Sayfadaki görseller
PDF
ePub

c'est uniquement un mécanisme capable de produire les phénomènes avec les caractéristiques que nous leur connaissons actuellement, donc une représentation aussi fidèle que possible, un modèle ou une image. On n'affirme pas que les choses sont telles, mais que tout se passe, c'est la célèbre expression de Newton, comme si elles l'étaient.

C'est ce que les anciens avaient déjà fort bien vu, et ce qui n'a été méconnu que pendant les courtes périodes signalées. Encore trouve-t-on, à toutes les époques, des esprits distingués qui résistent à l'entraînement général.

Pour les anciens, d'ailleurs, il ne s'agissait, bien entendu, que de l'Astronomie, la seule science assez avancée alors pour atteindre au stade de la constitution des théories. On en peut lire le détail dans les profonds travaux historiques de Duhem. Il nous suffira ici de citer S. Thomas, en qui se résume toute la tradition scientifique de l'antiquité : << Mais les suppositions qu'ils (les >> astronomes) ont imaginées ne sont pas nécessairement » vraies, car peut-être les apparences que les étoiles pré>> sentent pourraient être sauvées par quelque autre mode » de mouvement encore inconnu des hommes >> (1).

On a continué de penser ainsi jusqu'à la fin du moyen âge, à part quelques rares exceptions. Il est même assez piquant d'observer que, dans le fameux procès de Galilée, l'illustre savant défendait le point de vue actuellement abandonné par les hommes de science, tandis que les hommes d'Église raisonnaient comme nos Poincaré et nos Duhem. Le Cardinal Bellarmin écrivait à Foscarini, à l'intention de Galilée, le 12 avril 1615 : « Dire qu'en suppo>> sant la Terre en mouvement et le Soleil immobile, on » sauve toutes les apparences mieux que ne le pourraient » faire les excentriques et les épicycles, c'est très bien » dire; cela n'offre aucun danger et cela suffit au mathé» maticien. Mais vouloir affirmer que le Soleil demeure

(1) De Caelo, lib. II, lect. 17.

>> réellement immobile au centre du monde, etc... c'est >> chose fort périlleuse ».

Mais alors, si la théorie physique n'est pas le couronnement d'un édifice de vérités laborieusement acquises, si nous devons nous contenter d'une image, c'est-à-dire d'une ombre, à quoi bon nous donner tant de peine, et ne vaudrait-il pas infiniment mieux nous reposer dans un scepticisme nonchalant ? A quoi servent les théories, si en les embrassant nous n'étreignons aucune vérité nouvelle ?

L'utilité des théories physiques est double: elles nous servent à classifier nos connaissances et à les augmenter, à ranger notre domaine et à l'étendre.

D'abord, en mettant de l'ordre dans nos connaissances acquises, elles soulagent la mémoire et contribuent éminemment à ce que E. Mach considérait comme le but même de la science, savoir l'économie de la pensée. Il est effrayant de songer à la tension continue à laquelle nous serions condamnés pour avoir présent à la mémoire l'ensemble de toutes les lois particulières établies par la recherche scientifique, et dont la liste s'allonge tous les jours, si nous n'étions habitués à les rattacher à quelques principes très généraux qui nous permettent de les retrouver rapidement, au besoin. H. Poincaré compare la science « à une bibliothèque qui doit s'accroître sans » cesse ; le bibliothécaire ne dispose pour ses achats que » de crédits insuffisants; il doit s'efforcer de ne pas les >> gaspiller. C'est la physique expérimentale qui est chargée des achats; elle seule peut donc enrichir » la bibliothèque. Quant à la physique mathématique, » elle aura pour mission de dresser le catalogue. Si » ce catalogue est bien fait, la bibliothèque ne sera » pas plus riche. Mais il pourra aider le lecteur à se ser>> vir de ses richesses. Et même, en montrant au biblio>> thécaire les lacunes de ses collections, il lui permettra

[ocr errors]

» de faire de ses crédits un emploi judicieux; ce qui est >> d'autant plus important que ces crédits sont tout à >> fait insuffisants »> (1).

Dans la physique mathématique, présentée par Poincaré dans ce passage, le lecteur aura reconnu sans peine notre théorie physique c'est en effet par le moyen de la déduction mathématique que les lois se rattachent aux hypothèses fondamentales. Mais, en vérité, il y a quelque chose de plus dans son rôle que les modestes attributions du bibliothécaire. N'oublions pas que partout où règne l'ordre, resplendit aussi la beauté. La théorie rend l'emploi des lois plus commode et plus rapide, sans doute. Mais, on l'a remarqué souvent, le vrai savant tient du tempérament de l'artiste. Ce qui le touche davantage que l'utilité pratique de la classification, n'en doutez pas, c'est la jouissance exquise de voir la théorie dérouler majestueusement, depuis les principes premiers jusqu'aux corollaires les plus minutieux, les anneaux de ses impeccables déductions, et de les voir vérifier sans faute par le plus sévère contrôle expérimental.

Mais, aux yeux de la plupart des savants, ce n'est là encore que le moindre mérite de la théorie physique. Ce qui est infiniment plus précieux, c'est qu'elle a la vertu de conduire à la découverte de vérités nouvelles. Le bibliothécaire, pour reprendre la comparaison de Poincaré, ne se borne pas à dresser le catalogue des collections dont il a la garde : il en signale les lacunes à ceux qui ont la disposition des crédits, et par là provoque les acquisitions nouvelles. Si, en effet, notre théorie représente assez fidèlement la nature pour faire dériver d'un principe commun un grand nombre de lois découvertes indépendamment les unes des autres et comme au hasard, il y a bien des chances pour qu'on en puisse tirer d'autres conséquences auxquelles nulle autre voie ne nous avait amenés à penser jusqu'alors. Si ces conséquences peu

(1) La Science et l'hypothèse, p. 172.

vent se formuler en énoncés concrets et précis, voilà autant d'expériences déterminées à tenter, et toute prévision ainsi réalisée sera la découverte d'une loi nouvelle. C'est ainsi que G. Cuvier, le premier, il y a un siècle, faisait ses mémorables reconstitutions d'animaux fossiles, en partant seulement de quelques rares ossements mis au jour. Le schéma général qu'il s'était fait de l'organisation des diverses familles du règne animal, lui permettait de rétablir les pièces manquantes du squelette.

C'est un des procédés les plus fréquents de la découverte scientifique, une de ses formes normales. On essaye telle expérience, parce qu'on a remarqué telle conséquence de la théorie et qu'on veut la vérifier.

Considérons le principe de l'attraction universelle de Newton. La pesanteur étant supposée due à une force proportionnelle aux masses et en raison inverse du carré des distances, il en résulte d'abord qu'elle doit varier avec la distance au centre de la Terre, donc avec l'altitude. De là des recherches qui ont fait reconnaître effectivement cette variation, et par suite, l'aplatissement de la Terre vers les pôles. D'autres irrégularités du globe terrestre ont ensuite attiré l'attention, notamment les montagnes. Leurs masses, d'après le principe de Newton, devaient altérer la pesanteur. De fait, on a trouvé qu'elles dévient le fil à plomb dans leur voisinage, et qu'elles changent la période du pendule. Enfin l'idée est venue d'étudier directement les actions attractives qui doivent se faire sentir entre deux masses sphériques suspendues assez délicatement. C'est l'origine des belles expériences de Cavendish, reprises et complétées plus tard par Eötvos, par le P. Hagen, etc.

Mais Duhem n'est nullement disposé à souscrire à la persuasion générale que la théorie éveille l'esprit de recherche et provoque les découvertes. Il fait valoir que f équemment les chercheurs sont guidés moins par les

[ocr errors]

hypothèses elles-mêmes que par la forme que revêtent leurs conclusions. Exemple la double réfraction dans les cristaux biaxes. Fresnel avait remarqué que la théorie créée par Huyghens n'avait besoin que d'une construction géométrique simple sur une sphère dans le cas des milieux uniréfringents, et sur un ellipsoïde de révolution dans celui des milieux biréfringents uniaxes. Par analogie, il imagina de se servir de l'ellipsoïde à trois axes inégaux pour les biréfringents biaxes, et le succès fut éclatant.

De cet exemple, et d'autres semblables, comme aussi du fait que le progrès scientifique s'est produit maintes fois par le simple transport dans un domaine nouveau d'une théorie déjà faite pour un autre, Duhem prend occasion de réduire presque à rien le rôle d'inspiratrices de découvertes qu'on attribue généralement aux théories. « Ce qui, en elles, est durable et fécond, déclare-t-il, c'est l'œuvre logique par laquelle elles sont parvenues à classer naturellement un grand nombre de lois en les déduisant toutes de quelques principes; ce qui est stérile et périssable, c'est le labeur entrepris pour expliquer ces principes, pour les rattacher à des suppositions touchant les réalités qui se cachent sous les apparences sensibles. >> Rien de plus sage que cette distinction, et Duhem a parfaitement raison d'y attacher une grande importance.

Il faut bien se garder, en effet, de confondre l'hypothèse fondamentale d'une théorie avec la forme même qu'elle donne à cette théorie, c'est-à-dire avec l'ensemble des rapports qu'elle établit entre les diverses lois. L'hypothèse peut être erronée; mais les rapports entre les lois sont réels ce sont eux qui constituent les linéaments les plus précieux de la ressemblance du schéma avec la réalité ils sont généralement la première et souvent la plus importante des découvertes faites grâce à la théorie. Prenons immédiatement un exemple. L'introduc

« ÖncekiDevam »