf Guichardin qui n'a plus que cinq années à vivre et, si l'on veut, le Bembe qui vieillira jusqu'en 1547. Mais Machiavel, l'Arioste, Castiglione, Sannazar, Fracastor ne sont plus, même Berni va disparaître plus de Léonard, plus de Corrège, plus de Raphaël. Deux artistes, parmi les cinq plus grands, tiennent toujours, mais ils sont déjà vieux Titien finira presque centenaire; Michel-Ange qui, cette année même (1535), est nommé peintre, sculpteur et architecte du Vatican, a passé la soixantaine; il ne lui reste plus qu'à hisser le Panthéon

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