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On peut en rester là. Voltaire écrivit au jésuite Bettipelli pour le féliciter d'avoir osé dire que Dante était un fou et son poème un monstre. Ce Bettinelli, en effet, prêtre voltairien, avait violemment attaqué la « Divine Comédie ». Gaspare Gozzi lui répondit de main de maître, mais le triomphe définitif de Dante ne date que d'Alfieri qui adora en lui, non l'idée gibeline et la foi catholique, mais l'âme de fer et le vers d'airain. C'est par là que le grand poète a repris l'Italie; ce n'est pas le penseur et le croyant, c'est l'homme et l'artiste qui, après les fadeurs et les langueurs des derniers siècles, a virilement retrempé les esprits de Turin à Venise et de Palerme à Milan. Tous les patriotes italiens ceux qui marchaient au petit pas comme Troya et Balbo, ou qui allaient au grand trot comme Manin, ou à bride abattue comme Mazzini, tous ont voulu Dante pour maître. Chacun l'a tiré à soi, lui a prêté son idée, l'a converti à sa cause, l'a fait sien en un mot pour avoir le droit de lui dire : « Je suis à toi. » Ceux qui l'ont le plus aimé, même en France, ne sont pas ses coreligionnaires, les apôtres de la monarchie et les orthodoxes défenseurs de l'autel : c'est à peine si Chateaubriand l'a nommé dans son Génie du Christianisme. Le premier qui l'ait vu de près est l'épicurien Rivarol qui ne cherchait guère en lui que l'artiste. « Le Dante, disait-il (on disait alors le Dante) dessine quelquefois l'attitude de ses personnages par la coupe de ses phrases; il a des brusqueries de style qui produisent un grand effet; et souvent, dans la peinture de ses supplices, il a une fatigue de mots qui rend merveilleusement celle des tourmentés. » Puis Ginguené sous l'empire, Fauriel et Villemain sous la restauration, puis Antoni Deschamps, Daniel Stern, Lamennais qui, longtemps après sa révolte, a trouvé dans la « Di

vine Comédie » le chevet de sa vieillesse et de sa mort; tout récemment Littré qui a traduit « l'Enfer » en vieux français et qui a écrit ces mots pleins de cœur : « Chaque jour Dante prend la main de quelqu'un de nous, comme Virgile prit la sienne, et l'introduit dans ces demeures où éclatent la justice et la miséricorde divines. >>

Étrange destinée que celle du poète ! Il était monarchiste et on l'a fait républicain, il était catholique et on l'a fait protestant, il était virgilien et on l'a fait romantique, il était pour l'empire allemand et plus que tout autre il a servi à fonder la nationalité italienne. Tous l'ont traité comme il avait traité Virgile, en le prenant bon gré mal gré pour guide et en le forçant de marcher devant eux. Tous lui ont dit : « Tu es si beau que ta pensée doit être la nôtre. » Et cette pensée commentée au gré de chacun, transformée, rajeunie, avancée de siècle en siècle, demeure immortellement moderne, parce qu'elle est contenue dans une impérissable œuvre d'art.

CHAPITRE II.

PÉTRARQUE ET BOCCACE.

I. Pétrarque et Boccace humanistes. II. La politique de Boccace. lien.-Cola di Rienzo.

Pétrarque gibelin, républicain, ita

III. Pétrarque et Laure: le Canzoniere.
IV. Pétrarque : sa situation et sa gloire.
V. Boccace amoureux : le « Décaméron ».

VI. Boccace après sa mort. Ses imitateurs français. Ses der

niers critiques.

I.

Immédiatement après Dante, entrèrent en scène deux autres Toscans à peu près contemporains, érudits l'un et l'autre, humanistes passionnés et convaincus, qui hâtèrent le travail de la Renaissance et durent leur célébrité à la partie de leur œuvre qu'ils estimaient le moins: François Pétrarque et Jean Boccace.

L'aîné, Pétrarque, né en 1304, dix-sept ans avant la mort de Dante, ne connut guère Arezzo, sa ville natale; tout enfant encore, il avait dû émigrer avec sa famille en France où les papes tenaient leur cour. Mais Avignon était alors si encombré, qu'il fallut se réfugier à Carpentras : ce fut là que l'enfant apprit l'italien et le latin sous le Toscan Covennole, excellent maître, mais écrivain médiocre :

« une pierre à aiguiser qui affilait les couteaux, mais qui elle-même ne coupait pas. » Petracco (c'était le père du futur poète qui corrigea son nom plus tard) voulait que son fils apprît le droit et, à cet effet, l'envoya étudier à Montpellier où les Pandectes étaient enseignées depuis le douzième siècle; de là l'écolier se rendit à Bologne où il entendit Jean d'André, celui qui expliquait si bien les Décrétales et qui se faisait remplacer dans sa chaire par sa fille Novella. Seulement cette belle personne professait derrière un rideau, de peur qu'en la regardant trop, les jeunes gens n'oubliassent un peu les Décrétales.

Pétrarque s'ennuya beaucoup à Bologne ; il n'aimait pas le droit où il prétendit avoir « perdu sept ans entiers (1) », et déclara qu'avec cette science il n'eût pu rester honnête homme ; on eût attribué sa probité à l'ignorance. Aux jurisconsultes il préférait les orateurs et les poètes, et recueillit des livres que son père eut la cruauté de jeter au feu. Ce père mourut en 1326; sur quoi l'orphelin brusquement appelé dans Avignon pour recueillir un héritage très mince et fort écorné par les tuteurs, se remit à l'étude, reçut la tonsure, mais sans entrer dans les ordres. En même temps il s'amusait, soignait sa toilette, frisait ses cheveux et se brûlait le front, portait des souliers trop étroits qui le mettaient au supplice : c'est lui-même qui a daigné nous apprendre ces frivolités. On peut croire que dans la molle Provence il s'oublia quelque temps dans les galanteries des cours d'amour : tout le monde a été jeune. Mais cette vie de dissipation ne dura pas. Depuis sa trentetroisième année, Pétrarque devint un autre homme il s'enferma dans Vaucluse avec un chien, un paysan « ani

(1)... In eo studio septennium totum perdidi.

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